Les fièvres dont souffraient nos ancêtres landais au XIXe siècle.

"Petit et maigre, le Landais a le teint hâve et décoloré, les cheveux noirs et lisses, les yeux plombés et la physionomie morne". " Malgré sa constitution frêle, délicate et consumée par la fièvre durant la majeure partie de l'année...". De quelle fièvre parlons-nous ? Était-elle responsable de cet état ?

Le paludisme dans les Landes et en France : un peu d’histoire.

Appelée aussi la fièvre des marais, la malaria (de l’italien mauvais air) ou paludisme est due à un parasite propagé par les moustiques femelles, les anophèles, lors de la piqûre. Le parasite, une fois dans l’organisme, provoque l’éclatement des globules rouges, et donc une intense anémie (d’où l’aspect pâle ou jaunâtre des paludéens), ainsi que l’atteinte de différents organes pouvant conduire à la mort.

Jusqu’au XVe siècle, toutes les fièvres étaient dénommées « peste ». À l’époque romaine des foyers de fièvre étaient connus : le Bordelais, la Corse, les Flandres, la Vendée, mais il semble que les Landes et le pourtour méditerranéen étaient indemnes. Pendant des siècles, les fièvres s’étendirent alors à toute la France, frappant indistinctement les monarques et le peuple et décimant la population des villes et des campagnes. À tel point qu’en 1800, toute la France était infectée par le paludisme.

Depuis le XVIIe siècle, le paludisme et toutes les fièvres, étaient traitées par la « poudre des Jésuites », extraite de l’écorce d’un arbrisseau d’Amérique du Sud : le quinquina. Puis furent découverts d’autres médicaments, mais de nos jours, la quinine reste encore largement efficace dans le traitement du paludisme.

Le Français Alphonse-Charles Laveran identifia le parasite en 1880 à l’hôpital militaire de Constantine (Algérie). Puis en 1897, l’Anglais Ronald Ross attribua son origine au moustique qui transmet le parasite en piquant l’Homme. Tous deux obtinrent le prix Nobel de médecine.

 

Écorces de quinquina (Cinchona officinalis, Rubiacées). H. Zell - Travail personnel.

Le lien entre moustique et paludisme étant désormais établi, partout en France furent alors effectués les travaux d’assèchement, d’irrigation, puis de reboisement. Ces travaux entraînèrent une régression spectaculaire du paludisme, en supprimant les gîtes des larves de moustiques, car vous l’ignorez peut-être, mais la femelle moustique doit impérativement pondre ses œufs dans l’eau stagnante. Pas d’eau, pas de moustique, pas de paludisme.

 

Comment nos ancêtres landais du XIXe siècle se soignaient-ils ?



Avant leur assainissement et leur boisement par le pin maritime sous le Second Empire, les Landes étaient en partie couvertes de marécages. Le paludisme endémique qui y régnait minait la santé des populations, les « fièvres intermittentes » étant le lot commun des habitants d'une contrée alors déshéritée. « Les habitants y sont pâles, maigres et terreux et débilités, et portent de bonne heure tous les signes de vieillissement précoce ». Paludisme, fièvre typhoïde, autres fièvres…

Guy Devaux, dans son article intitulé « Le traitement des fièvres dans les Landes au XIXe siècle », aborde le traitement des fièvres dans les Landes au XIXe siècle.

« Un intéressant témoignage sur le traitement des fièvres dans les Landes au XIXe siècle nous est donné par Pierre-Oscar Réveil (1821-1863). Landais d'origine, puisque né à Villeneuve-de-Marsan, un moment élève chez le pharmacien Hector Serres à Dax, il deviendra pharmacien des hôpitaux à Paris, ainsi qu'agrégé à l'École supérieure de pharmacie, puis à la Faculté de médecine. Réveil nous renseigne tout d'abord sur l'emploi massif du sulfate de quinine, thérapeutique évidemment parfaitement logique depuis sa codification à Alger en 1834 par le médecin militaire François Maillot ».


« Dans le département des Landes et dans une partie de celui de la Gironde, les fièvres intermittentes sont endémiques ; chaque habitant paye forcément son tribut au moins une fois dans sa vie et il est atteint de ces fièvres qui résistent à tout, sauf au quinquina et à l'acide arsénieux ; mais le quinquina et le sulfate de quinine coûtent cher, et cependant la consommation est telle que la provision de tel pharmacien de Dax ou de Mont-de-Marsan suffirait au réapprovisionnement de toutes les pharmacies du département de la Seine : je connais des pharmaciens dans ce pays qui achètent le sulfate de quinine par deux et trois kilos à la fois et, étant élève à Dax il y a vingt-deux ans, celà m'est arrivé de vendre dans un jour plusieurs onces de sulfate de quinine sous forme de pilules ou de boulettes comme les appellent nos paysans ».

« Il faut que vous sachiez, poursuit Réveil, que dans la Grande Lande il y a plusieurs usines occupant 600, 800 et 1 000 ouvriers et que le chef de l'exploitation a toujours des pilules à la disposition des fiévreux ».



