« L’an 1844 et le 28 du mois de mai, par-devant nous, Jean Darroze, maire de la commune de Campagne, s’est présenté Antoine Puyo, charpentier et aubergiste à Campagne, lequel nous a requis de dresser procès-verbal des faits et circonstances suivants.
Depuis six ans, il s’est aperçu que le sieur Timothée Cadet, cordonnier, fils de la domestique de Monsieur le Curé, commettait le crime d’adultère chez lui et avec sa femme.
À pareille époque, il les surprit dans un pignada* où il saisit ledit Timothée, et qu’il le conduisit jusqu’au portail du presbytère où il fut forcé de le lâcher : il lui resta cependant son béret et son parapluie, qu’il porta à Monsieur le Curé** et à sa mère, à qui il expliqua ce qui se passait.
Monsieur le Curé lui promit qu’il ne rentrerait plus chez lui. Un peu plus tard, Puyo fut encore trouver, Monsieur le Curé pour lui dire de nouveau que la même conduite existait chez lui. Il lui répondit alors que dans le moment qu’il ne pouvait pas renvoyer la domestique parce qu’elle était malade, mais dès qu’elle serait guérie, il la renverrait, chose qu’il n’a jamais faite.
Le mois de février 1842, Puyo les surprit encore chez lui sur le fait et poursuivit jusqu’au presbytère où il trouva la mère. Monsieur le Curé ne parut pas. Il dit à la mère que si son fils continuait, il serait forcé de se plaindre à l’autorité. Elle le pria de ne pas le faire, lui promettant bien qu’elle y donnerait fin.
Aujourd’hui, voyant que Monsieur le Curé, reçoit toujours chez lui ce jeune homme dont il se sert comme homme d’affaires, et qu’en gardant sa mère, il ne fait que tolérer le scandale, scandale, qui malheureusement est devenu public, il se voit forcé pour son honneur et le mauvais exemple que cette mère donne à son enfant, d’avoir recours à l’autorité du lieu pour obtenir d’elle de bien intervenir pour faire éloigner de cette commune l’auteur de ce mauvais exemple pour la société et qui cause le plus grand désordre dans son ménage.
Fait à la mairie de Campagne le même jour, mois et an que dessus ».
Le plaignant Puyo. Le maire Darroze
Signature du procès-verbal. |
Lecteur, lectrice, l’histoire ne nous dit pas ce qu’il advint et nous laisse sur notre faim malsaine.
Comment cette romance bucolique au long cours, s’est-elle terminée ? Qui de l’amour ou de la morale a triomphé ?
Monsieur le maire a-t-il ri sous cape à l’évocation du fauteur surpris les fesses à l’air et les braies sur les genoux, poursuivi bruyamment par le cornu furibard jusqu’au presbytère situé au centre du village ?
Monsieur le curé a-t-il ri (jaune) sous soutane ?
La bonne du curé a-t-elle tiré les oreilles de son diablotin de rejeton et a-t-elle perdu son emploi et son toit pour complicité de « mauvaise vie » ?
Pendant combien d’années, le villageois ont-ils fait des gorges chaudes*** de ce pauvre charpentier que son épouse trouvait certainement bien moins charpenté que son amant ?
Quoi qu’il en fût, ni l’infortuné ni « l’infortuneur » ne semblent en avoir décousu au point de se retrouver à la geôle de Mont-de-Marsan pour « coups ayant entraîné des blessures », comme le confirme le registre d’écrou de l’époque qui ne les connaît pas.
Mais pourquoi avoir demandé au maire de dresser un procès-verbal ?
« En France, depuis la fin du Moyen Âge, l'État royal récupère à son profit toutes les causes matrimoniales et impose une législation inégalitaire pour la femme adultère (jusqu'à la loi Naquet qui rétablit le divorce pour faute le 27 juillet 1884 et la dépénalisation totale par la loi du 11 juillet 1975 réformant le divorce en France) : la peine de « l’authentique » qui consistait à enfermer la femme adultère dans un couvent après lui avoir fait subir certains châtiments (crâne rasé, fouet jusqu'au XVIIe siècle).
