Toujours les mêmes prénoms.

Nos ancêtres manquaient-ils tellement d’imagination au point d’attribuer toujours les mêmes prénoms à leurs enfants ? Non. Il n’y avait que peu de prénoms « disponibles », d’où un nombre d'homonymes important. Nos ancêtres n'hésitaient pas à attribuer au nouveau-né le prénom d'un frère ou d'une sœur, encore vivant ou décédé.

 Jean ou le prestige du saint qui a baptisé le Christ.

 

« Comment t'as appelé le tien ? Jean, et toi ? Jean aussi » | Enluminure extraite de « Vie et miracles de saint Louis » de Guillaume de Saint-Pathus (milieu du XIVe siècle), via BnF.


« L’une des différences fondamentales entre aujourd’hui et la période médiévale tient dans le petit nombre de noms utilisés durant celle-ci. En gros, quatre ou cinq prénoms suffisent pour nommer de 30 % à 50 % de la population ». En raison du prestige du saint qui a baptisé le Christ, Jean a été le prénom le plus porté en France, durant toute la période médiévale. Jean qui a été porté par un garçon sur trois a traversé les siècles pour encore être le plus donné en France jusqu’en 1957 ».

Au fil de notre histoire, les noms germaniques ont cédé la place à des noms latins traduisant la latinisation de l’Europe médiévale. Puis, le nombre de noms de saints s’accroît irrésistiblement. « Au début du XIIe siècle, en moyenne, sur les cinq noms les plus portés, un seul est un nom de saint; à la fin du XIIIe siècle, quatre sur cinq le sont ». « Cette augmentation traduit et recoupe la christianisation en profondeur de la société, et illustre le formidable travail de modelage des esprits qu’a accompli l’Église catholique au fil des décennies ».

 

Avant 1850-1900, les prénoms semblaient figés.


La raison en est un rituel immémorial qui voulait « qu’autrefois, le fils aîné prenait le prénom de son père, la fille aînée celui de sa mère, le second fils celui du grand-père, ou du parrain, la seconde fille celui de la grand-mère ou de la marraine. Bref : vous avez compris : chaque génération transmettait ses propres prénoms à la suivante ».


C’était surtout le cas pour les hommes. En effet, les femmes n’ayant pas à assurer la continuité de la famille, l’onomastique féminine était plus variée, même si en 1700, une fille sur six s’appelait Marie.


Le choix personnel des parents ou leur inclination vers un autre saint du calendrier restait donc une exception, sauf pour les petits derniers dans les familles très nombreuses, après avoir atteint les limites de ce rituel et après avoir été cherché plus loin d’autres parrains et marraines aux prénoms moins courants.


« C’était si traditionnel que, si un veuf s’est remarié plusieurs fois, il donnait son prénom au premier fils de chaque noce ».

C’est cette mathématique des prénoms que nous vérifions dans notre arbre familial qui nous a bien aidés et qui vous aidera probablement, à supposer et à supputer raisonnablement en rétablissant des filiations manquantes…

Toujours selon Marie-Odile Mergnac et Mathilde Morin (La généalogie en 100 clins d’œil, Archives & Culture), « Vers 1810, les deux tiers des garçons se partagent 11 prénoms : Jean, Pierre, François, Louis, Joseph, Antoine, Jacques, Charles, Etienne, Guillaume, André. Et les deux tiers des filles seulement neuf prénoms : Marie, Jeanne, Anne, Françoise, Catherine, Marguerite, Louise, Madeleine, Élisabeth. Même en y ajoutant les prénoms régionaux rares, on ne dépassait pas les 500 prénoms en France, contre plus de 11 000 aujourd’hui.


Au XIXe siècle, on s’habitue peu à peu à donner au bébé un deuxième ou un troisième prénom. Le premier reste traditionnel, mais le second permet aux parents un choix personnel ».

« Bernard, par exemple, semble un prénom si traditionnel qu’on imagine porté autrefois partout. Pas du tout : il était régional jusqu’en 1920, auparavant quasi exclusivement du Sud-Ouest, une zone géographique correspondant à l’ancien fief moyenâgeux de Bernard D’Armagnac. À partir des années 1920, ce prénom essaime dans tout le pays et sa popularité décolle, avec un maximum de naissances en 1947 ».

