Lazarra, victime d’une erreur de bombardement allié à Sochaux.

Lazarra, 25 ans, était gérante, avec son mari André, d’une cantine dans l'un des hôtels de l'usine Peugeot à Sochaux. Lors de l'alerte de nuit - le 16 juillet 1943 - elle s'est enfuie dans les champs avec son mari et son père Vincent. Lazarra et son père ont été tués par le tapis des bombes alliées qui manquaient largement leur cible : l’usine. Un éclat de bombe a également touché la maison familiale, mais heureusement sans faire de victimes, épargnant la mère et les deux jeunes enfants de Lazarra.


Un appel à la main d’œuvre étrangère.

Au sortir de la Grande guerre, la maison Peugeot – implantée dans la région depuis 1810 - recrutait largement, pour ses usines de Montbéliard-Sochaux et proposait une chambre à proximité des usines. C’est ainsi que de nombreux Espagnols, Polonais, Italiens, se fixèrent dans l’Est de la France. Ce fut le cas de la famille de Lazarra, avec quelques oncles et cousins qui travaillaient auparavant dans les mines de cuivre espagnoles de Rio Tinto tenues par les Anglais, pour un salaire de misère : « juste de quoi manger quelques sardines sur un morceau de pain ».

Plusieurs membres de la famille ont migré avec en poche un contrat de travail délivré par Peugeot-Sochaux. Vicente (1893-1943), avec ses trois jeunes frères, a migré entre 1918, l’année de naissance de Lazarra à Zalamea-la-Real (Huelva, Andalousie) et 1920, l’année de naissance Vincent à Mandeure (Doubs). 

 

Vicente avait laissé derrière lui sa femme Fidelia et la petite Lazarra, âgée d’un an environ. Vicente logeait à Beaulieu, à 12 km de l’usine, dans une simple chambre meublée. « Il avait une paye raisonnable qui tombait chaque mois : mirifique à côté de l'Espagne ! ». Puis dès qu'il a réussi à économiser pour payer le train, il a décidé de faire venir auprès de lui sa femme Fidelia et sa petite fille Lazarra. « Avec son baluchon et la petite sur le bras, Fidelia a rejoint la frontière franco-espagnole à Portbou. Elle a attendu son mari dans la gare, en dormant à terre, sur le baluchon, combien de temps ? ». « Les voici, tous les trois dans le train direction Montbéliard. En plein hiver, avec de la neige et du froid ! Après les grandes chaleurs de l'Andalousie... Mais, arrivés à Montbéliard, terminus du train, la nuit ; il a fallu marcher jusqu'à Beaulieu, 12 km et dans la neige et dans le froid ».

 

En 1939, Espéranza, sa jeune sœur de Lazarra,  décéda de maladie. En 1937, Lazara s’est mariée à Mandeure, avec André et le couple s'est installé à Sochaux comme gérants d'une cantine ouvrière, dans un hôtel Peugeot. Tous les ouvriers déjeunaient à la cantine et Lazarra et son mari, gagnaient bien leur vie. Vicente, le père de Lazarra, dormait chez sa fille toute la semaine et ne rentrait à Beaulieu que pour la fin de semaine, ce qui lui évitait l’aller et retour quotidien en car, entre son lieu de travail et son domicile.

Lazarra a eu son premier bébé, Francine, en 1938, puis en 1942 est venue au monde une deuxième fille, appelée Espérance, du nom de la jeune tante décédée à l’âge de 12 ans.


Le bombardement de Sochaux.

La région connaissait de fréquentes alertes avec des sirènes chaque fois que des bombardiers - on disait des forteresses volantes - passaient au-dessus de Sochaux, c'était leur route pour l'Allemagne. « On se levait la nuit et parfois pas, on était sans souci ». Lazarra était alors enceinte de sept mois de son 3ème enfant. « C'était toujours la nuit ; on se levait, on allait dans la rue car les sirènes hurlaient à chaque éventuel passage d'avion. Des fois, on n'avait même pas envie de se lever. On pensait que Peugeot et ses fabrications n'étaient pas assez importants pour un bombardement. On avait tort ! Je suppose que Radio-Londres a envoyé un message car les personnalités du coin avaient quitté la région ».

 

« On a entendu un avion, tout seul, qui s'approchait. Jamais on n'aurait pensé que cet avion allait tout déclencher ! Tout d'un coup, on a vu les fusées... des bâtonnets, bien alignés, de toutes les couleurs et qui éclairaient très fort. Je me souviens qu'on avait dit que cela éclairait assez pour pouvoir lire le journal !

L'usine Peugeot s'étendait tout en longueur, une partie sur la commune de Montbéliard et le reste sur la commune de Sochaux. Sur un côté se trouvaient les cités, là où je demeurais, et de l'autre côté de l'usine, c'était plutôt des champs, des jardins. Dès que j'ai vu les fusées au-dessus de l'usine, j'ai compris qu'on serait bombardés ».

 

« Alerte, dans la nuit du 15 au 16 juillet à 0 h15. Tous les habitants se lèvent calmement et gaiement et s'attroupent pas très loin de l'usine par habitude. Les fusées éclairantes tombent ; panique générale ! On court devant soi, pas très loin car les bombes tombent ; il en pleut ! Entre chaque vague, on court et vite on s'aplatit sur le sol. Lazarra, son mari et son père essayaient de se relever pour courir plus loin, lorsque la bombe fatale est tombée. Par le souffle, André le mari de Lazarra, a été projeté au loin, Lazarra enterrée vivante et à côté d'elle, son père enterré mais dont seule sa tête ressortait ! Il a pu montrer à son gendre où était Lazarra. Les secours ont pioché ; hélas ! Lazarra était morte, mais encore toute chaude, sans aucune blessure. On aurait dit qu'elle dormait. Et on a dit aussi que le bébé de sept mois qu'elle portait a vécu un peu plus qu'elle. Quant au grand-père Vincent, un éclat lui avait ouvert la tête ».

