Jean Gaüzère (1789-1859), conscrit (peu enthousiaste) sous Napoléon.

Lors de la gigantesque conscription napoléonienne, chacun d’entre nous a eu un ou plusieurs ancêtres soldats, soit enrôlés, soit volontaires. Le plus souvent des soldats malgré eux et bien souvent déserteurs et rattrapés par la patrouille.

Jean est l'arrière-arrière-arrière-grand-père de l'auteur de ce blog (Sosa 36). Donnons-lui la parole...

Comme tous mes ancêtres depuis, au moins le milieu du XVIIe siècle, je suis né à JeanLaouillé (Campagne) le 4 mars 1789, au sortir de l’hiver le plus froid du siècle – pire encore que le « grand hyver de 1709 – qui vit le vin geler dans les barriques et « la neige et la glace rester durant sept semaines dans les champs et encore après durant 15 jours dans les fossés ». Une année trouble avec des émeutes de la faim dans le royaume et la Révolution à venir le 14 juillet. Je suis le fils de Jean Gaüzère (1766-1822) et d’Anne Persillon (1766-1822).

 

Acte de naissance et de baptême de Jean Gaüzère établi par le curé de Campagne Jean-François Dutertre. Ses parents ne savaient pas signer. (https://archives.landes.fr/ark:/35227/s0052cbf437ddfd3/52cbf8131ee06)

 

Ma mère a été accouchée par Gracy Daudijos (1738-1798) sage-femme, épouse en seconde noce d’André Gaüzère, mon grand-père. Gracy est également ma marraine et ma grand-mère. Le fils de Gracy (d’un premier mariage) est Jean Peyre, voisin habitant au Bigné et mon parrain.

À ma naissance, Louis XVI avait encore sa tête sur ses épaules pour peu de temps et plus de huit Français sur dix vivaient à la campagne. Les Landes n’avaient pas encore été plantées de pins et c’était un paysage de landes et de forêts de chênes à Campagne.

Je ne suis jamais allé à l’école et je ne parlais pas français, mais patois landais. J’ai eu quatre frères et sœurs dont un seul est décédé en bas-âge : Étienne (1792-1794). Une performance à cette époque qui témoigne certainement de l’aisance relative de ma famille et de la dextérité de grand-mère Gracy pour les accouchements : Jeanne (1795, après 1841) qui a épousé Jean Dupouy (1792-1855) et a eu deux enfants ; Jean (1799-1857) qui a épousé Marie Lucbernet (1802-1886) et a eu sept enfants ; Marie (1802-1861) qui a épousé Arnaud Labeyrie (1801-1854) et a eu six enfants.

 

Comment je vivais... 

 

D’après le contexte général de l’époque reconstitué par Marie-Odile Mergnac, dans Le livre de mes ancêtres, Archives & Culture.

« La France est à ce moment-là, le pays le plus peuplé d’Europe : 28 millions (dont 5,8 millions de citadins), contre par exemple 10 millions pour la Grande-Bretagne ». « La maison de mes parents ne compte qu’une seule pièce (?), avec un sol en terre battue. À la naissance, mon espérance de vie était de 25 ans, soit un an de moins que mon père – une réduction due aux désordres de la Terreur puis, pour les garçons, aux guerres de la Révolution et de l’Empire. Plus d’un enfant sur deux meurt alors avant ses 10 ans, 7 sur 10 avant 20 ans. Bien sûr, une fois l’âge adulte atteint, j’ai de belles années encore devant moi si les guerres n’y mettent pas un terme ! ».


« Je ne sais ni lire ni écrire. La Révolution définit en 1793 un « âge de scolarité », fixé à 6 ans, mais la période désorganise l’enseignement : des écoles disparaissent, les enseignants sont moins nombreux, moins bien formés. Si 48 % des hommes et 27 % des femmes savaient lire en 1780, la proportion est inférieure à 20 % au début du XIXe siècle du fait des troubles et des guerres. Il faut dire que la population reste globalement fermée à l’éducation. Les nouveaux maires ne savent parfois pas parler français, leurs conseillers municipaux pas toujours lire et l’idée que leurs enfants soient plus savants qu’eux leur semble sans intérêt : « Nos enfants ont besoin de pain, pas de livres ».

