Jean Darroze (1812-1890), officier de santé et maire de Campagne-de-Marsan pendant une quarantaine d’années, au XIXe siècle.

Voici le portrait d’un notable landais typique, propriétaire terrien, officier de santé, et très impliqué dans la vie de sa commune de Campagne-de-Marsan, puisqu’il en fut le maire pendant 40 années, au XIXe siècle.

Jean Darroze a vu le jour le 5 mai 1812 à Tartas (Landes), à 15 km de Campagne-de-Marsan. C’est l’accoucheuse Jeanne Lespez qui a déclaré sa naissance. Sa mère était Anne Cabiro (1774-1859), troisième femme de son père Jean qui avait déjà été deux fois veuf, épousée le 15 mars 1804 à Clermont (Landes). 

Jean Darroze s’est uni le 11 juin 1840, à Saint-Sever, avec Suzanne Françoise Loysa Destenave (née en 1812 et décédée le 9 juin 1898 à Campagne, à l'âge de 85 ans). Il semble que le couple n’ait pas eu de descendance.

 

Officier de santé

 

Bien qu’apparaissant dans certains actes sous le titre de Docteur Darroze, il était officier de santé et non pas médecin, comme en attestent plusieurs documents émanant du Conseil général des Landes, ou comptes rendus de délibérations du Conseil municipal de Campagne-de-Marsan (AD 40, Campagne-1848 - 1879-E DEPOT 61/1D3, page 147). Il avait donc appris à soigner auprès d’une ou de plusieurs officiers de santé du cru et avait fait valider sa pratique médicale par un jury départemental.

 

Les décrets des 28 juin et 8 juillet 1793 relatifs « à l’organisation des secours à accorder annuellement aux enfants, aux vieillards et aux indigents » ont créé un corps d'officiers de santé. Le texte précise qu'« il sera établi près de chaque agence un officier de santé chargé du soin de visiter à domicile et gratuitement tous les individus secourus par la nation, d’après la liste qui lui sera remise annuellement par l’agence. »

« Cette disposition très « moderne », mais qui a permis la pratique de la médecine sans distinction de diplôme, va induire une confusion au sein de la population et faire progresser la désertification médicale des campagnes et le charlatanisme ».

 

La loi du 19 ventôse an XI (10 mars 1803) va remettre de l'ordre et créer deux niveaux dans les professions de santé : celui des médecins et chirurgiens diplômés de la Faculté et celui des officiers de santé, appelés "second ordre". Ce dernier grade était ouvert à des praticiens qui ne possédaient pas le baccalauréat, mais qui avaient fait valider leur pratique par un jury départemental remplacé ensuite par un jury universitaire. Cette loi de 1803, relative à la médecine, est un compromis entre l’Ancien Régime et la Révolution.

« Nul ne peut [après la loi du 19 ventôse] exercer la médecine ou la chirurgie sans avoir été reçu docteur. Sauf dans les campagnes déshéritées où les « officiers de santé » créés comme palliatif pratiquent avec un bonheur inégal jusqu’en 1892. »

 

Les officiers de santé ne purent, jusqu’en 1855, pratiquer la médecine que dans le département où ils avaient reçu leur diplôme. Ils n’avaient pas le droit d’effectuer certains actes et ne pouvaient pas avoir accès aux fonctions de médecin hospitalier ou d’expert.

Certains officiers de santé, particulièrement les militaires, purent ensuite accéder au titre de docteur en médecine, après avoir soutenu une thèse de médecine devant un jury universitaire.

 

L’officiat de santé fut aboli en 1892, même si les officiers de santé déjà en exercice ont pu continuer à exercer, jusqu’à leur extinction. L’annuaire des Landes signalait, en 1911, d’autres officiers de santé dans d’autres communes des Landes.

 

Maire pendant une quarantaine d’années

 

À l’époque du mandat de Jean Darroze (Louis-Philipe, roi des Français ; Napoléon III et le second empire), la démocratie était une notion très relative. Ne pouvaient être élus conseillers municipaux que les propriétaires, même si ces derniers étaient incapables de signer leur nom, comme en atteste la sempiternelle remarque des secrétaires de mairie « Les sieurs, Lataste, Clavé et Tartas n’ont signé, pour ne savoir ».

C’est ainsi qu’en 1856, le nommé Jean Dubosq, qui avait obtenu comme trois autres candidats 90 suffrages, vit sa nomination de Conseiller municipal déclarée nulle, au prétexte qu’il est forain, c’est-à-dire étranger à la commune, et n’est pas propriétaire dans la commune de Campagne. « Quant au quatrième candidat Dubosc Jean qui a obtenu aussi 90 suffrages, Monsieur le Président a déclaré sa nomination nulle, vu qu’il est forain et n’est pas propriétaire dans la commune de Campagne ».

