Louise Castaing (1886 - 1923). De la forêt landaise à l’Algérie, un bonheur très éphémère.

Louise (Gabrielle dans la vie de tous les jours) est née le 29 décembre 1886 au moulin du Braut dans le quartier de Saint-Orens (Saint-Perdon, Landes), sur les bords du ruisseau le Tastet au cœur de la propriété Barthe Jouane. Son arrière-grand-père Étienne Castaing (1777-1840), géomètre au cadastre de Mont-de-Marsan, avait été le premier meunier propriétaire du lieu, issu de sa famille.

Le patronyme Castaing, fréquent dans le Sud-Ouest, peut désigner celui qui a les cheveux châtain, mais il s’agit le plus souvent un toponyme évoquant un bois de châtaigniers. Les variantes sont : Castaings, Castan, Castang, Castain

 

Le moulin du Braut en 2023 (source : courtoisie de Bernard Gac).

En 1886, à la naissance de Louise, l’espérance de vie des petites Françaises était de 42 ans, mais si elles parvenaient à l’âge de 65 ans, elles pouvaient avoir 11 années de plus, en moyenne, devant elles. Le recensement de 1886, montre que la France était peuplée de 38 517 000 âmes dont 64 % de ruraux. L’année 1886 fut aussi « le début de la laïcisation complète du personnel des écoles publiques ». On dénombrait 12 000 médecins dans le pays. Au plan militaire, le général Boulanger, porte-parole des Revanchards était Ministre de la Guerre, le fusil Lebel commençait à équiper l’armée et le port de la barbe était enfin autorisé. Au plan littéraire, Émile Zola publiait Germinal et Édouard Drumont « La France juive », dans un climat de poussée de l’antisémitisme dans le pays.

 

Le père de Louise était Jean-Jules Castaing (1854 - 1925), meunier propriétaire du moulin du Braut qui avait épousé le 6 novembre 1882 à Saint-Perdon, Élisabeth Bourdères (1860-1929). Élisabeth était originaire de Garosse (Canton d’Arjuzanx, près de Morcenx) et était fille de Pierre Bourdères (55 ans), lui-même meunier de son état. Endogamie sociale et professionnelle bien compréhensible qui s'avèrera plus tard très utile lorsque veuve en 1925, Élisabeth assurera seule la direction du moulin.

 

Acte de naissance de Louise Castaing, le 29/12/1886 au moulin du Braut 
(AD40 Saint-Perdon-Naissances-Décès-1885 - 1904-4 E 280/19, page 15).

 

Louise a eu trois sœurs et deux frères, tous nés au moulin du Braut : Marie Clothilde (1883 - 1918) ; Gabriel Narcisse (1885 - 1950) ; Juliette (dite Julie) (1888 - 1976) ; Daniel (1892 - 1957) et Augusta Gabrielle (1896 - 1982). 

 

Louise avait appris que son frère Gabriel Narcisse avait été blessé par l’éclatement d’une torpille, le 13 juillet 1917 sur le Chemin des Dames et qu’il en avait fort heureusement réchappé au prix d’une surdité « Diminution bilatérale de l’acuité auditive, perforation des tympans, sclérose des osselets, écoulement muco-purulent… ». Puis, le 11 septembre 1918, Louise a été marquée par la perte de sa sœur aînée Marie Clothilde qui demeurait route de Bayonne, à Mont-de-Marsan.

 

Issue d'une famille de lettrés, chaque matin et chaque soir, avec ses frères et sœurs… 

 

Nous ne savons pas où Louise et ses frères et sœurs ont été scolarisés. Le quartier était dépourvu d’école, et celle de Saint-Perdon se trouvait à plus de 4 km de là. Une autre pratique consistait à traverser la rivière Midouze en bac, pour se rendre à l’école de Campet-Lamolère sur la rive droite. À moins que ses parents n’aient mis un attelage au service de leurs enfants pour les conduire à l’école ou aient organisé l’école au moulin ?

L'école était devenue obligatoire de 6 à 12 ans, depuis les lois Jules Ferry de 1882. Mais aucune vaccination n’était imposée, pas même celle contre la variole qui avait pourtant durement frappé le pays en 1871. Le soir, elle fait ses devoirs à la lumière d’une lampe à essence ou à pétrole.

Dans ce quartier bien retiré se trouve l'église de Saint-Orens, située près du moulin de Saint-Orens et qui date du XIe siècle. Elle est dotée d'un clocher-mur dont les cloches datent de 1644. L’église est ceinte d'un mur qui délimite un enclos où huit pierres tombales sont encore visibles de nos jours.

 

L’église Saint-Orens de Saint-Perdon (source Wikipedia 2011).

 

Ce quartier était couvert de landes et pas de pins, car cette région ne s’est entièrement couverte de forêts de pins que très tardivement, après que les veuves des Poilus de 1914-18 aient vendu leurs terres qu’elles ne pouvaient plus travailler seules, à un riche propriétaire de l’endroit M. Lacaze (source : J-Marie Miramon). 

