Les radeleurs dans les Landes

Acrobates aux pieds mouillés, mais au pied marin, marins d’eau douce mais funambules sur leurs billes de bois capricieuses, les radeleurs qui domptaient ces trains de bois flottants, étaient des livreurs à leurs risques et périls. Il fallait se diriger entre les rochers, les méandres, les bancs de sable, les remous, les piles des ponts, les pertuis des moulins et les nasses des pêcheurs. S’ils ne vivaient pas en permanence sur l’eau, les radeleurs n’en quittaient pas moins leur famille pendant plusieurs jours voire plusieurs semaines d’affilée, avec leur galurin délavé, leur petit baluchon et leur maigre pitance.

Avec un sol peu portant, marécageux ou sablonneux, et un régime des eaux qui « transforme la plaine en marécage l’hiver », le département des Landes a été pendant très longtemps très mal desservi, jusqu’au développement du réseau de chemin de fer et des routes asphaltées. Force était donc de recourir au transport par ses rivières pour assurer son développement et sa prospérité.


Jusqu'au XIXe siècle, la construction navale n'utilisait que le bois. Puis les mines réclamèrent de plus en plus de poteaux et les chemins de fer de plus en plus de traverses. Afin d’exporter le précieux bois landais, il fallait donc emprunter les rivières qui mènent à l’océan Atlantique, selon deux axes de navigation et de radelage :

- Vers le sud-ouest par la Midouze, puis l’Adour, jusqu’à Bayonne. 

- Vers le nord-ouest, par la Leyre, jusqu’au bassin d’Arcachon,

La carte suivante montre les deux axes principaux du radelage dans les Landes.

Adaptation par B-A Gaüzère d’une carte de Wikipédia de Roland45, 2018.

 « Le flottage du bois ou radelage est un mode de transport par voie d'eau pour des pièces de bois de tailles variables, à l'état brut ou déjà débitées, assemblées entre elles ou pas ». Le radelage dépend des caractéristiques hydrographiques, climatiques et culturelles de chaque région du monde, mais aussi du degré de flottabilité du cours d'eau (entre étiage et crue) qui est aux abords des massifs forestiers dans lesquels sont abattus les arbres.

Les radeleurs assemblent les grumes les unes aux autres pour charrier le maximum de pièces jusqu'au port final. Ils doivent rentabiliser l'expédition en évitant de perdre des pièces de bois pendant la descente avec un inconvénient majeur dû à la taille du train de bois : il n'était pas facilement manœuvrable sur des cours d’eau capricieux. Les rames utilisées par les radeleurs avaient 20 pieds de long (6,50 m) et de 10 à 12 cm d'épaisseur. Arrimée sur le radeau, une petite tente protégeait parfois les radeleurs contre l’ardeur du soleil ou de la pluie.

Le radelage vers Bayonne par la Midouze, puis l’Adour.

L'Adour est un fleuve du Sud-Ouest de la France, d’une longueur de 308 km, qui prend sa source dans le massif pyrénéen du pic du Midi de Bigorre, et se jette dans l'océan Atlantique dans la région de Bayonne, entre Tarnos sur sa rive droite et Anglet sur sa rive gauche. En gascon, adour signifie « source », « cours d'eau » et adourgà ou adorgar signifie « irriguer ». Dans les Landes, l’Adour sépare les coteaux pré-pyrénéens de Chalosse (au sud) des Landes de Gascogne (au nord).

 

Navigable sur 75 km sans écluse, l'Adour entretenait une forte activité de transport de marchandises sur galupes (gabarres landaises), permettant d'écouler la production de l'intérieur du Sud-Ouest et notamment les vins des vignobles gascons. Cette activité de transport s’inclina à l'orée du XXe siècle devant le chemin de fer et les routes asphaltées, plus rapides, plus économiques, moins capricieuses. Les quatre principaux ports de l'Adour étaient, par ordre décroissant de tonnage réalisé : Mugron, Saint-Sever, Hinx, Dax. S’y ajoutait le trafic en provenance du port de Mont-de-Marsan, via la Midouze, un affluent droit qui se jette dans l'Adour aux environs de Tartas.

De 1152 à 1451, les Anglais ont été les maîtres de l’Aquitaine et ont fait construire bon nombre de leurs bateaux à Bayonne, un chantier naval réputé. Mais les divagations du lit de l'Adour, ont promené les chantiers navals de Capbreton à Saint-Jean-de-Luz, jusqu'à ce qu'en 1578, Louis de Foix, ingénieur du roi Henri III, , aidé par une crue providentielle de la Nive, rétablisse définitivement le "boucal" de l’Adour à Bayonne. Adieu Capbreton, adieu Vieux-Boucau !

Au XVIIIe siècle, François Batbedat (1745-1806) - négociant, armateur, homme politique, littérateur gascon, pionnier du boisement des Landes, président du Conseil général des Landes, maire de Bayonne - acclimata dans les Landes le pin de Riga dans la commune de Garosse. Mais les chantiers navals de Bayonne achetaient du pin dans les Landes, bien avant lui, car l'exploitation des bois landais était bien plus facile que celle des forêts pyrénéennes. La topographie plate des lieux de coupe facilitait l'abattage et aussi le charroi vers les ports.

