Comment se soigner en 1880 ?

… et jusqu’au milieu du XXe siècle ? La réponse tient dans le récit d’un médecin landais - Charles Lavielle - intitulé « Essai sur les erreurs populaires relatives à la médecine », présenté à la Société de Borda (1) (Landes) en 1881. Détenteur du savoir officiel de la faculté de médecine, il y traite – en se référant à son expérience - avec condescendance, des méthodes et des croyances héritées de la médecine hippocratique née au Ve siècle avant notre ère et de la médecine cabalistique.

Ce confrère, propriétaire terrien à Peyrehorade (Landes), semble avoir un peu vite oublié que, faute de médecins diplômés et faute d’argent, le peuple était abandonné à lui-même pour tenter de se soigner et de survivre ! Il désigne parfois le paysan landais - cet « invisible » - par l’expression « le vulgaire ». Nous reproduisons ses écrits.


« Les croyances médicales des classes inférieures de la société ne sont que l’écho des doctrines qui ont régné autrefois. Le peuple attribue ses maladies au sang, à la bile, aux glaires, comme le faisaient les médecins du XVIIe siècle.

Si vous avez une maladie du sang, les saignées générales ou locales sont indiquées : si c’est une maladie produite par la bile ou les glaires, il faut avoir recours aux purgatifs ou antiglaires. Enfin, les infections humorales exigent l’emploi des dépuratifs, des sudorifiques, des exutoire, etc. 

Le peuple qui n’a point de repère sémiologique se décide pour tel ou tel remède suivant son caprice ou le conseil des commères qui n’en savent pas plus que lui, et nullement d’après les symptômes de la maladie qui l’est un capable d’interpréter.

Autrefois, et ces temps ne sont pas très loin de nous, les populations des campagnes s’empressaient au commencement du printemps (à la punte de l’herbe) de courir chez le barbier pour offrir le bras à sa lancette. En revanche, les gens du peuple se purgent par précaution ! On ne saurait trop blâmer cette thérapeutique préventive : quand on se porte bien, quand on n’éprouve aucun symptôme qui annonce une maladie imminente, on ne doit pas risquer de perdre sa santé en faisant des remèdes.

La médecine cabalistique nous a légué les colliers contre les vers, les coliques et les convulsions ; les amulettes vantées par les bonnes femmes, et les paroles mystérieuses que prononcent les sorciers et les empiriques ».

« Prenons maintenant l’homme à sa naissance et cherchons les erreurs vulgaires qui se rattachent aux maladies dont il est atteint dans le cours de sa vie ».

 

Hémorroïdes.

« C’est à cette médication que se rapporte le marron d’Inde et la cire rouge à cacheter, comme traitement prophylactique des hémorroïdes. Le marron d’Inde, par son analogie de forme avec les tumeurs hémorroïdaire, la cire rouge à cacheter par sa similitude de couleur, passent auprès de beaucoup de gens, mêmes intelligent, pour des remèdes souverains ». 

 

Clystères pour lavements - Château de Gaujac (Landes) (Source : B-A Gaüzère).


 

Jaunisse.

« Ce même mystérieux rapport qu’il suppose exister entre la maladie et le médicament, explique l’usage banal de la tisane de carottes dans la jaunisse. Il y a une analogie de couleur et voilà le seul motif qui justifie l’emploi de ce légume ».

 

Plaies.

« Les moyens simples et naturels ne sont pas du goût des personnes étrangères à l’art de guérir : il leur faut de l’extraordinaire. Consulter les bonnes femmes sur les moyens qu’on doit opposer aux plaies superficielles produites par un instrument tranchant : celle-ci vous conseillera le persil, celle-là le tabac en poudre, une autre l’eau salée, une quatrième l’essence de térébenthine, d’autres la toile d’araignée, la résine pulvérisée, la fiente de porc, du linge brûlé, de la joubarbe, etc. 