« Mais à côté des traitements scientifiques pour combattre ces fièvres, le recours à l'irrationnel ne manquait pas de séduire les populations des campagnes et Réveil nous en rapporte un curieux exemple ». Réveil écrit dans le même article : « Les bateleurs parcourent le pays traînant à leur suite des ours énormes, domptés et muselés ; l'industrie de ces individus consiste à faire combattre ces animaux avec les chiens dans les foires et marchés, mais leur principale source de bénéfices consiste à les employer comme fébrifuges. En effet pour 25 ou 50 centimes selon les bourses, il s'agit de placer le fébricitant au moment de l'accès, ou quelques instants auparavant, sur un ours, et à faire faire à celui-ci neuf pas, ni plus ni moins ; eh bien messieurs, je tiens ceci de médecins recommandables, et j'ai vu souvent appliquer la méthode ; ce moyen guérit très souvent ces fièvres de saison dont je parlais il y a quelques instants. Nous savons tous qu'il n'y a pas là autre chose qu'un ébranlement subit produit par la peur, et qui détermine la cessation des accès qui serait venue d’elle-même quelques jours plus tard
».

" Mais, chose singulière, dans ces contrées où tous les habitants des campagnes sont sous l'influence permanente des miasmes paludéens, où chaque individu a eu la fièvre tierce ou quarte un ou six mois, quelques jours avant d'avoir assisté au spectacle dont je vous parlais, ces individus, dis-je, dont la constitution est profondément altérée, dont le terrain cachectique est tout prêt à laisser germer le miasme, prennent quelquefois, m'a-t-on assuré, des accès de fièvre, à la suite de l'ébranlement que produit chez eux la vue d'un animal réputé féroce. Eh bien ! messieurs, à mon avis, l'ours est fébrigène comme le sont nos eaux minérales... ".


La lutte contre les marécages ou supprimer l’eau pour supprimer les moustiques et le donc paludisme.

La fixation du cordon dunaire finalisée par Brémontier, ingénieur forestier de la fin du XVIIIe siècle, visait à protéger les villages de l’arrière-pays de l’avancée inexorable du sable. Jean Baptiste Peyjehan jeune (1853 - 1803), avait déjà effectué de nombreux travaux dans ce domaine pour le compte du Captal de Buch, François de Ruat.

La loi du 19 juin 1857, relative à l'assainissement et à la mise en culture des Landes de Gascogne, entraîna la plantation d’un million d’hectares sur des terrains majoritairement privés sous l’égide de l’ingénieur des Ponts et chaussées, Jules Chambrelent, dans un triangle allant de Soulac (Gironde) à Capbreton (Landes) et à Nérac (Lot-et-Garonne).

La finalité était d’assainir cette vaste région humide marécageuse en l’asséchant. Une manière efficace de supprimer les moustiques qui y pullulaient et transmettaient le paludisme aux populations. Le pin maritime avait été choisi pour sa présence naturelle dans le secteur et pour sa capacité d’adaptation au sol landais. Un seul pin pompe environ 200 litres d’eau quotidiennement.

Selon Patrice Bourée (La lutte contre le paludisme en France au cours des siècles) : « Au XXe siècle, la poursuite des travaux permet l’éradication de cette affection, malgré sa répartition encore large en Europe au début du siècle. En 1911, de nombreux foyers sont éteints ou plutôt somnolents, car ils vont réapparaître à la moindre occasion. En effet, la première guerre mondiale entraîne le réveil des foyers (2 000 cas autochtones) : Flandres, Somme, champagne, Provence, côte Atlantique, Bretagne.

Plusieurs facteurs en sont responsables : l’abandon des cultures, la présence de troupes africaines en particulier dans les lieux inondés et le retour des soldats français de Macédoine (7 000 cas de paludisme).

La maladie va de nouveau régresser, avec cependant quelques foyers résiduels : Camargue, Vendée, Flandres, Bordelais, région parisienne, Corse.

Au cours de la deuxième guerre mondiale, la réapparition du paludisme est notée dans le Roussillon, et en région parisienne, en Camargue, et à Lille.

Enfin, il faudra attendre 1960 pour voir disparaître les deux derniers foyers : Camargue et Corse ».



Conclusion

Tel que constaté à notre époque dans certaines régions d’Afrique, le paludisme affecte particulièrement les femmes enceintes qui donnent naissance à des enfants de petits poids, les enfants de moins de cinq ans qui n’ont pas encore fait leur semi-immunité contre la maladie et les adultes qui restent anémiés et donc affaiblis.

L’impaludation chronique des Landes au XIXe siècle explique donc en partie la description de ses habitants : « Petit et maigre, le Landais a le teint hâve et décoloré, les cheveux noirs et lisses, les yeux plombés et la physionomie morne [...] Ses traits impassibles, que le sourire anime peu, ont une expression méditative analogue à celle remarquée chez certains maniaques [...] De l'apathie portée au plus haut degré, et un excès de misère tel, qu'il émousse jusqu'au sentiment du malaise, les rendent incapables d'énergie, et pour ainsi dire de réflexion ».

 

Sources

 

  •  P.- O. Réveil, « Sur l'arsenic dans les eaux minérales », Ann. Soc. HydroL 1863, 9, 203-218

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Article épinglé

Analphabétisme et illettrisme dans les Landes à la fin du XXe siècle.

« Au point de vue de l’instruction primaire, le département des Landes, a été jusqu’à ce jour très arriéré. En 1892, le c...

Articles les plus consultés