 

« À Beaulieu – où résidait la famille - tout le monde a entendu le bruit des bombardements, et on voyait les lumières, le feu : c'était à 12 km... Tout de suite Fidelia – la mère de Lazarra - a compris ; elle a laissé les deux petites à sa mère Soledad, et est partie à pied pour Sochaux en courant 12 km. Arrivée là-bas, au milieu des ruines, elle a retrouvé son gendre, et appris le décès de sa fille. Il y a eu 105 morts étendus dans une salle de sport et dans un collège. Il a fallu faire les deux salles, enjamber les morts alignés, certains trop abîmés mis comme dans un baluchon. Enfin, on a retrouvé Lazarra, presque nue, déshabillée par le souffle de la bombe ».

« Mais il fallait maintenant chercher son père, transporté dans un hôpital mais où ? Pas à Montbéliard, pas à Héricourt, enfin à Belfort. Un éclat lui avait fendu la tête et il est mort quelques jours plus tard ».

 

« Et il y a eu de grandes funérailles ; il y avait eu 105 cercueils alignés sur une place de Sochaux. Un numéro sur chaque cercueil. Une messe avec Curé et Pasteur. Et après, chaque famille a pu prendre et emmener son défunt ».

 

« Lazarra a été enterrée dans le cimetière de Mandeure. A l'époque, le corbillard était tiré par des chevaux et il y avait 2 km à faire à pied pour aller au cimetière. Il y avait tant de monde pour accompagner, que je crois bien que le cortège s'étendait sur 2 km » . « Vicente est décédé 3 jours plus tard : une blessure à la tête et la cervelle s'en écoulait ! ».

 

« Qu'allait devenir la vie de Fidelia ? Toujours de nationalité espagnole, elle n'a eu droit à aucune aide en tant que veuve de guerre. Il ne lui restait rien que ses yeux pour pleurer et près d'elle, deux petites orphelines de mère de 5 ans et 18 mois ! »

 

Ruines de la fonderie Peugeot après le bombardement.

(Source : Geneanet, image déposée par Jean-Paul Peter (jppeter), CC BY-NC-SA 2.0 Creative Commons)


Bombardier Halifax (Par George Woodbine — This photograph CH 11328 comes from the collections of the Imperial War Museums., Domaine public, https://commons. Wikimedia.org/w/index.php?curid=1627428)

 

Dans les quelques semaines qui ont suivi le bombardement, 112 morts ont été dénombrés. Parmi eux, 12 résidents de l’hôtel Peugeot numéro 2, écrasées par des blocs de béton, lorsqu’une bombe s’est écrasée dans la cage d’escalier. Il y a eu aussi 132 blessés hospitalisés dans les hôpitaux de Montbéliard et de Besançon dont une dizaine décéda. Au total, le raid avait causé 125 morts et 250 blessés, 590 habitations sinistrées dont 80 totalement détruites et 981 familles sans-abri.

Comment une telle erreur a-t-elle été possible ?

Une quinzaine de minutes après le déclenchement des sirènes, des Pathfinders - escadrons de marquage de cibles – ont localisé et marqué les cibles avec des fusées éclairantes. Ont suivi cent cinquante-deux bombardiers Halifax - bombardiers lourds quadrimoteurs - qui ont largué environ six cents bombes, non compris celles précipitées dans l’Allan ou dans les nombreux étangs alentour, qui ont manqué l’usine en grande partie et se sont abattues sur les maisons, dans les rues et les jardins de Sochaux et des localités voisines : Mandeure, Vieux-Charmont, Nommay, Etupes et Allenjoie. Le raid a été un échec puisque trente-cinq bombes seulement ont touché les usines et que la plus grosse concentration de cratères de bombes se situait à 620 mètres au nord-est de l’objectif.

Le rapport militaire rédigé sur la base des photographies aériennes et d’un relevé des impacts envoyés à Londres par la Résistance explique que : « Most of the displacement was due to a 690 yards error in marking, but there was in addition a systematic overshoot with respect to the markers ». Traduction : La raison principale de cet écart a été due à l’erreur de 620 mètres dans le marquage, à laquelle est venue s’ajouter un tir systématiquement trop long par rapport au marquage.

 

Il a pu exister une « Confusion entre les cheminées des usines, de la brasserie, cette dernière comportant plusieurs bâtiments, récemment repeints, en couleur blanche et constituant de ce fait une cible idéale comme le prouve le fait qu’elle reçoit autant de bombes que les usines ».

Les autorités militaires britanniques ont reconnu que 1,7 % des bombes ont porté sur la cible (l’usine), une résultat très faible comparé à d’autres opérations similaires, mais qui s’explique par le manque de GPS à l’époque.



Sources

  • Mémoire vivante de Sochaux
  • Mémoires de L-M-T. TS… transmises à l’auteur de ce blog par une cousine apparentée à la famille de Lazarra.  




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Article épinglé

Analphabétisme et illettrisme dans les Landes à la fin du XXe siècle.

« Au point de vue de l’instruction primaire, le département des Landes, a été jusqu’à ce jour très arriéré. En 1892, le c...

Articles les plus consultés