Toutes ces substances sont inutiles : lavez la blessure pour enlever les corps étrangers qui la salissent, arrêtez le sang en versant sur les parties lésées de l’eau froide pure ou additionnée d’une petite quantité d’eau-de-vie, rapprochez les lèvres de la solution de continuité, et la nature se chargera du reste. Les corps étrangers introduits dans les plaies ne font que les irriter et s’opposent à une bonne de cicatrisation ; il faut donc s’abstenir soigneusement de l’usage de tout onguent ou baume qui ne sont propres qu’à empêcher la réunion immédiate en rendant la suppuration inévitable ».

 

Panaris.

« Il est une inflammation à laquelle sont principalement exposés les ouvriers et les gens du peuple et qui entraîne souvent à sa suite les mutilations les plus fâcheuses : c’est le panaris des doigts. Bien différent des autres inflammations par la nature des tissus qu’il affecte, le panaris ne veut qu’on attende pour l’ouvrir l’époque de la maturité. Aucun onguent, aucune pommade ne font avorter un panaris. J’en dirais autant de la cruelle recette qui consiste à fourrer le doigt dans l’eau ou la graisse bouillante. Si quelque chose est capable de faire avorter un panaris, ce sont les cataplasmes, mais, en règle générale, il faut l’ouvrir le quatrième jour au plus tard. Si l’on diffère plus longtemps, la douleur devient lancinante, intolérable, quoique le gonflement augmente peu. Mais la gaine des tendons participe à l’inflammation, et le pus ne pouvant se faire jour à travers la peau trop épaisse, fuse dans des directions variables et fait des ravages dans les parties profondes ».

 

Trousses de chirurgie, musée du Service de santé des armées (Source : B-A Gaüzère).


Phlegmon - Marèye (2).

« Le sel est un des remèdes les plus usité de la médecine vulgaire. S’agit-il d’une plaie, on la lave avec de l’eau salée ? Un individu a-t-il fait une chute d’un lieu élevé ? A-t-il dans un accident, dans une rixe, reçu des contusions ? Vite, on lui fait avaler un verre d’eau salée. Un paysan, va-t-il se faire arracher une grosse dent, il a soin de se munir d’une pincée de sel et il en jette quelques grains dans l’eau avec laquelle il se rince la bouche après l’opération. Cette médication purement prophylactique a pour but de prévenir des accidents inflammatoires et notamment l’apparition de la marèye.

Le paysan attribue généralement la production des fluxions dentaire et des phlegmons de la face et des extrémités des membres à l’imprudence d’avoir traversé un cours d’eau sans porter sur soi un peu de sel. Quand ces inflammations du tissu cellulaire sont accompagnées, ainsi que cela arrive souvent, de douleur profonde, sourde et pulsatile, le peuple trouvant dans le caractère de ses souffrances quelques analogies avec le grondement de la mer, dit que la marèye a envahi la tumeur et qu’il est urgent de la faire disparaître.

Le moyen suivant est généralement employé :

On met dans un pot plein d’eau du foin et neuf cailloux, quelques personnes y ajoute un peigne, un dé et une paire de ciseaux (sans doute pour donner plus d’efficacité au remède). On fait bouillir l’eau, et quand elle bout, on renverse le pot dans un vase avec tout son contenu, et on expose la partie malade à la vapeur du liquide. Le peuple affirme qu’à mesure que la vapeur monte, le mal descend et les neuf cailloux remontent dans le pot renversé !

Je crois que cette burlesque médication, même avec l’addition du peigne, du dé et des ciseaux, n’a jamais guéri aucun phlegmon ; mais ce que j’affirme, c’est que les neuf cailloux sont toujours resté fidèles aux lois de la pesanteur, ils ne se sont jamais avisés de quitter le vase pour remonter spontanément dans le pot ».

 

Verrues et poireaux.