La Révolution française a dépénalisé l'adultère. Le Code civil de 1804 maintient la possibilité de divorcer tout en la limitant fortement par rapport à la Révolution, notamment en ce qui concerne l'adultère du mari : la femme ne pouvait le demander que si le mari avait « tenu sa concubine dans la maison commune » (art. 229). En revanche, la femme adultère était soumise à une sanction pénale, pouvant être condamnée à la maison de correction pour une durée de 3 mois à 2 ans (art. 298). Les divorcés n'avaient pas le droit de se remarier entre eux (art. 295), ni l'adultère avec son complice.
De même, le mari qui tuait sa femme et/ou son amant en flagrant délit d'adultère était excusable « Néanmoins, dans le cas d'adultère, prévu par l'article 336, le meurtre commis par l'époux sur son épouse, ainsi que sur le complice, à l'instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale, est excusable. », art. 324 du code pénal de 1810).
Le code pénal de 1810 mis en place par Napoléon Bonaparte fait de l'adultère de la femme un délit sanctionné par une peine de prison allant de trois mois à deux ans, alors que celui du mari n'est passible que d'une simple amende.
La loi Naquet du 27 juillet 1884 rétablit le divorce et définit l’adultère de l’une ou l’autre des personnes mariées une des trois causes permises pour le divorce.
En France, l’adultère n’est plus une faute pénale depuis la loi du 11 juillet 1975, mais demeure une faute civile. L'adultère n'est plus une cause péremptoire de divorce. Il appartient au juge de décider, en vertu de sa liberté d'appréciation des faits ».
Lexique
*Pignada : De l’occitan pignada (« pinède »), plus avant, du latin pinetum nom neutre devenu masculin, de là l’hésitation sur le genre.
**Vraisemblablement l’abbé Étienne Paul Gibaudon, curé de Campagne de 1835 à 1851.
***Dans le langage courant, traduit les moqueries excessives que quelqu'un exerce envers autrui, de façon exagérée, en s'attachant à ce que le maximum de personnes puisse entendre la plaisanterie (souvent de mauvais goût). L'expression vient de la fauconnerie. Une gorge chaude désigne un animal vivant ou un cadavre encore chaud que l'on donne pour aliment aux oiseaux de proie
Quelques citations légères
« Ne jetez pas la pierre à la femme adultère, je suis derrière ! » (Georges Brassens)
« Puis je connus un mannequin, qui me trompait chaque soir, et qui éprouvait chaque matin le besoin de me l’avouer en pleurant. Alors que je lui avais défendu, non pas de le faire grand Dieu, mais de me l’avouer ! » (Sacha Guitry).
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Sources
AD40 Campagne-1803 - 1857-E DEPOT 61/1D1, page 140.
Wikipédia : Adultère
Bravo pour cette trouvaille. Je découvre votre blog et je vais lire d'autres articles. Après avoir écrit 10 livres d'histoire , je me consacre maintenant moi aussi à la parution d'un blog depuis mai 2024. https://www.lesarchivesnousracontent.fr/
RépondreSupprimerBien cordialement
Pierrick Chuto
Merci pour votre appréciation qui émane d'un maître en la matière !
SupprimerJ'étais certain que ce vaudeville vous plairait, car il se rapproche des vôtres ! Je suis un de vos fidèles lecteurs, appréciant autant le style original et peu conventionnel que le fond de vos récits bretonnants ! Je suis également l'auteur d'une quinzaine de livres d'histoire... de la médecine, dont une bonne partie a été publiée chez L'Harmattan.
Bien cordialement / Best regards / Reciban un cordial saludo / Salut zot tout
مع أطيب التحيات / С наилучшими пожеланиями / 你 好! /בלבביות
En effet, je vois que vous avez beaucoup écrit. Ma fille est également médecin et elle me dit n'avoir pas le temps de lire mes écrits.. J'espère que vous n'avez pas eu trop de dégâts à la Réunion. Je vais maintenant préparer un powerpoint pour ma prochaine conférence( j'adore cet exercice) et mon prochain article pour le blog. Quel métier d'être en retraite...
SupprimerBien cordialement
Pierrick
Bonsoir, Article très intéressant, agréable à lire ... mais qui était le père du fils de la bonne du curé? ??
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