1853 - Une fausse guérisseuse escroque des habitants de Campagne-de-Marsan (Landes) et finit à la geôle.

Alors qu’au XIXe siècle, pas plus que de nos jours, la médecine n’avait pas d’obligation de résultats, sévissaient des charlatans qui exploitaient la crédulité des populations, contre espèces sonnantes et trébuchantes. Le maire Jean Darroze (1812-1890) était un notable landais typique, propriétaire terrien, officier de santé, et très impliqué dans la vie de sa commune de Campagne-de-Marsan, puisqu’il en fut le maire pendant 40 années au XIXe siècle. En sa qualité d’officier de santé, il ne pouvait que s’opposer à un soi-disant exercice rémunéré de la médecine par une personne non qualifiée.

 

Voici le procès-verbal qu’il rédigea contre Marguerite Darrac.

 

« L’an 1853 et le 23 du mois de février, nous, maire de la commune de Campagne, canton et arrondissement de Mont-de-Marsan avons été informé après par la clameur publique qu’une femme connue sous le nom de Marguerite Darrac, domiciliée en la commune de Poudens, canton d’Hagetmau, arrondissement de Saint-Sever, en la maison, appelée de Beylac, est venu demeurer quelques jours en la présente commune et a dans un très court, espace de temps escroqué diverses sommes à plusieurs personnes en se disant revêtue d’un pouvoir imaginaire et à l’aide dudit pouvoir a dit qu’elle pouvait guérir toute espèce de maladie.

Voulant nous assurer du plus ou moins de vraisemblance des faits imputés à cette femme, nous nous sommes livrés à des recherches desquelles il résulte les faits suivants : 

 

Premièrement.

Le sieur Miramont Jean, cantonnier a reçu chez lui pendant 18 jours dans le courant de janvier dernier, la dénommée Marguerite Darrac, qui se faisait forte de guérir sa femme atteinte depuis longtemps d’épilepsie et lui a payé, non compris la nourriture et le logement, une somme de 25 Fr. en objets immobiliers et en argent, ainsi qu’un traitement qui n’a eu aucun résultat, puisque la femme Miramont a emporté récemment deux attaques. Le sieur Miramont a signé la présente déclaration après lecture.

 

Deuxièmement.

La nommée Jeanne Catuhe a chez elle, une jeune fille de l’hospice de Mont-de-Marsan, atteinte d’hystérie. Informée que Marguerite Darrac était présente dans la commune et qu’elle avait le pouvoir de guérir toute espèce de maladie, elle fut la consulter pour le compte de cet enfant. Marguerite Darrac, après avoir examiné cette dernière, prit l’engagement de la guérir, moyennant une somme de 7 Fr. le prix d’un remède que la jeune fille a pris et deux francs pour une messe, en tout neuf francs, somme que Jeanne a dû compléter à Marguerite Darrac. Il fut en outre, convenu que si les attaques disparaissent ou diminuaient, ladite Jeanne Catuhe serait obligée d’accorder une nouvelle récompense pécuniaire à Marguerite Darrac. Telle est la déclaration faite par Jeanne Catuhe qui après lecture n’a pu la signer pour ne savoir.

 

Troisièmement.

Jean Tauziède, laboureur au lieu-dit de JeanBeylet en la présente commune, lors de la première quinzaine de janvier dernier, que la nommée Marguerite Darrac se trouvait à Campagne, et avait le pouvoir de guérir toute espèce de maladie, fut la trouver sur la route impériale, en présence du sieur Miramont, premier témoin, entendu, il lui fait part de la maladie dont se trouvait atteinte depuis quelque temps sa femme, Claire Pincherouet. Marguerite Darrac se rendit au domicile du déclarant où elle examina la malade et prit l’engagement de la guérir d’un dérangement dans son ventre, elle lui fit appliquer en effet quelques emplâtres sur la partie malade et avec un verre et deux bouts de bougies allumées, elle finit en faisant réciter quelques prières. Après quoi, elle pria le déclarant de la transporter à Hagetmau, ce que celui-ci fit, et de plus, elle fit payer la somme de 15 Fr. pour les soins donnés à sa femme. Trois ou quatre jours après, Marguerite Darrac revint chez le déclarant sous le prétexte, dit-elle, de constater les effets de sa médication. Ayant reconnu qu’il n’y avait pas eu d’amélioration, et que la femme Tauziède était au contraire, plus souffrante, elle le dit au mari, votre femme a un autre une autre maladie, elle est ensorcelée ; et la sorcière qui lui a donné le mal étant la famille et dans la maison ; néanmoins, et le prix l’engagement de la guérir et lui dans ce but trois ou quatre nouvelles visites, à la suite de la première, elle se fit accompagner à Saint-Sever et remettre 2 Fr. pour l’achat d’un remède en poudre et d’un autre médicament ayant la forme de graines de pois qui a été administré à l’intérieur. Ces remèdes furent achetés chez un pharmacien à Saint-Sever.