« On sait que les virus sont de petites excroissance qui se développent de préférence sur la peau des mains, du visage et à l’origine des muqueuses ; lorsqu’elles sont pédiculées, on peut les arracher, les exciser ou les lier. Les poireaux pourvus de racines profondes exigent d’autres moyens. On en vante un grand nombre ; nous citerons parmi eux les lotions souvent répétées d’acide acétique étendue d’eau ou bien avec l’eau de Goulard, l’eau phagédénique, l’application de poudre de sabine ou des suc de citron, d’oignons crus, d’euphorbe, de grande chélidoine, etc. Le paysan a une manière particulière d’employer cette dernière plante ; il se sert du sucre âcre de la chélidoine pour corroder les verrues, mais afin que cette petite opération soit couronnée de plein succès, il y ajoute un brin de merveilleux. À cet effet, il place la tige de la plante dans la crevasse d’une muraille où elle se dessèche à l’abri de la lumière en même temps que les verrues s’atrophient et tombent.

 

Voici un moyen que j’ai vu employer par un campagnard et qui je dois le reconnaître, n’a pas réussi : on enveloppe dans un linge autant de pois qu’on a de verrues et on le jette dans un chemin assez fréquenté ; celui qui ramasse le petit paquet contracte les verrues, tandis que celui qui les avait en est débarrassé ! Le remède suivant ne me paraît pas plus efficace : prenez une anguille vivante, coupez-lui la tête et frottez les verrues avec le sang qui découle de la plaie, enterrez la tête du poisson, et quand celle-ci sera décomposée et putréfiée, tous les poireaux disparaîtront.

 

Voici deux autres recettes non moins grotesques. Prendre un jeune crapaud, l’enfermer dans un sachet de toile et le mettre dans une des poches de l’individu atteint de verrues : celle-ci disparaîtront peu à peu, et quand le crapaud sera complètement desséché, elles n’existeront plus. Frictionner les verrues avec une canne de lard, et cacher soigneusement celle-ci, de façon à ce que personne ne puisse la découvrir : pratiquer ces frictions pendant neuf jours, au bout desquels on enfouit le lard dans la terre pour l’y faire décomposer ».

 

Vers.

« Les vers jouent un très grand rôle dans la pathologie de la première enfance, et c’est à leur présence que les mères attribuent la plupart des accidents qui arrivent à leurs enfants. Il est peu d’affections cérébrales, gastriques ou nerveuses qui ne soient attribuées à la présence des vers : de là, dans beaucoup de familles, distribution mensuelle de la drogue aux vers à tous les enfants malades ou bien portants : de là, nombre incalculable de recettes pour chasser et détruire ces parasites : collier d’ail, jus de citron mélangé à l’huile, essence de térébenthine, tisane d’absinthe, lavement de lait, etc. Ce système est tout à fait à la fois commode et économique, s’il n’est pas plus raisonnable que ces aînés, car dix centimes de semen-contra (3) ou de mousse de Corse dispensent d’aller au médecin qui souvent n’est appelé que pour constater les progrès irrémédiables d’une maladie aiguë.

 

La foi dans les parasites qui vivent à nos dépens et très vives parmi les gens du monde. Cependant, il importe de savoir que dans l’immense majorité des cas, l’existence des lombrics dans le tube intestinale, et même celle du ténia ne produit absolument aucun effet morbide. Les autopsies prouvent tous les jours que des gens qui jouissaient de la meilleure santé portaient de ces parasites dont rien n’annonçait la présence ; mais il est vrai aussi de dire que, sans doute par une disposition particulière, par une sorte d’idiosyncrasie, ces mêmes vers qui sont innocents chez le plus grand nombre, déterminent chez quelques-uns des accidents graves et variés qui disparaissent après leur expulsion.

 

Le peuple est convaincu que les vers intestinaux sont très friands du lait, et cette croyance populaire explique le nombre considérable de recettes vermifuges donc celui-ci est la base. Tantôt, on y fait refroidir un fer rougi à blanc ; tantôt, on le fait bouillir avec des gousses d’ail, et ces préparations sont administrées aux enfants. On emploie aussi des lavements de décoction de figues de lait sucré dans le but d’attirer les parasites dans la partie inférieure du tube digestif et de favoriser ainsi leur expulsion. Il est même des femmes assez naïves pour tenir le siège des enfants au-dessus de vase de lait chaud et sucré, dans l’espérance que les ascarides alléchés par le fumet de laitage vont émigrer et venir prendre part au repas préparé pour eux. Inutile d’ajouter qu’aucun ver intestinal ne s’est laissé prendre à ce piège, et que les lavements de lait comptent peu ou point de succès.

