Résiniers et résignés : nos ancêtres de la Haute-Lande.

Dans notre arbre généalogique, une quinzaine d’hommes ont exercé un métier aujourd’hui disparu, celui de résinier (ou gemmeur), soit à plein temps, soit durant une partie de leur vie, soit comme métayers-gemmeurs

Ils ont vécu exclusivement dans la Haute-Lande, dans les villages de Morcenx, Mézos, Onesse-Laharie, Sindères, Escource, Lesperon. Le plus ancien est né en 1817 et décédé en 1866. Le plus jeune né en 1898 est Mort pour la France en 1918. En quoi consistait leur métier ? Quelle furent leurs vies ?

 

La Haute-Lande de nos ancêtres résiniers
La Haute-Lande de nos ancêtres résiniers (Google Maps).

 

Au cours du XIXe et de la première moitié du XXe siècle, le gemmage constituait la principale richesse de la forêt des Landes de Gascogne, un forêt qui s’étend essentiellement sur les départements des Landes et de La Gironde.


Les résiniers de notre « pin » généalogique.

  • Jean Jeantet (1814-1875).

  • Pierre (1817-1866) et Raymond Lestruhaut (1826-1906).

  • Jean Mesplède (1821-1882).

  • Pierre Poudens (ca 1840-1906).

  • Jean Darmayan (dit Labadie) (1854-1906), Jean Darmayan (1882-1964) et Jean Darmayan (1898-1918).

  • Jean (ca 1861- ?) et Augustin Dubroca (1888-1980).

  • Jean (1801- ?), Philibert (1843- ?) et Antoine (dit Auguste) Duluc (1875- ?)

  • Bernard Dubarry (1889- ?).

 

Une activité millénaire.

Depuis plus de 2000 ans, des îlots de forêt spontanée occupaient une grande partie de la région. Le gemmage remonte à l’époque Gallo-romaine, mais le procédé ne s’est généralisé dans les Landes de Gascogne qu’à partir du milieu du XVIIIe siècle.

À proximité du littoral atlantique, les premiers gemmeurs, ou résiniers, entaillaient le tronc des pins par-delà l’écorce marron avec un hapchòt (hache en gascon, ayant l’extrémité recourbée) pour laisser s’écouler la précieuse résine qui était recueillie dans un pot de terre cuite. D’une année sur l’autre, l’entaille était pratiquée en tournant autour du tronc. La résine servait alors à fabriquer une sorte de goudron pour le calfatage des bateaux ou pour l'éclairage.

 

Le gemmage au « cròt »
Gravure de Gustave de Galard, illustrant le gemmage au « cròt » en 1818 à la Teste de Buch en Gironde (Wikipedia).

Puis, avec l’assèchement massif de la vaste zone marécageuse insalubre qu’était la lande et la disparition du pastoralisme des moutons, vinrent les plantations massives de pins maritimes. À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, le gemmage va se généraliser à travers toute la forêt et devenir une activité industrielle importante dans la région jusque dans les années 1950. La résine faisait l'objet d'un commerce international. Après distillation de la résine récoltée qui était entreposée dans de grands fûts disposés à l’horizontale en attendant la collecte par le propriétaire terrien, étaient obtenus deux composés : la colophane (70 %) et l’essence de térébenthine (20 %), utilisés dans l’industrie chimique. 

 

Hapchòt, care et pot sur un pin gemmé

Hapchòt, care et pot sur un pin gemmé, sentier du gemmage de La Salie (La Teste-de-Buch).(Larrousiney, Wikipedia).

 

Cartographie du métier de résinier dans le Sud-Ouest de la France, entre 1800 et 1900

(Source : Geneanet).

 


Enfants, pour allumer le feu de cheminée ou de la cuisinière en fonte, nos parents se servaient des gémelles, fines lamelles de bois de pin coupées par le hapchòt lors de la saignée du pin et enduites naturellement de résine, de véritables torches !

 

 

Le gemmage à l'activée.

Une autre technique fut introduite dans les années 1950. « Le gemmage à l’activée consistait à pulvériser de l’acide sulfurique sur la care augmentant le rendement, mais attaquant le pin en profondeur. L'acide sulfurique maintient les canaux conducteurs de résine ouverts et ralentit la cicatrisation. Le pin réagit à la blessure en produisant davantage de résine. Les piques peuvent être pratiquées à intervalles moins réguliers (15 jours au lieu de 7 au hapchòt) pour une récolte plus rapide (15 jours au lieu d'un mois au hapchòt). L'outil utilisé est une « rainette », incorporant à la fois une lame tranchante de 2 cm de large, servant à pratiquer une pique horizontale sur 10 cm, avant de pulvériser l'acide grâce à un bidon à embout aérosol fixé sur le manche de l'outil. Cette technique a coexisté avec le gemmage au hapchòt dans l'ensemble du massif gascon, jusqu'à la disparition du gemmage en 1990 ».

