Dans notre arbre, en Grande-Lande, deux personnes apparaissent comme « pasteurs » sur les relevés paroissiaux et d’état-civil. Antoine Darmayan (1748-1820) comme pasteur et Jean Duluc (1801- ?) comme pasteur-résinier. Pasteur est ici à prendre dans son sens de berger, en français ancien.
Notre branche agnatique remonte au moins jusqu'en 1654 à Campagne (Landes) et dans la propriété dénommée - encore de nos jours - JeanLaouillé ou JeanDaouillé, dont le nom dérive du patronyme gascon Aoulhé qui désignait le berger en titre, celui qui était expérimenté. Selon toute vraisemblance, la maison a été baptisée d’après un berger nommé Jean.
Deux bonnes raisons pour s’intéresser aux bergers landais et à leurs mythiques échasses avec lesquelles nous jouions, enfants.
Qui était berger ?
C'était souvent un homme trop âgé pour le dur travail des champs, mais dont l'expérience se révélait précieuse pour la conduite et le soin du troupeau. Il pouvait aussi être domestique, au service d'un propriétaire ou d'un métayer. Il était le plus souvent sous contrat avec un propriétaire qui lui confie alors une métairie réduite : la brasserie.
Louis Papy apporte quelques précisions sur le berger landais dans « L’ancienne vie pastorale dans la Grande Lande », publié en 1947 dans la Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest : « Le pâtre de la Grande Lande est spécialisé dans l’élevage des moutons. Un propriétaire l’a engagé pour un an. Il a la charge de faire paître et de soigner son troupeau. Sa rétribution comportera quelque argent, quelques boisseaux de seigle et de millet, quelques cents de sardines, du sel, une toison. »
Pendant son errance à travers la vaste lande, le berger pouvait partager avec quelques compagnons l'oustalet , une maisonnette au confort rudimentaire, comme il s'en trouve à proximité des bergeries perdues. Il pouvait filer ou tricoter la laine de ses bêtes en entortillant la laine brute autour de son bras gauche et la file sur un tourné, « instrument formé de trois petits bâtonnets de brande en croix, suspendu à son poignet droit ».
Le berger landais était aussi le joueur de fifre, le gardien de la tradition orale des contes et légendes et le propagateur des nouvelles.
Berger landais dans la première partie du XXe siècle (Source : Wikipedia). |
Vous allez être surpris : le produit principal recherché des moutons était le fumier.
Le fumier était destiné à fertiliser la terre pauvre et acide des champs. Pour amender convenablement un seul hectare, il fallait entre vingt à trente bêtes.
L'élevage était donc au service de l'agriculture et non pas le contraire. La culture des champs trouvait indirectement sa source dans les maigres richesses de la lande, aujourd'hui disparue qui a cédé la place à la forêt. Ingrate, la lande rase ne pouvait nourrir qu'une bête par hectare. Aussi, le pacage devait-il se réaliser en plusieurs kilomètres quotidiens, afin que les bêtes puissent trouver leur nourriture.
La laine pouvait procurer quelques revenus. La viande des jeunes agneaux mâles ou des vielles brebis était consommée. Les agnelles étaient réservées au renouvellement du troupeau. Quant au lait qui était produit en faibles quantités, il n’était jamais soutiré, mais toujours laissé aux mères pour nourrir leurs agneaux.
La brebis donne seulement deux agneaux dans sa vie : le premier à trois ans, le second à sept ans, l’âge de la "réforme".
En 1850, le cheptel comptait un million de têtes sur l'ensemble des Landes de Gascogne. À cette époque, la lande recouvrait environ 70 % du territoire des Landes de Gascogne.
Bergers landais près du Bassin d'Arcachon, en Pays de Buch, à la fin du XIXe siècle (Source : Wikipedia). |
Le cycle des saisons rythmait les déplacements du troupeau.
Le berger ajustait ses déplacements selon le cycle de la végétation et donc des saisons. Dans la lande sèche dominaient les bruyères (la callune) et les lichens. Dans la lande humide, c’était le règne de la molinie. Entre les deux, le troupeau broutait la bruyère à balai, la fougère aigle et l'ajonc d'Europe. En été, le troupeau partait très loin sur la lande humide.
Chaque nuit, le troupeau se réfugiait dans une des nombreuses bergeries de parcours qui jalonnaient la lande. De cette manière, il était à l’abri et le précieux fumier n’était pas perdu. Toutes les plantes de la lande permettaient aussi de réaliser le soutrage qui, dans la bergerie faisait la litière du troupeau et la matière première du fumier.
En hiver, les bêtes étaient gardées à proximité des quartiers, en zone de lande sèche. Entre Noël et Pâques, c’était la période de l'agnelage. Les mères et leurs agneaux étaient confiés au berger en titre (aouilhé), un homme expérimenté. Les jeunes étaient confiés à un jeune berger débutant. À la fin de l'hiver, il fallait brûler les plantes trop vieilles et trop dures pour la dent des bêtes, ce qui permettait de favoriser la repousse, ainsi qu’une légère fertilisation du terrain par les cendres.