De plus, il faudrait remplacer un gain (le travail à la ferme) par un coût (les frais de l’école) !

« En 1792, la perruque est abolie, et la mode est aux cheveux courts rappelant la République romaine. Du moins en ville, car à la campagne, les paysans conservent les cheveux longs sous le chapeau. Mais comme les soldats de la Grande Armée doivent couper leurs cheveux (sauf les Hussards) et que leur prestige est grand, la mode des cheveux courts s’étend à tout le peuple et je les porte courts à partir de l’adolescence ».

 

La conscription.

 

« Entre 1802 et 1815, Napoléon Ier, couronné empereur en 1804, était en guerre avec les principaux pays d’Europe. La levée d’hommes nécessaire à la constitution de son armée fut énorme, et c’est probablement la plus importante de l’histoire de notre pays après la Première Guerre mondiale ».

« Chacun d’entre nous possède vraisemblablement un ou plusieurs ancêtres soldats, soit enrôlé soit volontaire, lors de la gigantesque conscription napoléonienne. En effet, une personne âgée de 50 ans aujourd’hui compte a priori 32 ancêtres mâles âgés de 20 à 40 ans lors des guerres napoléoniennes et donc susceptibles d’avoir été intégrés dans l’armée…» (Geneanet, le 2 décembre 2022 par Frédéric Thébaul).


La conscription était le service militaire obligatoire des hommes de 20 à 25 ans, promulgué par la loi Jourdan de 1798, complété par une autre loi en 1804. Chaque canton devait fournir son contingent de soldats et donc chaque commune dressait la liste des garçons âgés de 20 ans. Par tirage au sort chacun d’eux recevait un numéro dont les premiers étaient pris comme conscrits. Étaient exemptés : les ouvriers des manufactures d’armes, les garçons déjà mariés (d'où une épidémie de mariages entre jeunes gens de moins de 20 ans et dames beaucoup plus âgées), les infirmes, les fils aînés de veuves, les frères ainés d’orphelins et les garçons mesurant moins d’un mètre et cinquante-quatre centimètres.

« À l’origine, il fallait mesurer au moins 1,598 m pour ne pas être réformé, mais, pour faire face aux besoins des armées impériales, cette barre est abaissée à 1,544 m en 1804, puis à 1,488 m en 1811 ».

 

Bingo, j'ai tiré le mauvais numéro !

 

N’appartenant à aucune de ces catégories et mon père n’étant pas assez riche pour payer quelqu’un d’autre pour qu’il fasse l’armée à ma place, je me suis retrouvé conscrit et a dû quitter la ferme familiale. Voici mon livret miliaire.

 

Fiche militaire de Jean Gaüzère

https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/e0052aafa3b25518/52aafa3e737b5
 

Taille 1, 598 mètre, visage long, front découvert, yeux roux, nez pointu, bouche grande, menton long, cheveux et sourcils châtains. J'étais alors domicilié « dans son lieu de naissance » lors de la conscription. Je n'étais pas du tout enthousiaste à l’idée de me faire tuer à la guerre, et arrivé le 28 mai 1808 en qualité de fusilier au 9ème Régiment d'infanterie de ligne, comme beaucoup d'autres, j'ai déserté le 1er juin 1808. Mais comme l'insoumission et la désertion étaient réprimées et que j'étais recherché par les brigades mobiles, j'ai fini par « rentrer » (au régiment) le 14 août. 

Voici à quoi je ressemblais sans pour autant avoir succombé au prestige de l’uniforme !

 

Par artiste Bellange (1800-1866) — Russian site of War of 1812: [1] with courtesy of Vasili Kolcheev, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1674106

 

 

Je découvre l’Italie à mon corps défendant.