 

Rejet d’un candidat élu qui n’est pas propriétaire (AD40 Campagne-1848 - 1879-E DEPOT 61/1D3, page 75).

 

De plus, le Préfet nommait lui-même le maire et son adjoint, jusqu’en 1871. Sous le Second Empire, les élus municipaux avaient obligation de dire « Je jure obéissance à la Constitution et fidélité à L’Empereur ». Autrement dit, il n’y avait pas d’opposition possible et les débats ne pouvaient que recueillir l’unanimité des conseillers.

Il fallait donc appartenir à une riche famille, très bien vue de l’autorité préfectorale, royale, ou impériale pour espérer être nommé maire. C’est ainsi que de 1830 à 1837 les annuaires des Landes listent les familles et les personnes les plus riches de la commune : D’Estanque, Darroze, Arnaud Vives qui sont les « électeurs-jurés » du Conseil général, car ils paient plus de 200 fr d’impôt par an. Ces trois familles-là fournirent des maires à la commune.

 

Signature de Jean Darroze, maire, et des conseillers municipaux en 1856 (Source : AD40 Campagne-1848 - 1879-E DEPOT 61/1D3, page 71).

 

Propriétaire terrien, Jean Darroze a été maire de la commune de Campagne à compter du mois de septembre 1840 (il a signé son premier acte de décès le 14/09/1840), à la suite de M. Vives, longtemps adjoint au maire, puis maire du 11 juillet 1836 au 8 septembre 1840. Jean Darroze est resté maire jusqu’au mois d’octobre 1890, avec une interruption du 7 août 1870 au 14 mai 1871, période correspondant à la guerre déclarée par la France au royaume de Prusse, qui a duré du 19 juillet 1870 au 28 janvier 1871, et qui s’est rapidement soldée par un désastre pour la France. 
 

Dans les faits, le 7/08/1870, les Campenois avaient élu leur Conseil municipal de 12 membres, dont deux Jean Gaüzère. Jean Darroze avait été désigné maire le 4/09/1870, tous les élus ayant eu obligation de déclarer : « Je jure obéissance à la Constitution et fidélité à l’Empereur ».

 

Le 23/09/1870, par un véritable déni de démocratie, un arrêté préfectoral portait dissolution du Conseil municipal qui devait être remplacé par une Commission municipale en lieu et place, composée de 5 membres choisis par le préfet (Vives, Dudon, Dupouy, Labeyrie, Peyre). Lesquels procédèrent à l’élection de leur président, Étienne Vives et le 30 octobre 1870, le Préfet nommait Jean-Baptiste Fauthoux, adjoint au président de la commission.

 

Jusqu’en février 1871, Étienne Vives, médecin vétérinaire et propriétaire terrien, fut donc le « maire ». Le 30 avril 1871, se tiennent de nouvelles élections municipales avec la participation de 274 votants.

Le 14 mai 1871, c’est Jean Peyre qui apparaît comme « maire » dans le compte-rendu de délibération du Conseil municipal, rédigé par Jean Réélzard, secrétaire de mairie et instituteur. Lors de la même séance, Jean Darroze retrouve son siège de maire, ainsi que les anciens conseillers municipaux. Il est décédé le 9 octobre 1890, à son domicile dans le bourg de Campagne, à l'âge de 78 ans

 

Peppone et Don Camillo avant la lettre

 

Alors que les relations avaient été excellentes avec le comte Victor de Marsan, curé de la paroisse décédé le 27 avril 1868, à partir de 1868, Jean Darroze et son Conseil municipal eurent à gérer et à porter au tribunal, un conflit qui a duré plusieurs années, avec le successeur qui semble avoir été une forte tête, l’Abbé Lartigau, secrétaire et président du Conseil de fabrique. Au sein d'une paroisse catholique, le conseil de fabrique était un ensemble de personnes (clercs et laïcs) ayant la responsabilité de la collecte et de l'administration des fonds et revenus nécessaires à la construction et entretien des édifices religieux et du mobilier de la paroisse : église, chapelle, calvaire…

 

