1854 : le tocsin sonne dans la lande en feu, Campagne-de-Marsan se mobilise.

Grâce aux archives départementales des Landes (délibérations du Conseil municipal de Campagne-de-Marsan), cet incendie de la nature nous éclaire sur les pratiques agropastorales dans les Landes et sur la grande solidarité qui régnait entre les villageois au XIXe siècle.

« L’an 1854 et le 24 du mois de mars à 5 heures du soir, nous, maire de la commune de Campagne, informé qu’un grand incendie avait éclaté dans la lande appelée de Destanque, située dans notre commune, et que le feu avait pris une extension telle qu’une partie de la population avait eu toutes les peines possibles pour s’en rendre maître et qu’en notre absence, notre adjoint avait donné l’ordre de sonner les cloches pour appeler du secours.

Nous nous y sommes de suite transportés ; avons trouvé notre adjoint et un grand nombre d’habitants qui, tous, nous ont déclaré que l’incendie était arrêté.

À 6 heures et demie, le feu s’étant trouvé entièrement sans qu’il existât aucun danger, ainsi que nous nous en sommes assurés en procédant à la visite des lieux incendiés et de ceux circonvoisins, nous nous sommes retirés après avoir donné des ordres aux personnes qui étaient là pour y garder pendant la nuit, et avant de rédiger le présent procès-verbal en présence des sieurs Jean-Baptiste Fauthouz, notre adjoint, et Pierre Dudon, membre du Conseil municipal qui ont signé avec nous, après lecture faite.

Nous réservons de procéder ultérieurement à une enquête sur les causes et circonstances et les effets plus ou moins désastreux de l’événement dont il s’agit.

Fait à Campagne lesdits jour, mois et an que ci-dessus ».

Signé : le maire.

 

« L’an 1854 et le 25 mars, nous Darroze, maire de la commune de Campagne, canton et arrondissement de Mont-de-Marsan, constatons ainsi que nous l’avons annoncé dans notre procès-verbal d’hier nous être livré à des investigations nouvelles dans le but de vérifier les causes qui ont pu donner lieu à l’incendie qui se manifesta hier au soir à 6 heures sur divers terrains en nature, partie de landes et partie de bois, situés au quartier de Destanque, appartenant à plusieurs propriétaires, domiciliés et non domiciliés en la présente commune. 

Ces investigations nous ayant amené à savoir que quelques habitants pourraient nous donner des détails et circonstances sur l’événement dont il s’agit, nous les avons appelés devant nous et avons constaté de la manière suivante leur déclaration  »

 

1 - Jean Lucbernet, âgé de 66 ans, laboureur au lieu-dit Tacheyre, en Campagne, nous a déclaré ce qui suit : « Hier matin, vers huit heures, je fus avec quelques personnes chez Monsieur Destanque pour l’aider à préparer dans sa propriété, un terrain qu’il se proposait d’incinérer afin de faire un semis, et nous exécutable une tranchée à l’entour de ce terrain afin d’ éviter que le feu n’allât communiquer dans les terrains voisins qui appartenaient également au même Monsieur Destanque. Vers deux heures de l’après-midi, ce dernier que j’assistais avec les mêmes personnes qui s’étaient réunies le matin, nous nous transportâmes de nouveau sur le terrain pour mettre le feu dans la partie disposée à cet effet, et surveiller la marche du feu jusqu’à quatre heures ».

« À ce moment, un vent violent du nord-ouest s’éleva subitement, et malgré toutes les précautions qui avaient été prises, des étincelles de feu furent lancées en l’air avec la fumée, sans qu’on puisse les apercevoir.

Ces étincelles furent toucher sur un terrain voisin appartenant au dit Monsieur Destanque, mais à une forte distance de la tranchée pratiquée et le feu se manifesta avant qu’on put l’apercevoir avec une extension tellement considérable que Monsieur Destanque, effrayé des malheurs qui pouvaient s’en suivre, envoya en toute hâte au bourg pour faire sonner le tocsin, à l’aide duquel il survint sur les lieux un nombre considérable de personnes avec l’assistance desquels, nous parvînmes à arrêter totalement l’incendie ».

Lecture faite au témoin de sa déclaration, il a déclaré qu’elle contient vérité et n’a signé pour ne savoir.