 

Voici l’histoire du 9ème de ligne. « Début 1809, éclate la confrontation avec l’Autriche. Le 9ème, qui début mars se trouve aux environs de Brescia, fait naturellement partie de l’Armée d’Italie aux ordres du Prince Eugène. En date du 1er avril, il présente un effectif de 3 125 hommes répartis en 4 bataillons et est cantonné à Vicence. Le 10, les Autrichiens passent à l’offensive ; le 9ème combat à Venzone le 11 (1 officier tué, 5 autres blessés). Bucquoy nous dit que le Régiment « participe à des combats sanglants en avril 1809, tantôt attendant l’infanterie ennemie pour la fusiller à bout portant, tantôt recevant en carré la cavalerie qu’il arrêtait avec ses baïonnettes ». Pour sa part, le 9ème a subi des pertes telles que le Colonel Gallet signale le 26 avril qu’il a été obligé de dissoudre le 4ème Bataillon afin de renforcer les trois autres réduits à leur plus simple expression.

Au combat de Montebello, le 2 mai, le 9ème a 9 officiers blessés. Le 8, l’Armée d’Italie franchit la Piave sous le feu des Autrichiens et s’empare à la baïonnette de leurs positions (3 officiers blessés, dont deux décèderont des suites de leurs blessures). Le 10, elle passe le Tagliamento et reprend Udine, Osopo et Villanova. Les 3 bataillons (plus une Compagnie d’Artillerie) du 9ème se trouvent alors, toujours au sein de la Division Broussier, à l’Aile droite (Mac Donald) de l’Armée d’Italie. Celle-ci va donc pouvoir participer à la bataille de Wagram où le Régiment est très éprouvé : 27 officiers blessés (dont 6 décèderont des suites de leurs blessures).

 

Après Wagram, la campagne de Carinthie se termine par la victoire de Gratz. Le 9ème de Ligne est pratiquement exsangue. Il reçoit alors l’ordre de se diriger sur Gratz, capitale de la province autrichienne de Styrie, pour y établir ses cantonnements. Il y stationne donc de juillet à octobre, ce qui lui permet de se réorganiser grâce à l’arrivée de renforts, et de se rééquiper puisqu’il reçoit également des uniformes et des équipements neufs. En 1809, le 9ème de ligne combat à Venzone, Sacile, Montebello, Piave, Raab et Wagram. Le 9ème passe au Tyrol, puis il retourne en Italie

 

Ouf ! Je suis finalement congédié par réforme le 8 mai 1810, sans que le motif de la réforme soit mentionné. « Globalement, je m’en sors bien par rapport aux jeunes qui ont quelques années de plus que moi. Car la Révolution et l’Empire, c’est 25 ans de guerre, plus de 8 millions de combattants et un million de morts au total sur l’Europe […]. J’ai la chance de revenir vivant, sans invalidité majeure ». J’ai eu plus de chance que François Gaüzère (1791-1812), mon jeune cousin issu de germains, de la ferme Soubielle, tué au combat à Mayence, au Mont-Tonnerre, un ancien département français (1797-1814) sur le territoire de l'actuelle Allemagne. En effet, notre lointaine ancêtre Jeanne Duhau et son époux étaient nos ancêtres à la 4ème génération.

 

Retour au bercail.

 

Trois ans plus tard, j'épouse, à JeanLaouillé, le 30 janvier 1813, Jeanne Dubosq, native de Saint-Perdon. Le père de Jeanne (Jean Dubosq) était décédé le 25 juillet 1798, alors que Jeanne n'avait que deux ans. La mère de Jeanne, Marguerite Dupouy, assistait au mariage, ainsi que l’oncle et tuteur, Jean Lesperon (50 ans), et Bernard Banos (50 ans) forgeron à Saint-Perdon. Mes témoins étaient Jean Peyre (50 ans), laboureur domicilié au Bigné voisin de JeanLaouillé et fils de Gracy Daudijos) ; Jean Gaü (32 ans) mon oncle.