Une seconde fois, elle se fit accompagner à Hagetmau où elle exigea du déclarant une somme de 5 Fr. pour faire dire des messes à Sault-de-Navailles. Elle annonça au déclarant qu’elle reviendrait prochainement, visiter sa femme parce qu’elle avait besoin de défaire et d’examiner la couverture garnie de plumes de son lit pour savoir si la sorcière y avait mis quelque chose et qu’il prie à Dieu pour que rien ne s’y trouve parce qu’il en ferait… depuis cette époque. La femme Tauziède a été de plus en plus mal et est décédée 10 à 12 jours après le traitement qu’on lui a fait subir. Le déclarant a noté qu’il a remis à la femme Darrac en totalité la somme de 22 Fr. en argent, non compris les frais de divers voyages qu’il a dû faire pour accompagner cette femme. Lecture refaite de cette déclaration aux Sieur Tauziède, dont il a déclaré qu’elle était constante vérité et qu’il y persiste. Sommé de signer, il a déclaré ne savoir.

 

Quatrièmement.

Le nommé Bernard Serres, laboureur au lieu-dit de la Prabende de la présente commune, informé dans la première quinzaine de janvier, qu’une dénommée Marguerite Darrac se trouvait dans cette commune, ayant le pouvoir de guérir diverses maladies, envoya sa femme, Jeanne Catuhe pour aller la trouver chez le sieur Miramont, premier témoin entendu enfin entendu afin de la consulter pour des souffrances qu’elle éprouvait depuis quelques jours. Après l’avoir examinée, Marguerite Darrac lui dit qu’elle avait un dérangement du ventre et qu’elle se chargeait de la guérir. Le lendemain, elle se rendit au domicile du sieur Serres et fit allonger Jeanne Catuhe au lit, et là, elle lui appliqua un verre sur le ventre avec deux bouts de bougies allumées. Elle fit les mêmes prières qu’elle avait fait à la précédente. En sortant, elle dit ai Sieur Serres qu’il fallait … il fut l’accompagner à Saint-Sever pour prendre des médicaments. Elle fit halte avec lui chez un pharmacien dans cette ville et lui remettre 1 Fr. 30 centimes pour payer deux emplâtres et un médicament en poudre pour prendre au lendemain.

Le samedi suivant, elle fut elle-même appliquer les emplâtres sur la partie malade et fit prendre à Jeanne Serres, dans une bouteille d’eau, la poudre à l’intérieur, huit verres et, malgré que la femme Serres n’éprouve le lendemain aucun soulagement, la femme Darrac exigea d’elle de payer les soins qu’elle lui avait donnés la somme de 5 Fr. Le sieur Serres a déclaré ne savoir signer.

Dans les faits, ci-dessus, il paraît résulter que la nommée Marguerite Darrac, à l’aide de manœuvres frauduleuses et se disant en possession d’un pouvoir chimérique et imaginaire, à extorqué des sommes sous le prétexte de rendre la santé à des gens malades et infirmes, qu’elle a… dans la démonstration de ses remèdes, contribué à hâter la mort de l’une des personnes auprès desquelles elle avait été appelée.

 

Nous, maire, avons dressé le présent procès-verbal pour être envoyé à Monsieur le procureur impérial près le tribunal de première instance séant à Mont-de-Marsan, afin que ce magistrat donne telle suite qui de droit.

Signé : le maire Darroze ».

 

Résultat : un mois de geôle pour escroquerie

 

Le PV du maire a dû être rapidement suivi d’effet, car un jugement du tribunal correctionnel de Mont-de-Marsan, en date du 14 avril 1853, déclare Marguerite Darracq (véritable orthographe de son nom) coupable d’escroquerie et la condamne à un mois de prison qu’elle a effectué du 4 juillet 1853 au 3 août 1853.

 

Écrou de Marguerite Darracq le 4 juillet 1853 (AD40 2 Y 57-Mars 1853 - janvier 1857, page 11).

Le registre d’écrou nous apprend qu’elle était ménagère, mesurait 140 cm qu’elle était âgée de 50 ans, qu’elle avait des yeux et des cheveux couleur châtain, un front découvert, un visage ovale, un menton rond, une bouche moyenne, un nez petit et un teint clair. Elle portait sur elle, deux mouchoirs, une « raube », un tablier, une paire de « sabaux »…

Elle n’apparaît qu’une seule fois dans les registres d’écrou des prisons des Landes qui vont jusqu’en 1918. Elle ne semble donc pas avoir récidivé ou bien ne s’est pas fait prendre une seconde fois.

L’arbre de Jacques Marsan (boulanjack) sur Geneanet, nous apprend qu’elle était fileuse de lin, née le 5 avril 1801 à Poudenx (Landes), mariée le 18 décembre 1837 avec Jean Canguilhem – un fabricant de paniers - dont elle a eu une fille prénommée Jeanne, née en 1834 et décédée en 1912. La date de son décès n’est pas connue.

 

Étymologie

Darracq est un patronyme assez fréquent dans les Landes qui désigne celui qui est originaire d'Arracq, nom de deux hameaux à Tilh et à Castaignos-Souslens (40), également signalé comme hameau à Orthez au XIVe siècle. À envisager aussi Arrac, nom de hameaux à Gan et à Arthez-de-Béarn (64). Variante : Darrac. En composition : Darracjuzan (juzan = en dessous).

***

Sources

  • AD40 Campagne-1848 - 1879-E DEPOT 61/1D3, page 44.
  • AD40 2 Y 57-Mars 1853 - janvier 1857, page 11. Registre d’écrou.
  • Geneanet : L’arbre de Jacques Marsan (boulanjack) et étymologie.
 


 


 


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