 

Louise (Gabrielle) Castaing vers 1905-1915 (source : Jean-Marie Miramon).  


Nous retrouvons Louise institutrice à quelques kilomètres de là, à Campagne.

 

La date de sa prise de fonction à Campagne - commune située à quelques kilomètres de Saint-Orens - n’est pas connue, mais nous la retrouvons dans le recensement de 1921, sous le prénom de Gabrielle (vraisemblablement son prénom d’usage, à tel point qu’elle a signé G. Castaing son acte de mariage et on L. Castaing), , avec sa bonne année de naissance. Elle avait pour collègue, Léon Darlon (1882), l’instituteur bien-aimé du père de l’auteur de ce blog.

 

Recensement de 1921 à Campagne (source : AD40 Campagne-1921-6 M 154).

 

« Il n'y a pas de hasards, il n'y a que des rendez-vous » (Paul Éluard).

Faut-il y voir une coïncidence ou un arrangement familial ? Le recensement de 1921 établit que Louise habitait dans le Bourg-de-bas (maison Darroze) chez l’arrière-grand-mère (Marie Marguerite Miremont, veuve Duprat) de l’auteur de ce blog. De plus, elle était voisine de son demi-frère non reconnu de même père, Jean (Alexis) Gaüzère (maison Crucon) - le grand-père de l’auteur de ce blog - et de Jeanne (Marie) Gaüzère, veuve Flocel (maison Pierrine), la mère de ce dernier et ancienne amourette de Jean-Jules Castaing. Elle était également voisine du petit Pierre (dit Alphonse), père de l’auteur de ce blog.

 


 

Sur la gauche de la grand-rue de Campagne près de l’atelier de cycles Gaüzère, voici la maison où logeait Louise, entourée de Gaüzère (Source AD40).    

 

Dans une époque de forte tradition orale et de colportage des menus faits et gestes des uns et des autres (surtout de ceux d’une mère deux fois célibataire), et à quelques kilomètres de distance, l’hypothèse de la coïncidence ne tient pas vraiment. Reste l’hypothèse de l’arrangement entre deux familles pour loger l’institutrice au centre du village.

Les deux parties, Castaing et Gaüzère, avaient certainement gardé des liens, ce qui semble témoigner d’un attachement sincère entre Jean-Jules et Jeanne (Marie) et surtout de l’absence de ressentiment.

 

Louise (Gabrielle) institutrice à Campagne, vers 1921-1922, à droite sur la photo. Le père de l’auteur de ce blog est le garçonnet qui tient l’ardoise au premier rang (troisième à partir de la droite).



 Louise s'est mariée à Campagne

 

… le 6 septembre 1922, avec Ferdinand Rollin. La mairie de Campagne et le domicile de Jeanne (Marie) Gaüzère étant à un jet de pierres, Jeanne a-t-elle résisté à la tentation d’aller entr’apercevoir furtivement Jean-Jules, témoin au mariage de sa fille, exactement 40 ans après leur liaison ?

 

 

 

Acte de mariage le 6 septembre 1922 à la mairie de Campagne, entre Louise Castaing et Ferdinand Rollin (Source : AD40 Campagne-Mariages-1905 - 1927-4 E 61 /27, pages 144-145).

 

 

La mariée était âgée de 36 ans et le marié de 38 ans, ce qui était très inhabituel à cette époque. Il n'avait pas été établi de contrat de mariage.

 

Sur l’acte de mariage, Ferdinand était domicilié à Molière, l’ancien nom de Bordj Bou Naama, une agglomération chef-lieu de commune de la wilaya de Tissemsilt, à mi-distance entre Alger et Oran. Il avait obtenu l’autorisation de la 19ème Légion de Gendarmerie à laquelle il appartenait, pour pouvoir se marier.

L’un des deux témoins était Jean-Baptiste Lacoste (1871-1941), propriétaire, âgé de 51 ans, époux Juliette Castaing (1888-1976), sœur de la mariée et domicilié à Saint-Perdon.

La mariée était âgée de 36 ans et le marié de 38 ans, ce qui était très inhabituel pour l’époque. Il n'avait pas été établi de contrat de mariage.

 

 

La permission de Ferdinand terminée, le couple est parti vivre en Algérie, à Molière. 

 

Il faut imaginer le long voyage en train des Landes à Marseille, la traversée de la Méditerranée, l’arrivée à Alger-la-blanche, la visite de la Kasbah, puis 230 kilomètres de pistes jusqu’à Molière. Autant de choses nouvelles pour Louise qui n’avait probablement jamais quitté ses Landes natales.

 

L’acclimatation a certainement été facile pour Louise, car Molière (Beni-Hindel) jouit d’un climat tempéré méditerranéen avec un été chaud et sec. En septembre, la température moyenne est de 21 °C et les précipitations sont en moyenne de 33 mm. La nuit, les températures chutent à 14°C et la journée elles peuvent atteindre 28 °C. L’endroit est situé à 90 kilomètres de la Méditerranée et à une altitude de 947 mètres.