 

Quand les remèdes internes et externes n’ont pas réussi à chasser les vers intestinaux, on a recours aux grands moyens de la Conjuration, c’est-à-dire qu’on exorcise et qu’on conjure ses parasites, comme au Moyen-Âge, on évoquait et chassait les mauvais esprits. Cette conjuration comporte plusieurs procédés. Voici le plus fréquemment employé : on écrit quelques phrases dans une assiette de faïence ; quand l’encre est sèche, on y verse du vin blanc avec lequel on efface l’écriture, et on fait avaler le mélange à l’enfant.

 

Le deuxième procédé, peu connu, est exploité par certains individus qui se gardent de le divulguer pour en conserver le monopole. On prend une cuiller en plomb ou en métal et avec la pointe d’un couteau, on creuse sur le dos de cette cuiller une petite croix. En même temps le conjurateur récite les trois versets suivants tirés du livre de Job :

  • J’ai dit à la pourriture : vous êtes mon père, et au ver : vous êtes ma mère et ma sœur.
  • Combien plus le saura un homme (pur devant Dieu) qui n’est que pourriture, et le fils de l’homme qui n’est qu’un ver de terre ? Néanmoins, ils dormiront tous également dans la poussière du tombeau, et les verts les couvriront.

 

Puis il râpe l’enduit de la cuiller occupé par la croix, et en fait tomber les débris dans un verre de bon vin blanc avec l’index de la main droite et pendant qu’il récite la même oraison, il fait tout au-dessus du verre trois croix correspondant aux trois versets, et il administre le vin à petite dose au jeune malade.

 

« Voici enfin une troisième recette aussi simple qu’économique, qui est employée par un sorcier de la contrée. Il fait trois croix sur le ventre du malade en disant quelques phrases en latin. Je n’insiste pas davantage sur cette ridicule conjuration des vers ».

 

Colique des enfants en bas âge.

« Un remède vulgaire est très employé contre la colique des enfants en bas âge est celui-ci : frotter le ventre avec de l’huile tiède et placer en croix de feuilles de poireaux ».

 

Entérocolite et diarrhée.

« Contre l’entérocolite et la diarrhée, on emploie des feuilles de bardane que l’on enduit d’huile d’amande douce et que l’on applique sur l’abdomen du malade ».

 

Hydrocéphalie.

« L’hydrocéphalie est, ainsi que l’indique son nom, un épanchement de sérosités qui se forment dans l’intérieur du crâne et du cerveau : elle est caractérisée principalement par l’augmentation de volume de la tête. Quoi que le vulgaire ne se rendent point compte de la nature de cette affection, il sait que c’est une maladie grave ; aussi, quand un enfant à la circonférence de sa tête supérieure à celle de sa ceinture, on a l’habitude d’aller, à trois reprises, introduire la tête du petit malade dans une souche creuse ».

 

Maladie des yeux.

« Un moyen très usité pour traiter les orgelets et les blépharites chroniques consiste à toucher neuf fois les paupières malades avec un anneau de jeune mariée, en faisant chaque fois une croix sur la partie affectée. La seule condition pour le succès de cette manœuvre, c’est que l’anneau doit appartenir à une femme dont la conduite a été irréprochable.

Quand l’œil est atteint d’ophtalmie aiguë, avec opacité de la cornée, le peuple prétend qu’il est affecté de la Maille, et que pour conserver la vision, il faut s’enlever cette maille. Pour cela, il faut laver l’œil avec un collyre composé de la façon suivante : prenez un demi-litre de vin blanc, mélangez-le avec un verre de miel, et faites macérer avec une poignée de chélidoine, cerfeuil et anagallis (mouron). Passez et filtrez ».