Ce fut la fin des écureuils qui auparavant venaient s’abreuver dans les pots de résine, l’eau de pluie surnageant au-dessus de la résine plus lourde. Enfants, lors de nos longues balades en forêt, nous buvions cette eau à même le pot, après l’avoir débarrassée des bestioles.
Le gemmage a disparu avec l'avènement des résines de synthèse. De nos jours, la forêt de Gascogne, plus vaste forêt d’Europe, n’a plus qu’une vocation papetière.

 

Présence du métier de résiner dans le temps : de 5 043 résiniers en 1750 à 33 021 en 1850 (Source : Geneanet).

 

Comment vivaient nos ancêtres résiniers ?

 

Il leur fallait vivre au cœur de la forêt, quasiment en autarcie, dans des cabanes, construites pour la plupart en bois de pin. De la misérable cabane isolée dans la forêt, jusqu’au « groupement de quelques cabanes avec des cabanons servant de dépendances pour serrer du matériel, un four à pain, un puit et quelques pieds de vigne, le tout dans une petite clairière. Les habitations sont réparties dans la forêt suivant les différentes parcelles exploitées et sont reliées entre elles par des chemins de sable, parfois recouverts de coquilles d'huîtres ou de grépin ». Le grépin est le tapis d’aiguilles de pins du sous-bois. 

 

Cabane de résinier

Cabane de résinier en tuiles canal, avec bardage et couvre-joints verticaux. Publié par L.L / Carte postale ancienne, domaine public.


Prolétaires de la forêt, résiniers et résignés. 

 



Nos ancêtres résiniers n’étaient même pas propriétaires de leur cabane. Ils n’étaient que de simples exploitants déménageant en fonction de l'évolution de leur contrat. « Les cabanes sont habitées la semaine, et généralement, la famille se rend dans le bourg voisin le dimanche, faire le marché et se retrouver au bistrot ».

Nos ancêtres résiniers ne quittaient leur cabane que pour « porter les fûts de résine sur les quais d'embarcation afin qu'ils soient acheminés à la distillerie, ou pour se rendre en ville le dimanche. Le reste du temps, la famille vit au rythme des campagnes de gemmage, en forêt ». « Au début du XXe siècle, on comptait autant de cabanes que de familles d'ouvrier gemmeur, autant de familles que de « pièces » de pins à résiner ».


Dans ces conditions, il n’était pas question pour leurs enfants d’être scolarisés, et les fils de résiniers n’avaient guère d’autre choix que de rester illettrés, résiniers et résignés en une main d’œuvre servile et très bon marché, pour le plus grand bénéfice des grands propriétaires terriens.


Ces dures conditions de résinier et métayer furent à l’origine du mouvement social dans les Landes.


  • Février 1907 : grève des métayers-gemmeurs à Sainte-Eulalie et à Lit-et-Mixe. Condamnation des grévistes par le tribunal de Mont-de-Marsan.

  • Mars-avril 1927 : grève des métayers-gemmeurs à Ygos et Carcen-Ponson, contre le maintien des corvées et des redevances. En mai : congés contre des métayers " meneurs " des mouvements de mars - avril.

  • Mars 1937 : grèves des métayers-gemmeurs couronnée de succès, pour l’obtention d’un statut légal.

  • 13 avril 1946 : loi votée à l'unanimité sur le statut du métayage (Le député-maire de Mont-de-Marsan, Lamarque-Cando, était le rapporteur de la commission de l'Agriculture).

  • 16 juin 1946 : élection des tribunaux paritaires cantonaux et d'arrondissement, chargés d'arbitrer les contestations entre bailleurs et preneurs lors de l'application de la loi.

  • 10 octobre 1946 : publication par la Préfecture des Landes des contrats-types des baux ruraux de fermage et de métayage.


 Des visites pour découvrir la vie des gemmeurs.


L’association Biscagrandslacs vous propose des visites guidées à la découverte de ce monde disparu.

« Les résiniers de l’association les Gascons de Biscarrosse font revivre un sentier de découverte sur le gemmage. Ils accueillent en été et sur réservation tous ceux qui souhaitent découvrir ou en savoir un peu plus sur la forêt et l’exploitation de la résine. Le Sentier des Résiniers permet à chacun de mieux s’imprégner des conditions de vie de ces travailleurs de la forêt et de leurs familles ».

 

Références

  • Claude Courau, Le Gemmage en forêt de Gascogne, Princi Negre Éditions, Bordeaux, 1995

  • Jacques Sargos, Histoire de la forêt Landaise, L'Horizon chimérique, Bordeaux, 1997

  • Charles Daney et Jean-Christophe Poumeyrol, Cabanes dans le Sud-Ouest, Éditions Cairn, Pau, 2006

 


 

 


 



 

 

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