La forêt landaise avait jadis fourni les Anglais en planches et en bois de construction. Par la suite, les Anglais lui achetèrent des poteaux de mines. À partir de Tartas, la Midouze, puis l’Adour servirent à charrier les pins des forêts landaises. Selon Gilles Kerlorc'h, le train était formé « de deux à quatre radeaux de billes de pins, manœuvrés avec un aviron approchant les sept mètres de long. Cette descente vers Bayonne, depuis Tartas ou Dax pouvait être périlleuse ; de nombreux écueils, ponctuaient le fleuve : gabares, nasses, piles de ponts… il n’était pas rare que les trains se disloquent sur un obstacle immergé ».

Par contre, la construction des vaisseaux de la Marine Royale, nécessitait un bois à la fois plus souple et plus solide : les hêtres et surtout les sapins qui ne poussent qu'en montagne. Ce fut l’exploitation du bois de Castet en Ossau et d’Arette en Baretous. Mais ceci est une autre histoire - bien racontée dans le site internet du Centre culturel du Pays d’Orthe - avec la grande difficulté de les faire flotter sur le Gave jusqu’à Peyrehorade à la limite sud des Landes. 

Dax. L’Adour et le Pont du Chemin de fer.


Dax. Transport des billes de bois sur l’Adour.

La descente de la Midouze et de l'Adour était un long fleuve tranquille, comparée à celle de ses turbulents affluents, bien que le radelage rencontrât ses difficultés habituelles : digues des moulins, tourbillons, atterrissements, nasses. D’où de nombreux conflits entre radeleurs, meuniers, pêcheurs que l’autorité publique tentait d’arbitrer. 

Dans cette partie sud des Landes, les forêts étaient toutes situées à moins de quinze kilomètres du port. Par ordre de position le long de la Midouze et de l’Adour, d’amont en aval, les coupes de pins se pratiquaient à Saint-Yaguen, Meilhan (commune limitrophe de Campagne-de-Marsan), Ponson, Bégaar, Pontonx. Les billes de pins étaient acheminées vers les ports de constitution des radeaux, par des chars à quatre roues ou à l'aide de "diables" tirés par des mules. 

À partir de Tartas, la descente jusqu'à Bayonne, longue d’une centaine de kilomètres, s'accomplissait en quatre étapes, avec autant de relais pour les radeleurs qui n’accomplissaient qu’une partie du parcours et s’en retournaient ensuite chez eux avec leur maigre salaire, à pied vers l’amont de la rivière. De 1920 à 1930, quatre ou cinq équipes de radeleurs exerçaient encore le long de l'Adour.

Le radelage vers le bassin d’Arcachon par la Grande et la Petite Leyre et l’Eyre.

L'Eyre ou la Leyre est une rivière des Landes de Gascogne qui prend sa source dans le département des Landes et se jette en un delta dans le bassin d'Arcachon, en Gironde. Le delta couvre 3 000 ha et accueille des centaines de milliers d'oiseaux migrateurs et sédentaires. L’Eyre est formée par la confluence à Moustey de la Grande Leyre, son cours principal et de la Petite Leyre, son principal affluent. La longueur de son cours est de 116 km. Son débit est très irrégulier, car les étés sont chauds et orageux et les hivers sont doux et assez humides avec des épisodes pluvieux, parfois intenses occasionnant une montée soudaine de la Leyre.

Seule voie d’accès vers les Landes profondes, la Leyre a été l’objet de plusieurs aménagements depuis l’époque romaine jusqu’à la moitié du XXe siècle. Tours de guets édifiées par les Romains et leurs successeurs, anciennes fortifications qui servaient à protéger la production et le transport de la précieuse résine des pins utilisée pour l’éclairage et le calfatage de la marine romaine. Les endiguements en tronc d’arbres sont aujourd’hui disparus.

Citons Éric Reignoux, auteur des Moulins d'Eyre et de la Lande. En 1866, le Conseil général des Landes fit une demande auprès de l’État « pour que les deux Leyre soient déclarées flottables ». Il s’agissait en fait d’officialiser la navigation sur la rivière afin de mieux prélever une taxe de flottage aux radeleurs qui depuis belle lurette, « descendaient la Grand Leyre à partir du Moulin de Rotgé à Sabres et la petite Leyre depuis le Moulin de Belhade ». Le décret paru le 19 juin 1867 rendant officiellement les rivières flottables est donc imposables. « En 1874-1876, d’importants travaux d’aménagement furent alors réalisés entre la confluence de Moustey et la limite du département distante de presque 11 km ».

Toujours selon Éric Reignoux : « En 1892, 215 radeaux descendent la grande Leyre avec un chargement de 10 220 tonnes et 67 radeaux passent la confluence avec 3 035 tonnes de planches, poutres et traverses ». « En 1893, sur la grande Leyre, on ne dénombre pas moins de 177 radeaux pour un tonnage de 9405 tonnes et 4 114 tonnes en 83 trains sur la Leyre orientale. La baisse du nombre de radeaux cette année-là peut-être la conséquence d’un été particulièrement chaud ».

Puis avec le développement des transports routiers, l’activité de radelage dans les Landes, s’est noyée définitivement au cours du premier tiers du XXe siècle.

Le radelage a été inscrit en 2022 (17.COM) sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.


Remerciements à Gilles Kerlorc’h pour ses documents photographiques.

Sources

  • Christophe Rambert. « De la montagne à l'océan : le radelage sur les gaves et sur l'Adour ». Arcades : créations culturelles et patrimoines en Nouvelle-Aquitaine, 2018, HS, p. 32-33.

  • Éric Reignoux. Moulins d'Eyre et de la Lande, Éditions Loustalet, 13 juin 2015. ISBN 978-2-909013-13-8




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