 

Nous avons eu sept enfants dont un seul est décédé en bas-âge (une performance à cette époque) : Anne Marguerite (1815 - 1857, mariée ?) ; Jean (1819 - 1897) qui a épousé Jeanne Gaüzère (1822, après 1899) et a eu deux enfants ; Jean (1822 - 1898) dont nous descendons qui a épousé Jeanne Marie Candau (1838 - 1914) et a eu deux enfants, Marie (1825 - ?) ; Jeanne (1829 - 1867) qui a épousé André Clet (1830 - 1910) et a eu deux enfants ; Jeanne (1829 - 1829) ; Arnaud (1834 - 1870, marié ?).

 

Soit bien moins d’enfants par couple que lors de la génération précédente, les techniques de contraception commençaient-elles à se répandre ? Tous sont nés à JeanLaouillé avec l’aide d’une voisine et la maman a survécu : une autre performance, car jusqu’au milieu du XIXe siècle, il y a eu une « très forte surmortalité féminine pour le groupe des 25 à 35 ans ».

 

Acte de mariage de Jean Gaüzère et Marie Dubosq, à Campagne, le 30 janvier 1813. Ni Jean, ni Jeanne ne savaient signer leur nom « Ayant déclaré ne savoir signer » écrit le maire Pierre Dupuy qui lui, s’exprimait en français (source : Campagne-Mariages-1804 - 1831-4 E 61/6).

 

Je vous invite à mon repas de mariage.

 

D’après le contexte général de l’époque reconstitué par « Marie-Odile Mergnac, dans Le livre de mes ancêtres, Archives & Culture : petit salé avec pommes de terre, crêpe ou bouillie sucrée. « Au quotidien, la soupe de pain reste le plat principal (1,5 kg de pain consommé par jour et par habitant), ainsi que les bouillies, aux noms et aux céréales variables selon les régions, réalisées avec de l’orge, de l’avoine, des glands de chêne, des châtaignes, du maïs ». 

 

 

Ma famille.


J’ai eu 8 cousins issus de germains, 9 oncles et tantes, 15 neveux et nièces, au moins 6 petits-enfants et au moins 8 arrière-petits-enfants.


Jean avait-il le droit de vote ?

 

Même si la Révolution a créé le droit de vote, nous ne savons pas si Jean y a eu accès, car ce droit était censitaire, c’est-à-dire réservé à ceux qui payaient le plus d’impôts. Toutefois, cela est bien probable, car son père Jean apparaît, avec son frère Jean-Baptiste, comme propriétaire de JeanLaouillé, du Grand Arrouquet et du Grand Menjouat, dans le cadastre de 1811 (cote 3PP 876, état des sections, 1811) qui dresse l’état de leurs propriétés et de leur impôt.

 

Jean est décédé, grabataire mais sain d’esprit, à un âge respectable pour l'époque.

 

Le 20 mars 1859, lors du mariage à Campagne - tardif pour l’époque, à l’âge de 37 ans - de son fils Jean (1822-1898) avec Jeanne Candau (1838-1914), sur l’acte de mariage, le maire Darroze a écrit que le père du marié était « retenu malade au lit » mais « sain d'esprit », car il avait pu donner son consentement au mariage, sans pouvoir se déplacer à la Mairie. Il devait décéder moins de deux mois plus tard, le 5 mai 1859, à l’âge, respectable pour l’époque, de 70 ans.

Il n’eut donc pas le bonheur de connaître sa petite-fille Jeanne dite Marie (1859-1932), notre arrière-grand-mère, née quelques jours plus tard, le 31 mai.

 

Source

  • Marie-Odile Mergnac, Mathilde Morin. Le livre de mes ancêtres - Ma généalogie sur 11 générations – Éditions Archives & Culture, ISBN 978-2-35077-436-7, 522 page.




 




 

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