Certains prénoms ont évolué au fil du temps. Anne n’était pas seulement un prénom féminin comme aujourd'hui, mais il était aussi porté par des hommes. Et vous le savez bien, certains prénoms peuvent désigner un homme et une femme : Claude, Stéphane, Dominique…

 

Enfin, comme pour les noms de famille, l’orthographe des prénoms pouvait changer d’un acte à l’autre, en raison des difficultés avec la lecture et de l’écriture des protagonistes déclarants, témoins, scribes. Une lettre était omise ou ajoutée (un t ou deux) ou bien l’officiant écrivait phonétiquement (o ou au).

 

Voici quelques prénoms et différentes orthographes que vous trouverez surtout dans les registres paroissiaux qui étaient « plus phonétiques » que les registres d’après la Révolution : Madeleine, Magdeleine, Madelaine ; Etienne, Ettienne, Etiene, Estienne ; Jeanne, Jehanne ; Bartelemi Barthélémi… Sans compter les « variations poétiques » : Isabelle pouvait devenir Isabeau ou Élisabeth ou Élizabeth, dans un autre acte.

 

Quand on redonnait au cadet les prénoms des aînés décédés.

 

« Les prénoms participaient de l’identité de la famille en étant réactivés à chaque génération pour mieux exposer la cohérence de ce groupe lignager. D’où la pratique de « l’enfant refait », qui consiste à donner à un enfant le prénom de son frère mort-né ou mort jeune. Il s’agit bien d’affirmer que les individus s’inscrivent dans une continuité qui les dépasse, et la réutilisation du prénom dit la survie du groupe familial ».

« On n’hésitait pas, jusqu’en 1914, à donner le même prénom à plusieurs enfants vivants d’une même fratrie. À l’inverse, dans certaines régions comme le nord de la France ou l’actuelle Belgique, on ne redonnait jamais un prénom si le frère ou la sœur aînée qui le portait vivait toujours. En clair : si deux enfants d’une même fratrie ont le même prénom, le généalogiste a la certitude absolue dans ces régions-là que le premier est décédé, ce qui facilite les recherches ».

 

Les prénoms de l’état-civil n’étaient pas toujours les prénoms du quotidien.

 

« Un piège que ne soupçonne pas le généalogiste débutant, c’est que, jusqu’en 1914 au moins, les prénoms de l’état-civil n’étaient pas toujours les prénoms du quotidien… D’abord, parce que l’état-civil n’était pas pour nos ancêtres quelque chose d’important. Pour eux, l’état-civil, c’était lié au service militaire, à l’administration et aux impôts, donc utile aux fonctionnaires, c’est tout. Pas à la vie courante, à des époques où chacun connaissait ses voisins ».

 

C’est ainsi que notre tante Fernande de Mont-de-Marsan, née en 1919, ne s’est jamais appelée Fernande (en hommage à son jeune oncle Fernand Flocel mort pour la France quelques jours avant l’armistice du 11 novembre 1918), mais Marie ; que notre grand-mère paternelle Marthe se prénommait Marguerite ; que notre père Alphonse (pourquoi ce prénom très peu usité ?) se prénommait Pierre pour l’état-civil (une découverte lors de son décès) ; que j’ai longtemps cherché notre grand-père paternel Alexis, alors qu’il se prénommait Jean comme presque tous nos ancêtres depuis le milieu du XVIIe siècle (mais qui m'a valu de porter Alex en troisième prénom en son hommage) ; que notre grand-père maternel ne s’est jamais appelé Élie (mais pourquoi donc Élie, prénom très peu usité dans la forêt landaise ?), mais Jean, lui aussi, que notre arrière-grand-oncle ne s'est jamais prénommé Herman ou Hierman ou Germain, mais bel et bien Michel et que le cousin Robert s'appelait en réalité Marcel ; que la cousine Marie-Josée se prénomme Huguette ; que Tante Anne se prénommait Jeanne, que le cousin Robert e prénommait Marcel...