De quoi se nourrissait le berger ?
Pour Victor Gaillard, au XIXe siècle, la classe des bergers est la plus nombreuse comme la plus misérable. « Presque toujours éloigné des habitations, chaque pâtre est ordinairement nanti d'un petit sac de farine de millet ou de maïs, de lard excessivement rance, et d'un chaudron pour apprêter l'inévitable escoton ou faire bouillir son eau dont il corrige l'odieuse qualité avec du vinaigre et un peu de sel ».
Le remarquable blog Landes en vrac, décrit ainsi les deux plats de base des bergers.
· Le millas ou cruchade (en Grande Lande) ou escoton (Marensin, Chalosse).
« Symbole et base de la cuisine pauvre, ce plat paysan ancestral qui a nourri les Landais pendant des siècles n’était rien de plus qu’un mélange de farine de de millet, ultérieurement de maïs doux, et d’eau. On jetait la farine en pluie dans l’eau tiède d’un chaudron et on cuisait, tout en mélangeant, dans la cheminée. La bouillie épaisse obtenue était ensuite étalée et laissée à refroidir dans des assiettes creuses. Coupée en portions, elle permettait alors de saucer, ou en tranches pour tartiner et manger avec du lard frit ou du jus de jambon, en remplacement du pain noir.
Ce fut souvent la seule alimentation de beaucoup de landais, pasteurs, résiniers, paysans, jusqu’au XIXe siècle. On attribua même aux carences qui en résultaient, les troubles cutanés de la maladie de la pellagre observés dans plusieurs villages des Landes aux débuts du XIXème siècle.
Ainsi préparé, il peut aussi être nature ou salé et cuit à la graisse et présenté en galette ou crêpe épaisse. Plus élaboré, sucré et parfumé, mélangé à du lait et œufs, sucré et saupoudré de cassonade, il évolua pour devenir gâteau et dessert traditionnel ».
· L’ancestral plat du pauvre, le panturon : « Était cuisiné avec les bas morceaux et abats des agneaux de lait - la fressure, ou embote (cœur, poumons, foie…) – blanchis et taillés en dés puis liés au sang, et mijotés pendant plusieurs heures dans le vin, formant une sauce noirâtre et grumeleuse assaisonnée d'ail, de piment et de jambon ».
Au XIXe siècle, les moutonniers ont accommodé « ces
abats avec le sang de la bête pour en faire un plat bon au goût et qui tenait
au corps. Le berger pouvait y tremper beaucoup
de pain, parfois frotté à l’ail, pour caler son estomac affamé, alors que les
meilleurs morceaux de l’agneau étaient réservés au « meste ». Le maître...
Pourquoi des échasses?
Citons Victor Gaillard : « Des semaines entières se succèdent, souvent, sans qu'il entrevoie figure humaine. Perché sur de longues échasses qui le grandissent de six pieds, et avec lesquelles il semble né, il enjambe les bruyères, traverse les marais, lutte de vitesse avec les chevaux sauvages du pays, ou erre à l'aventure en tricotant et filant la laine de ses moutons ».
Les échasses n’étaient pas seulement landaises. Elles existaient dans de nombreux pays et sur le continent africain. Elles augmentaient le champ de vision du berger, lui permettaient de se déplacer plus rapidement malgré la difficulté des sols, d’éviter les piqûres d’ajoncs, et de protéger ses pieds des terrains humides. Elles permettaient, non pas de traverser les marécages où elles se seraient immanquablement enfoncées, mais plutôt à les repérer afin de les éviter.
Le bouleversement de la nature landaise a marqué la fin du pastoralisme.
Dans la deuxième partie du XIXe siècle, le dur métier de berger a disparu au profit du dur métier de résinier (ou gemmeur) et d’exploitant de forêts. La sylviculture s’est imposée en quelques décennies. Le berger landais juché sur ses échasses a finalement vécu moins d’un siècle. Il a marqué la culture landaise, grâce à l’originalité de son apparence : échasse, peau de mouton, béret noir (lou capet). De nos jours, de nombreux groupes folkloriques contribuent à la réputation des bergers et perpétuent la tradition des échassiers : danses, jeux, défis sportifs lors des fêtes de village ou des manifestations folkloriques.
Sources
- Abbé J. Beaurredon. Essai de philologie landaise. Bulletin de la Société de Borda (Dax), 12ème année, premier trimestre 1887.
- Louis Papy. « L’ancienne vie pastorale dans la Grande Lande », publié en 1947 dans la Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest.
- Victor Gaillard. L'Habitant des Landes dans Les Français peints par eux-mêmes : Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle. Province : Tome second.- Paris : L. Curmer, éditeur, 49 rue de Richelieu au premier, MDCCCXLII [1842].- 396.- [50] f. de pl. : ill. ; 25 cm.
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