 

2 - Nous avons ensuite fait comparaître successivement : 1 – Le nommé Jean Miremont, âgé de 27 ans, laboureur, demeurant au Batanès ; 2 - Jean Desclaux, âgé de 42 ans, laboureur au lieu de Montinous ; 3 - Jean Desclaux, laboureur, âgé de 28 ans, demeurant au Gémé, les trois domiciliés dans la commune de Campagne ; 4 - Marie Tauzia, âgée de 24 ans, cultivatrice demeurant au lieu-dit de Franget, dans la commune de Meilhan, lesquels nous ont déclaré que, comme Jean Lucberenet, dans la préparation du terrain incinéré et dans toutes les autres opérations dont le dit Lucbernet a rendu compte dans sa déclaration. Nous leur avons donné lecture de cette déclaration et ils l’ont confirmée dans toute sa teneur.

Sommés de signer, ils ont déclaré ne savoir

 

3 - Dominique Tauzia, âgé de 53 ans, domestique, au lieu de Calonge, commune de Campagne, nous a déclaré ce qui suit : « J’étais à 1 heure du soir, occupé à couper du soutrage sur un terrain nature de landes appartenant à la commune, limitrophe de celui où l’incinération a eu lieu. Je vis et distinguais, parfaitement bien le pare-feu qui avait été pratiqué au lieu de ce même terrain, et lorsque le feu, poussé par le vent, menaçait d’étendre ses ravages sur les propriétés contiguës, Monsieur Destanque, désolé de l’événement, me pria de venir pour l’aider à éteindre le feu ».

Lecture faite au dit Tauzia de sa déclaration, il a déclaré qu’était vérité et n’a signé pour ne savoir de ce que requis par nous.

 

"Les personnes qui ont concouru à éteindre l’incendie étaient au nombre d’environ quatre cents. Nous avons jugé complètement inutile d’en faire comparaître une partie devant nous, attendue qu'elles n’auraient pu nous fournir aucune indication sur les causes de l’incendie, ni sur les circonstances de l’événement qui d’ailleurs se trouvaient suffisamment désignées par les dispositions transcrites ci-dessus".

 

À la suite de ces deux procès-verbaux, le maire de la commune adresse un procès-verbal à Monsieur le Procureur impérial pour lui faire part des conclusions de son enquête.

 

« J’ai l’honneur de vous adresser ci-joint copie de deux procès-verbaux que j’ai dressés les 24 et cinq du courant à l’occasion de l’incendie qui a eu lieu dans ma commune, par suite d’une incinération des landes.

Je ne dois pas vous taire, Monsieur le Procureur Impérial, que le propriétaire du terrain incinéré est un des hommes honorables de ma commune, que je ne suppose pas qu’il ait, dans cette circonstance, négligé aucun des moyens qui peuvent prévenir des sinistres de pareille occurrence, et que celui qui a eu lieu est le résultat du vent extraordinaire, qui est survenu au moment où l’on comptait, au contraire, sur le calme pour faire de la température ».

 

Les Landes en 1854 : plantons le décor.

 

Au milieu du XIXe siècle, les Landes de Gascogne étaient en retrait du territoire national, n'ayant pas de vraie place au sein de l'imaginaire national.

 

Jusqu'à l'orée des années 1850, la majeure partie du département était couverte de landes mal drainées dans sa partie haute (60 % à 70 % de sa superficie totale) qui lui donnèrent son nom. Cette lande qui était à l'époque entretenue par écobuage, servait à nourrir les grands troupeaux de brebis (1 million de bêtes en 1850), surveillés par des bergers montés sur des échasses qui permettaient d'accomplir plus facilement de grandes distances, tout en surveillant le troupeau, du fait de l’absence de relief. Avant la loi relative à l'assainissement et de mise en culture des Landes de Gascogne du 19 juin 1857, le système agropastoral était généralisé et puisait sa force dans le libre usage des communaux majoritaires. Après cette date, la systématisation des plantations de pins maritimes (exploités pour leur résine et leur bois), accompagnée de la vente des communaux durant la deuxième moitié du XIXe siècle, a complètement modifié le paysage et l'économie des deux tiers du département, tout en contribuant à son enrichissement rapide.

 

Ce que nous apprend cette histoire sur les pratiques agropastorales des Landes et sur la grande solidarité qui régnait entre les villageois au XIXe siècle.

 

Les terrains sont « en nature, partie de landes et partie de bois ».

Ce qui signifie que les grandes plantations de pins étaient en cours dans le Sud-Ouest, mais ne recouvraient pas encore l’ensemble de la région. De plus, il est question dans le témoignage de Dominique Tauzia d’un « terrain nature de landes appartenant à la commune », ce qui signifie que la commune n’avait pas encore vendu tous ses terrains communaux.

 

L’incinération des landes.

Cette expression désignait à l’époque une mise à feu volontaire afin de faire un semis. De nos jours, elle est synonyme d’écobuage ou d’agriculture sur brûlis, bien qu’il existe une différence entre des deux termes.