Astuce : Lors des recensements, la liste nominative des habitants d’une commune mentionne souvent le prénom de tous les jours déclaré verbalement aux enquêteurs par la famille ou les voisins et non le prénom de l’état-civil qui ne leur est pas toujours connu. Si la date exacte, voire l’année, de naissance figurent également sur ce document, vous n’avez plus qu’à récupérer le prénom officiel dans les archives départementales avec l'acte de naissance.


Dans l’exemple ci-dessous, Robert Dubroca, né le 13 juillet 1913, nous a permis de retrouver son acte de naissance et son véritable prénom qui est Marcel. Il s’agit bien de la bonne personne, comme en atteste la liste de ses proches vivant sous le même toit.

 

Source : AD40 Onesse-et-Laharie-1936-6 M 253.

 

Nos ancêtres ne manquaient jamais d’imagination pour écarter le mauvais œil du nouveau-né en l’affublant d’un prénom qu’ils n’utiliseraient jamais au quotidien et pour compliquer notre travail de généalogiste !

De Jeanne à Marie et de Marie à Jeanne.

 

Ce qui déroute également dans notre partie des Landes, c’est que beaucoup de Jeanne pour l’état-civil de naissance, se voyaient ensuite prénommées Marie dans leurs autres actes de la vie courante : mariage, naissances, décès… C’est le cas de notre arrière-grand-mère paternelle, Jeanne à sa naissance (1859), puis Marie, puis encore Jeanne sur son acte de décès. À notre connaissance, rien ne vient expliquer ce ballet incessant des deux prénoms chez une même personne. Le généalogiste doit donc s’attendre à cette bascule de ces deux prénoms et ne pas hésiter à les attribuer à une même ancêtre ! Jeanne et Marie sont souvent synonymes de la même personne, du moins dans le Sud-Ouest de la France.

 

La raison en était que les voisins le plus souvent illettrés qui déclaraient une naissance ou un décès ne connaissaient que le prénom usuel et pas celui couché sur le registre des baptêmes ou des naissances. Mais aussi, Monsieur le Curé ou Monsieur le Maire, débordés ou distraits, ne se donnaient pas toujours la peine de vérifier le prénom de naissance dans les registres, même quand l’enfant mourrait dans l’année de sa naissance ou suivant sa naissance, alors qu’il n’y avait que quelques pages à tourner pour retrouver le prénom originel !

 

L’exemple de notre arbre.


Au mois de décembre 2023, notre arbre dans sa totalité de 2 400 personnes comportait :

- 331 prénoms masculins différents, dont voici les neuf plus fréquents : 404 Jean, 69 Bernard, 69 Pierre, 51 François, 42 Étienne, 23 Joseph, 22 Arnaud, 21 André.

- 323 prénoms féminins différents, dont voici les neuf plus fréquents : 289 Jeanne, 169 Marie, 71 Catherine, 45 Marguerite, 42 Anne, 19 Françoise, 14 Louise, 12 Elizabeth, 8 Magdelaine.

Parmi les 425 Gaüzère qui ne sont pas tous nos parents, mais qui ont le plus souvent vécu de la terre dans le petit village de Campagne-de-Marsan (un millier d’âmes) situé à une dizaine de kilomètres du chef-lieu du département, voici les prénoms les plus fréquents avec très rarement un deuxième prénom associé : 129 d’entre eux se prénomment Jean (60 % des hommes), 76 Jeanne (36 % des femmes), 33 Marie (16 % des femmes), 19 Pierre, 15 Bernard, 13 Catherine, 11 Dominique (dont une seule femme), 7 Marguerite, 7 André, 5 Elizabeth et 3 Louise.

 

La répétition des prénoms dans notre arbre familial.

 



 

Sources

  • La généalogie en 100 clins d’œil, Marie-Odile Mergnac, Mathilde Morin. Archives & Culture.

  • Monique Bourin et Pascal Chareille. Noms, prénoms, surnoms au Moyen Âge. Édité par Picard. Paris - 2014, ISBN 978-2-7084-0982-8.

  • Source des graphiques : Geneanet.

 



2 commentaires:

  1. J'avais une grand-tante connue dans la famille sous le nom de "Tante Francine". Depuis que je m'intéresse à la généalogie, sur tous les actes d'état-civil la concernant, j'ai découvert que son prénom officiel était Augustine. Rien à voir!!

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