Louise, avait-elle repris son métier d’institutrice ?

 

La région de Molière, Beni-Hindel (Source : National Geospatial-Intelligence Agency, Bethesda, MD, USA).

 


Beni-Hindel était un territoire de tribu délimité et constitué en un seul douar par arrêté du 9 avril 1898 dans le massif de l'Ouarsenis. Le douar a été partagé entre les communes de Beni-Hindel et de Molière Bou Caïd.

 

Paysage de Beni-Hindel à une date non précisée.


 

 Un bonheur de très courte durée.

 

Louise s’est rapidement retrouvée enceinte, car sa fille Isabelle Jeanne Reine est née le 24 juin 1923 à Beni-Hindel, soit neuf mois après son mariage, dans une commune très proche de Molière. L’accouchement ou la fin de la grossesse ont dû être difficiles, car Louise est morte en couches.

Hémorragie de la délivrance incontrôlable ? Éclampsie ? Infection puerpérale ? Nous ne connaîtrons jamais la cause exacte de son décès.

 

Qu’est-il advenu de Reine ?

 
Reine a été envoyée dans les Landes et élevée au Caloy (Saint-Perdon) en même temps que sa cousine germaine Suzanne Lacoste (1911-1988), fille du témoin du mariage de Louise (Source : Jean-Marie Miramont). Lors du recensement de 1926, elle habitait chez les Lacoste, à la maison Beauséjour au Caloy (source AD40 : Saint-Perdon-1926-6 M 186). Lors du recensement de 1931, elle était toujours domiciliée au Caloy, mais plus en 1936.

 

Reine a épousé un instituteur, Pierre Simon Bernard Raby (1919-1984), et a eu deux filles Véronique et Sabine. Elle est décédée le 26 octobre 2016 à Angers.

 

Qui était Ferdinand Rollin, l’éphémère mari de Louise ?

Ferdinand est né le 12 juin 1884 à Saint-Perdon. Il était le fils de Jean Rollin, charron de Saint-Perdon et d’Anne Dubourg, couturière. Sa fiche militaire nous apprend qu’il était domestique de ferme, lorsqu’il s’est engagé dans l’armée – gendarmerie à cheval - après son service militaire. 

 

 

 

Fiche militaire de Ferdinand Rollin (Source AD40 1904-168 W 25, pages 254-255).


 

Sa fiche nous le décrit : taille 167 cm, degré d’instruction 3, cheveux et sourcils châtain, yeux châtain, front ordinaire, nez court, visage ovale.

Il a accompli son service militaire en 1905, comme conducteur au 2ème Régiment du Génie. Il a été nommé brigadier à cheval en 1906 et envoyé en disponibilité. Dans les armes autrefois dotées de chevaux, on nommait brigadier, le caporal qui était le chef direct du groupe de combat. C'est à lui que s'adressaient les hommes de troupe pour les ordres et détails du service intérieur.

 

Puis, Ferdinand s’est engagé dans la gendarmerie à cheval en 1909, a servi en Algérie et aux confins du Nord Algéro-Maroc jusqu’en 1914. Il a effectué la campagne contre l’Allemagne de 1914 à 1918 en France. « A assuré sous le feu de l’ennemi la police du champ de bataille en septembre 1918 (bataille de la Somme) et en avril 1917 combats devant Morouvillers ».

 

Ferdinand a reçu plusieurs décorations : Croix de guerre, Médaille militaire, Chevalier de la Légion d’honneur, Médaille de la victoire commémorative de la Grande guerre, Médaille du Maroc agrafé « Maroc », Chevalier de l’ordre de Micham Iftikar de Tunis.

 

Au total, Ferdinand a passé 25 ans en Algérie, dont moins d’une année avec Louise. Il y a servi de 1909 à 1914, puis de 1919 à 1939, à la 19ème Légion de Gendarmerie, avant de prendre sa retraite à Saint-Perdon avec le grade d’adjudant-chef et d’y retrouver enfin sa fille Reine, âgée de 16 ans. Il est décédé à Mont-de-Marsan le 20 septembre 1955.

 

Mais pourquoi s’être intéressé à la vie de Louise ?

 

L’auteur de ce blog semble être son petit-neveu.

 

 

Tous nos remerciements vont à M. Jean-Marie Miramon descendant des meuniers du moulin du Braut, à M. Gilbert Laffont-Dumon (Référent Technique de l'Association des Moulins des Landes) propriétaire du Moulin de Saint-Orens, ainsi qu’à M. Bernard Gac actuel propriétaire du Moulin du Braut.


Sources

 

  • Archives départementales des Landes.

  • Thierry Sabot. Contexte France, la vie quotidienne de nos ancêtres de l’an mil à nos jours, 2023, Éditions Thisa.
  • Wikipédia.


 





 


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