 

L'écobuage ou brûlage dirigé est une pratique ancestrale et, dans son acception première, une technique de préparation d'un espace avant sa mise en culture et un outil de défrichement définitif réalisé sous forme de brûlage.

 

L’agriculture sur brûlis (ou brûlis ou agriculture sur abattis-brûlis, ou système agraire forestier) est un système agraire dans lequel les champs sont défrichés par le feu, ce qui permet un transfert de fertilité, puis sont cultivés pendant une période brève pour être ensuite mis en friche, le plus souvent forestière, à longue révolution (friche forestière). C'est le cas le plus fréquent d'agriculture itinérante. Existant depuis la Préhistoire, employée à grande échelle, cette agriculture extensive itinérante peut conduire à une dégradation durable des sols.

 

Alors que l'écobuage soumet la croûte superficielle du sol, racines comprises, à l'épreuve du feu après arrachage et séchage, le brûlis, quant à lui, soumet au feu seulement la partie aérienne de la végétation, après séchage précédé d'un éventuel débroussaillement. . 

 

Les systèmes sur brûlis peuvent nourrir une population de l'ordre de 10 à 30 habitants/km². Lorsque la population augmente au-dessus de la densité que peut supporter le système, une partie de la population du village émigre et forme un nouveau système agraire dans une zone de forêt encore non exploitée.  Ces systèmes ont entraîné une croissance démographique importante, par rapport aux époques précédentes. Ainsi, entre -8 000 et -3 000, la population humaine est passée de 5 à 50 millions d’individus. Néanmoins, à cette époque, le taux de croissance de la population était inférieur à 1 % par an, la formation de nouveaux villages se produisait moins d'une fois par siècle et le front pionnier de l'agriculture avançait environ de 1 km par an. 

 

Le tocsin

 

Il s'agit d'une sonnerie de cloches civiles pour alerter la population d'un danger imminent tel qu'un incendie, une invasion, une catastrophe naturelle, un naufrage, mais aussi pour rassembler la population en urgence. Une cloche réservée à cet effet (souvent située dans le campanile ou le beffroi civil, ou l’une des cloches du clocher de l’église) est alors sonnée à coups pressés et redoublés, au rythme de 90 à 120 coups par minute, à l’aide du battant tiré par une corde ou d’un martelet. Il n’était jamais sonné sur le bourdon d’une cathédrale, contrairement au glas. Dans certaines régions, il peut être sonné par tintement en alternance sur deux cloches. Il ne doit pas être confondu avec le glas, qui est un tintement lent. Le tocsin est actuellement remplacé par la sirène municipale. 

 

Dans notre histoire, le sacristain a réussi à mobiliser 400 Campenois sur une population d’un millier d’âmes, soit l’ensemble de la population active, rameutée par le tocsin sur une surface de 34 km2. Une bien belle et bien nécessaire solidarité et une cloche qui portait au loin. 

 

Le soutrage 

 

Évoqué par le témoin Dominique Tauzia (du gascon sostratge, plantes composant la litière) ou "enlèvement de la terre de bruyère " est une technique agricole anciennement pratiquée dans le Sud-Ouest de la France dans les forêts ou les plantations de pins après les coupes et avant le reboisement ou l'abandon de la parcelle. La technique consistait dans un pelage complet de la surface du sol, au moyen d'un outil connu localement sous le nom de dail ou daille qui présente la forme d'une faux à manche court et remplit l'office d'une pioche à tranchant d'acier. On ôte la couche superficielle du sol et le reste de végétation qui la couvre (mélange de genêts, fougères, ronces) en coupant entre deux terres les racines pénétrantes. Le soutrage était réalisé principalement dans les forêts où on pratiquait l'élevage extensif de brebis afin de récupérer le fumier décomposé produit par ces bêtes. Sinon on étalait la couche prélevée dans la cour de la ferme où circulaient les vaches. À la fin de l’hiver, par le piétinement et les déjections, on obtenait une sorte de compost qui était épandu dans les champs pour la fertilisation (transfert de fertilité). 

 

Le sieur Destanque ou D’Estanque 

 

Il était l’un des plus gros propriétaires de la commune, ainsi que le maire Jean Darroze. Cette famille a fourni deux maires à la commune au cours du XIXe siècle. Ce fait explique la formule ronflante utilisée par le maire à l’intention du Procureur impérial « le propriétaire du terrain incinéré est un des hommes honorables de ma commune ». Ici aussi, c’est une question de solidarité afin d’exempter le sieur Destanque de toute responsabilité dans la survenue de cet incendie... pour la simple et bonne raison de son honorabilité ! 

 

Sources


AD40 Campagne-1803 - 1857-E DEPOT 61/1D1, pages 156-157

Un grand merci à Wikipédia. 
 
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