 

Maladies de la peau.

« Le traitement de quelques maladies de la peau donne lieu à certaines pratiques les plus ridicules. Sans parler de l’eau salée et du sucre de l’asphodèle qui sont employés d’une manière assez banale contre les infections squameuses la forme légère et mal défini appelées en patois Lazons, je citerai le remède suivant indiqué pour ces dermatoses : frotter la partie malade avec la face interne de l’oreille d’un âne si le patient est du sexe masculin, et d’une ânesse dans le cas contraire ».

 

Zona.

« L’herpès zoster ou zona (en patois Cintre) est ainsi nommé parce qu’il apparaît le plus ordinairement sur un des côtés du corps, sous la forme d’une bande demi-circulaire plus ou moins large, formée par plusieurs groupes arrondis ou ovales de vésicules agglomérées et entourées d’une auréole plus ou moins rouge. C’est certainement de toutes les maladies ordinaires de la peau la plus singulière, ne fusse que par cette délimitation à la ligne médiane qui n’appartient qu’à lui. Néanmoins, en tant qu’éruption, le zona est généralement assez bénin et parcourt régulièrement ces périodes dans l’espace d’un à deux septénaires. Sous ce rapport, il appartient à cette catégorie, plus nombreuse qu’on ne pense d’affections qui se résolvent spontanément, qui ne réclament, d’ordinaire, aucun traitement actif, et qui, se terminant d’une manière presque toujours heureuse, donnent beau jeu à toutes les inventions de remèdes d’une efficacité plus que douteuse, alors même qu’il ne crée pas de fâcheuse complication, nonobstant lesquelles, pourtant, le mal se résout favorablement.

Le traitement médical du zona consiste en général en poudres inertes et en onctions calmantes, et sous l’influence de ces moyens, la maladie se dissipe en peu de jours.

 

Et bien ! Le peuple est convaincu que le cintre est une affection dangereuse et maligne et qu’elle devient funeste lorsqu’elle formule une ceinture complète autour du corps. Cette dernière croyance remonte à Pline le naturaliste ; mais des milliers d’observation qui prouvent que cette assertion est inexacte.

Le vulgaire a recours dans le traitement de cette infection à un moyen qui est universellement adopté : ce moyen consiste à se faire porter sur le dos d’un individu qui a déjà eu le zona, et qui par ce fait, a le don de le guérir. Si le malade est du sexe masculin le porteur sera du même sexe ; si c’est une femme, elle sera portée par une femme. Le patient se hisse sur le dos de son pseudo-médecin, et celui-ci fait neuf pas en avant et neuf pas en arrière. Cette opération est accomplie plusieurs fois à deux jours d’intervalle, suivant la ténacité du mal, et elle a plus de chance de réussir quand elle est pratiquée le soir, après le coucher du soleil, à l’intersection de quatre chemins, et en l’absence de tout témoin ».

 

Prurigo.

« Les gens de la campagne donnent le nom de Broc (épine) au prurigo, et par extension à plusieurs infections cutanées qui sont accompagnées de très vives démangeaisons. Au lieu de recourir à des remèdes extérieurs dont les effets sont le plus constamment avantageux dans ce cas, le paysan use d’un moyen aussi simple qu’inoffensif : il fait recueillir un paquet d'ononis spinosa, vulgairement nommé Brugane ou arrête-bœuf, par un individu du sexe et autant que possible de l’âge du malade, et il suspend la plante sous le manteau de la cheminée (la tige de l’ononis est pourvue de longues et fortes épines, et cette organisation explique son emploi dans cette affection). Le prurigo disparaît et se flétrit en même temps que Brugane se dessèche. Cette pratique excentrique offre un nouvel exemple de ces affinités mystérieuses pour lesquelles le peuple à tant d’attrait. Il y a un rapport entre le remède et mal, analogie de sexe et d’âge entre le patient et celui qui recueille la plante ; c’est le cas de dire : Similes similibus gaudent ».