Jugez-en ! Le curé ferme à clef l’accès à la sacristie et au faîtage de l’église, c’est-à-dire au clocher, refuse l’accès au colombier de pigeons qui s’est établi spontanément dans le clocher et à son usufruit dont bénéficiait la commune depuis trois ans (session du Conseil municipal de novembre 1871, donc l’affaire semble durer depuis 1868). En août 1871, il refuse de présenter les comptes de la fabrique, nie la nécessité de réparer la toiture du sanctuaire alors que l’architecte départemental souligne l’urgence de le faire, préfère réparer le presbytère. Or, les nombreuses gouttières menacent les peintures récentes faites à grands frais. Le toit du clocher et les bas-côtés sont dégradés. Le Conseil municipal engage d’urgence la somme de 50 francs pour les travaux les plus urgents à faire avant l’hiver, somme que le curé refusera de rembourser à la commune, même après condamnation par le tribunal et sommation du préfet. Le curé veut faire creuser une niche pour y abriter une statue de la Vierge, dans le mur de l’église, alors que ce mur est en mauvais état... En 1875, le curé a fait détruire l’hôtel en marbre de l’église sans en informer le Conseil municipal ni le conseil de fabrique. Il envisage d’autres transformations sans concertation aucune. Protestations véhémentes et feutrées du Conseil municipal… « Monsieur le Curé continue à agir de la façon la plus arbitraire ».

 

Maire et soignant, Jean Darroze sut se montrer généreux et désintéressé

 


Nous apprenons par une délibération du Conseil municipal réuni le 30 novembre 1856 qu’une circulaire du préfet, daté du 22 avril 1856, impose « la création d’un service de médecine gratuite dans la commune et de proposer au conseil de voter des fonds pour subvenir aux frais des soins donnés aux indigents ». Jean Darroze soulignant que la commune de Campagne est pauvre, fait voter une somme de 60 Fr. « pour payer les médicaments, attendu que lui, en sa qualité de médecin, offre de donner à la plupart des indigents inscrits sur la liste, ses soins gratuitement ». (AD40 Campagne-1848 - 1879-E DEPOT 61/1D3, page 78).

Autre exemple : au mois de mai 1864, il fit voter une délibération à son Conseil municipal pour que les 60 Fr. accordés à l’aide médicale gratuite des indigents viennent abonder le salaire de l’institutrice communale qui ne recevait jusqu’alors que 50 Fr. de rétribution scolaire, ce qui ne lui permettait pas de vivre correctement. Jean Darroze déclare alors « qu’il se charge de donner les soins et les médicaments gratis aux indigents portés dans la liste ». Sa proposition est acceptée (AD40 Campagne-1848 - 1879-E DEPOT 61/1D3, page 138). Ce fait nous dit que Campagne avait déjà une institutrice communale en 1864 et ne disposait que d’un seul « médecin ».

 

Sa famille

 

Son père, également prénommé Jean, est né le 3 mars 1772 à Gamarde-les-Bains (Landes) à quelques kilomètres de Tartas. Il est décédé à Campagne le 16 mai 1837 à, à l'âge de 65 ans. Les arbres généalogiques de Geneanet, le citent successivement comme vigneron, négociant, cultivateur, aubergiste, puis maître de postes à Campagne. Il s’est marié à trois reprises, a connu deux veuvages et a été père de neuf enfants.

 


Sur l’acte de son troisième mariage, il apparaît en qualité d’aubergiste à Tartas. En 1807, il habitait Gamarde-les-Bains (Landes), à la naissance d’un de ses autres fils. Il a donc migré à Campagne pour y prendre de relai de postes entre 1812 (année de la naissance de Jean à Tartas) et 1817 (année de naissance de son fils Raimond à Campagne) et jusqu’en 1837. Puis cette charge fut assurée par sa veuve après son décès, comme en atteste l’Annuaire des Landes de 1840. Pourtant vaste, le département ne comptait que 17 relais de poste, dont l’un était situé à la sortie ouest de Campagne-de-Marsan, au lieu encore appelé de nos jours, La Poste.

 

Deux de ses frères se prénommaient Raimond. Le premier est né le 26 juillet 1806 à Gamarde-les-Bains et décédé le 25 septembre 1871 à Campagne à l'âge de 65 ans, il était propriétaire. Son fils Jean, né le 17 août 1833 à Campagne, était médecin ou officier de santé et domicilié à Pontenx (Landes).

Le deuxième Raimond est né le 17 juillet 1817 à Campagne, et est décédé après 1895 : il était également officier de santé. Il est l’ancêtre, du côté maternel, d’Alain Juppé (né en 1945), ancien Premier ministre (1995-1997) et maire de Bordeaux.

 

Son petit-neveu, Albert Raymond Darroze (Campagne 1861 - Mont-de-Marsan 1940) fut également maire de la commune pendant quelques années. Il démissionna en juillet 1917 après sa nomination comme juge au Tribunal civil de Mont-de-Marsan. Ensuite, il devint procureur à Tarbes. Il était né le 2 octobre 1861 à Campagne et est décédé le 22 décembre 1940 à Mont-de-Marsan.

 

 

Sources

 

 


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