La lecture de l’article de Bernard Traimond (enseignant-chercheur d'anthropologie, né à Soustons, Landes) - dont est très largement inspiré de billet - nous éclaire à ce sujet. Cité en référence, il traite de l’évocation des Landes par les voyageurs du XVIIe au XIXe siècle et de la construction du mythe du désert exotique.
Des dromadaires ont même été introduits dans les Landes, par analogie avec la conquête de l’Algérie.
Les descriptions insistent sur le caractère étrange des habitants dont la langue ressemble à celle des Tartares.
Ainsi, en 1644, Louis Coulon dans Les Rivières de France, écrit : « Le langage des habitants vous espouvante et s’il n’avait que qu’air d’humanité sur leur visage ou qu’ils parlassent sans être vu, on les prendrait plutôt pour des Tartares que pour des sujets du Roi de France ; il semble que leurs paroles soient des exorcismes de Saint-Éloi et que toutes les lettres dont ils forment leurs mots soit gutturales qui ne peuvent sortir de la bouche en escorchant la gorge ».
Les habitants s’échappent à l’approche des voyageurs. Plus tard, l’utilisation des échasses amplifiera encore cette étrangeté.
Claude Masse 1715 (manuscrit) : « Nous ne vîmes pendant ce temps que quelques bergers qui fuyaient lorsque nous les appelions à cause que nous portions des chapeaux ; ensuite, le premier homme que nous vîmes fut un vieillard qui se cacha aussitôt dans un buisson et que nous n’aurions pu joindre s’il avait pu courir ».
"Le désert du Sinaï est le pays entre Bordeaux et Bayonne".
Dans son dictionnaire philosophique de 1769, Voltaire n’hésite pas à écrire que « le désert du Sinaï est le pays entre Bordeaux et Bayonne ». Le pays se trouva ainsi caractérisé pour plus d’un siècle par cette image exagérée de désert, chaque fois reprise dans ses descriptions, aucun auteur n’osant contredire Voltaire !
« Il est vrai qu’au XVIIIe siècle, le regard ne rencontrait plus le moindre obstacle depuis le grand froid de 1709 » qui avait détruit une bonne partie du massif forestier, car les pins peuvent geler et en crever.
En 1798, Grassé de Saint-Sauveur évoque les Landais : « Ils habitent dans des cabanes isolées, mal construites, et encore plus mal meublées : la plupart ne sont même que des tentes afin de pouvoir plus facilement les transporter de lieu à l’autre ».
Les Landes au XIXe siècle (photographie de Félix Arnaudin). |
Au XIXe, tout le midi de La France apparaît comme un monde à part.
Alexandre Dumas mentionne « Le teint arabe et le sang espagnol », Michelet déclare tout de go « La vraie France c’est la France du Nord ».
Mary-Lafon, l’auteur de L’histoire du midi de la France, en visite dans les Landes en 1857, s’exclame : « Cette fois-ci, plus d’équivoque, nous voici en plein Sahara ». Traimond en donne une explication : « Le passage vers un autre monde, l’Afrique, ne peut se faire qu’en traversant un espace de transition nécessairement original ». Cet espace de transition est tout trouvé : Les Landes !
Au XIXe, le naturaliste Bory de Saint-Vincent atteste que « la surface des grandes Landes est sujette à un mirage qui ne sait : par ses effets les plus extraordinaires à celui des desserts de Égypte ou d’Arabie ».
Selon le journal l'Illustration du 1er mars 1847. « Il existe, à l'une des extrémités de la France, un pays exceptionnel, pays aussi singulier par son aspect que par les mœurs des populations qui l'habitent, pays plus inconnu pour la plupart d'entre nous que les crêtes des Apennins ou les déserts de la Thébaïde; ce sont les Landes ».
Traimond rappelle : « Il y a eu des périodes de disette en 1748 ou en 1778. À partir de 1868, la situation alimentaire est également devenue alarmante. Le prix de la résine s’effondre, ce qui réduit brusquement et considérablement les revenus des propriétaires et de leurs métayers. Les vols, marque de la misère générale, deviennent (aux yeux des possédants) un véritable fléau. On ne laisse rien dans les jardins ; le seigle en gerbe dans les champs n’est pas en sécurité le maïs aussi. En 1870, on parle de grande misère. En 1871, la sécheresse est telle que la récolte de seigle est nulle et celle de l’automne brûlée. Les Bruyères ne fleurissent pas, ce qui fait périr les abeilles. Ce n’est qu’en 1872 que les récoltes deviennent plus abondantes ».
Mais il nuance ses propos (Traimond 1987 : 107) : « Ces images de réelles misères cachent la stupéfiante augmentation du prix de la résine en 1867, la prospérité des forges presque tout au long du XIXe siècle la multiplication des ateliers de distillerie de résine et des scieries. L’extrême inégalité des revenus et des patrimoines qui reste à étudier ne doit pas cacher que la pauvreté semble davantage une apparence à usage administratif qu’une réalité. Il n’empêche que les indigènes eux-mêmes l’évoque, car elle est bien utile ».
Source
Ouvrages publiés par Bernard Traimond, sur ses Landes natales
Le Pouvoir de la maladie. Magie et politique dans les Landes de Gascogne, 1750-1826, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 1989.
Les Fêtes du taureau. Essai d’ethnologie historique, Bordeaux, AA éditions, 1996.
Anthropologue dans la Lande, Dax, Société de Borda, 2017.
Rugby, Palombes, Cercles... l'art de créer du lien. La sociabilité rurale landaise, Morlaàs, Cairn, 2019.
Les chasses aux sangliers. Se confronter au sauvage, Morlaàs, Cairn, 2021.
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