 

Coryza (rhume de cerveau).

« Le peuple désigné encore sous le nom de rhume de cerveau, l’inflammation de la muqueuse qui tapisse les fosses nasales. Ce mot impropre remonte à une Haute antiquité. Il a été créé à une époque où l’on supposait que les fluides qui baignent les cavités des ventricules cérébraux viennent se rendre dans les fosses nasales en passant par les trous du sphénoïde et de l’ethmoïde.

On n’avait encore point réfuté cette opinion au XVIe siècle, car Fernel, Premier Médecin du roi Henri III l’a reproduite dans son traité de physiologie. Mais il y a longtemps que les anatomistes ont démontré que le cerveau est enfermé dans une cavité close de toute part, qu’il n’existe aucune communication entre la boîte crânienne et les fosses nasales, qu’il est physiquement et physiologiquement impossible que les organes contenus dans le crâne fournissent la sécrétion qui accompagne les soi-disant rhumes de cerveau et que les mucosités qui sortent par le nez proviennent exclusivement de la membrane pituitaire ».

 

Épistaxis (saignements de nez).

Mettre un fil de soie au doigt annulaire de la main gauche et faire neuf nœuds. Il faut que l’opération soit faite par une personne de la même condition et du même sexe que l’individu atteint d’hémorragie.

 

Épilepsie (mal de terre).

« Dans quelques cas d’épilepsie, l’attaque est annoncée par une sorte de frémissement douloureux (aura) qui commence dans une partie quelconque du corps, parfois de l’extrémité dans le membre, se porte à l’estomac et au cerveau, et semble déterminer l’accès. Les anciens médecins ont proposé d’appliquer une forte ligature au-dessus de la partie qui paraît être le point de départ de l’aura. D’autres ont conseillé d’enlever ou de détruire cette même partie afin d’empêcher l’explosion de l’attaque. Cette pratique est tombée dans le domaine public, et aujourd’hui quand un individu, enfant ou adulte, a une attaque convulsive (éclampsie épilepsie, hystérie), on s’empresse de lui faire une incision transversale à la phalangette de l’auriculaire. Cette opération n’a de succès autant qu’elle est pratiquée dès le premier accès. J’estime qu’elle a très rarement donné de bons résultats.

Voici encore une recette recommandée contre cette terrible maladie. On prend une jeune taupe, on la saigne à l’oreille gauche le premier vendredi de la lune ; on mélange ce sang à de la tisane, et le malade avale le tout. Je doute que ce remède bizarre soit plus efficace que le précédent ».

 

Trousses médicales, musée du Service de santé des armées (Source : B-A Gaüzère).

 

Lait répandu.

"Il n’est point d’humeur à laquelle les anciens médecins aient fait jouer un aussi grand rôle que le lait. La bile et le lait étaient pour les humoristes les deux causes principales de la plupart de nos maladies. Cette théorie était, en effet, très commode pour les médecins qui n’étaient jamais embarrassés pour répondre aux questions perpétuelles des patients sur les causes de leur maladie. Ce jargon avait aussi un grand avantage pour les malades qui accueillaient d’autant plus volontiers les idées humorales qu’elles conduisaient nécessairement à l’usage des évacuants, des sudorifiques et surtout les purgatifs, moyens dans lesquelles la plupart des hommes qui n’ont aucune connaissance médicale ont toujours une très grande confiance.

 

Le système des humeurs, après avoir longtemps prévalu dans les écoles, a passé de la pratique médicale dans celle du vulgaire et a donné naissance à une foule d’erreurs populaires sur la bile et le lait et sur les maladies qui en dépendent.

 

Ainsi, il est peu de préjugés plus universellement admis que celui du lait répandu. Quelques temps après l’accouchement, les organes que le fœtus a traversés deviennent le siège d’un écoulement que les commères attribuent à un écoulement de lait. Quand une femme succombe à une métro-péritonite puerpérale, on trouve dans la cavité abdominale un liquide lactescent dans lequel nagent quelques flocons de fibrines concrétée, et l’on croit que c’est du lait venu des mamelles ; or, ce liquide, pas plus que les lochies ne renferment ni caséum, ni beurre, ni sucre, substances qui entrent constamment dans la composition du liquide sécrété par les glandes mammaires. Cette erreur anatomique a engendré le préjugé populaire des maladies produites par du lait répandu dans le corps, et qui sont particulièrement des rhumatismes chroniques, si fréquent chez les femmes qui ont eu des enfants, ou des névralgies".

 

Fièvre intermittente.

" La fièvre intermittente est peut-être l’affection dont le traitement a engendré le plus de préjugés populaires. Ignorant ou ne pouvant comprendre que la fièvre est produite par des émanations paludéennes ou telluriques, le paysan cherche la cause ailleurs et s’ingénie a trouver des moyens économiques pour se débarrasser d’un mal qui atteint souvent plusieurs membres de sa famille : de là, cette richesse de recettes plus ou moins excentriques et donc je me bornerai à citer quelques-unes.

  • Entourer le petit doigt de la main gauche avec la membrane qui enveloppe le blanc d'un œuf de poule et serrer fortement avec un fil de soie.
  • Tailler les ongles des vingt doigts du malade, recueillir les débris, les incorporer à de la viande de façon à en faire une boulette que l’on donne à un chien. Celui-ci avale la pilule, et avec elle la fièvre du malade qui est complètement guéri. Prendre neuf perles d’ail et un peu d’oseille, hacher menu, et jeter dessus un petit verre d’eau-de-vie ; faire macérer au serein pendant une nuit, et avaler le tout au matin à jeun. Ce remède doit être pris pendant neuf jours consécutifs.

 

On a pu remarquer que le nombre neuf apparaît fréquemment dans les recettes populaires, car le vulgaire a une préférence marquée pour les nombres impairs, notamment trois et neuf. Ainsi, car le paysan prend une tisane, des bains, des douches, ou un remède quelconque, c’est toujours en nombre impair. Ce culte pour certains nombres remonte probablement à Pythagore qui trouvait, dit-on, dans l’arrangement des chiffres, quelque chose de divin. Il est aussi des heures néfastes, surtout pour la naissance ; et s’il faut en croire beaucoup de bonnes-femmes, l’enfant qui vient au monde à midi ou à minuit est fatalement voué à un avenir malheureux. En réalité les superstition attachées à tel nombre ou à telle heure n'ont aucune excuse, car elles n’ont pas de raison d’être".

 

Lumbago.

"Certaines personnes ont la prétention de se préserver des douleurs lombaires en portant autour du corps une ficelle en chanvre. Je signalerai un moyen plus énergique mis en usage contre le lumbago : on se couche à plat ventre, et une femme monte trois fois sur votre dos et vous piétine trois fois le bas des reins ; seulement, il faut que la femme ait mis au monde deux jumeaux. Cette méthode qui n’est qu’une contrefaçon grossière et brutale du massage, s’applique aussi aux entorses".

 

Variole hémorragique ou variole noire.

"Dans les cas heureusement fort rare, de variole hémorragique, quelques personnes prescrivent de placer sous le lit du malade un vieux pot de graisse renfermant plusieurs crapauds".

 

***

 

(1) La Société de Borda fondée le 25 janvier 1876 et toujours vaillante en 2024 publie régulièrement un bulletin depuis sa fondation. Les articles écrits par des érudits locaux - dont de nombreux ecclésiastiques - m’ont permis de glaner beaucoup d’informations sur cette région occupée par mes ancêtres et de mieux appréhender leur vie quotidienne dans le contexte difficile de l’époque.

 

(2)   Mouvement des vagues.

 

(3)   Substance vermifuge, d'une saveur amère, d'une odeur forte, d'une teinte verdâtre, composée des capitules de diverses espèces d'armoises.


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Sources

 

Essai sur les erreurs populaires relatives à la médecine par M. Ch. Lavielle.



 



1 commentaire:

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