Une brève histoire de Barthe-Jouane (Saint-Orens, Saint-Perdon, Landes), du XVIIIe siècle à la première moitié du XXe siècle.

Tenter de reconstituer l’histoire du domaine de Barthe-Jouane, à partir des recensements de la commune de Saint-Perdon (Landes), c’est, à travers la forte rotation des familles qui l’ont habité, découvrir la condition des paysans-métayers landais. En effet, les données recueillies lors des recensements renseignent sur le métier et le statut et l’âge des personnes recensées, sur la taille des foyers, les alliances entre familles et entre générations et sur leurs lieux de naissance.

 

« En complément des registres paroissiaux et d'état-civil, les listes nominatives de recensement (ou dénombrement) de la population constituent une source précieuse pour l'étude des personnes et des familles. En effet, sont recensés individuellement et nominativement les individus, de tout âge et de tout sexe, habitant ou domiciliés habituellement dans la commune, y compris les étrangers ».

« La liste des habitants est établie par famille, et porte en tête le chef de famille, puis sa femme, ensuite ses enfants, puis les aïeux ou autres parents faisant partie du même ménage, puis éventuellement les domestiques ayant la même résidence, les apprentis logés à demeure, etc.

Les informations contenues dans les listes nominatives communales ont varié au cours du temps. On trouve généralement : les noms et prénoms, l'âge ou la date de naissance, la position par rapport au chef de famille, la profession, la nationalité, parfois l'adresse précise ».

 

La dure vie des métayers landais

 

Pratiqués tous les cinq ans à partir de 1806, les recensements font apparaître la très grande mobilité des paysans, liés par des contrats de métayage de tradition orale.

 

Le métayage était le mode de faire-valoir agricole le plus répandu dans tout le Sud-Ouest. Ce système traditionnel y a régi pendant des siècles les rapports entre les propriétaires terriens et leurs exploitants sous la forme d'un bail le plus souvent verbal. Il suffisait au propriétaire de signifier par la simple parole, la fin du « contrat » de métayage, avant le 1er janvier, pour que celui-ci parte au 11 novembre.

 

Jean Curculosse (1894-1976), un ami de mes parents, a raconté sa dure vie entre Carcarès et Meilhan (Landes), dans son ouvrage autobiographique : Une vie de paysan-métayer.

 

« Le département des Landes était le premier de France quant au nombre de métayers, devant l’Allier et la Dordogne. Près de 20 000 exploitations et plus de 70 % des terres étaient en métayage ».

 

Aux prélèvements des propriétaires sur les produits de l’élevage et des récoltes (un tiers et plus souvent la moitié) s’ajoutaient « Redevances, jambons, oies grasses ou maigres, chapons - surtout pas des faux – œufs en plus ou moins grand nombre, selon l’importance des métairies ». De plus, « Il y avait aussi des servitudes en grains : le curé, le bénédit (sonneur de cloches), le forgeron pour l’aiguisage des fers. La coussure était le vestige de l’ancienne dîme prélevée par le clergé ».

 

« Dans les campagnes, il y avait le four familial pour la fabrication du pain de ménage. Pendant longtemps, c’est la farine de seigle qui était utilisée. Plus tard, on mêlait de la farine de froment, ou celle-ci se panifiait seule. D’où l’importance du meunier qui faisait montrer les grains. Pour son travail, il prélevait la « pugnère » (la poignée), paiement en nature. Il faisait la tournée dans les métairies et venant chercher pour apporter la « hournade », la quantité de grains nécessaires à une ou plusieurs fournées. Celle-ci était faite pour une huitaine de jours. Ces artisans devenaient les banquiers des paysans, avançant les « hournades » à ceux qui en manquaient ».

 

Une brève histoire de Barthe-Jouane

 

Sur les cartes de Cassini, dressées entre le milieu du XVIIIe siècle et 1786, le quartier de Barthe Joua est clairement identifié, sur la rive gauche de la Midouze, alors que le moulin du Braut n’existe pas encore et que le moulin de Saint-Orens existait depuis 1633 (source : cartes IGN). Le mot Joua apparaît également dans Le Clère Joua et La Joua, à proximité.
 

Carte de Saint-Orens vers 1786 (source BnF/Gallica).

Carte générale de la France. 106, [Roquefort - Mont-de-Marsan]. N°106. Flle 167 / [établie sous la direction de César-François Cassini de Thury]. Auteur :  Capitaine Louis (1749-1803), cartographe. Date d'édition :  1786.


 

En mai 2024, les nouvelles Cartes IGN mises en ligne et qui datent l’année de construction de certains bâtiments de France, font remonter la construction de la partie Est du bâtiment situé à l’entrée du domaine de Barthe-Jouane, à 1800. Ce qui ne signifie pas qu’il n’existait pas d’autres bâtiments auparavant, mais que ces bâtiments ont pu disparaître au fil du temps. Par contre, le bâtiment principal d’habitation actuel et la grange ne sont pas datés par les nouvelles Cartes IGN.

 

 

 

Qui ont été les habitants de Barthe-Jouane au fil du temps ?

 

Recensement de 1806

 

Recensement de 1806 à Barthe-Jouane (AD40 Saint-Perdon-1807-E DEPOT 280/1F2, page 2).

 

 

Onze habitants dont deux domestiques.

 

Bernard Clavé, 40 ans, laboureur, veuf, depuis 2 ans dans la commune.

Jean Clavé, 38 ans, marié, depuis 2 ans dans la commune et Catherine Clavé, son épouse, 28 ans, née dans la commune.

Jean Clavé, 23 ans, depuis 2 ans dans la commune.

Les enfants : André, 9 ans ; Jeanne, 7 ans ; Jeanne, 5 ans ; Marie, 3 ans.

Jeanne Cazaux, veuve de Léon Clavé, 66 ans, depuis 2 ans dans la commune.

 

Deux domestiques : Jean N. 10 ans, « On ignore le lieu où il est né » ; Jeanne Claverie, 22 ans, depuis 6 mois dans la commune.

 

Recensement de 1819

Quinze habitants, dont 3 domestiques, différents de ceux de 1807. Transition de la famille Clavé à la famille Baillet. Changement de métayers ou changement de propriétaires ?

 

Magdelaine Dudon, 74 ans.

Antoine Baillet, 45 ans et son épouse Marguerite Sady, 45 ans.

Jean Baillet, 34 ans et Jeanne Sady, 32 ans.

Étienne Baillet, 22 ans et Jeanne Clavé, 22 ans.

Magdelaine Baillet, 13 ans ; Anne Baillet, 10 ans ; Catherine Baillet, 5 ans ; Catherine Baillet, 4 ans ; Antoine Baillet, 6 mois.

 

Trois domestiques, dont deux très jeunes : Marguerite Y gagée ; Marie Sourigues, 10 ans, gagée ; Marguerite Biremont, 5 ans, gagée.

 

Recensement de 1836

Onze habitants, dont 3 domestiques, différents de ceux de 1819. Transition de la famille Baillet à la famille Bernède.


Jeanne Durou, cultivatrice, 60 ans.

Jean Bernède, cultivateur, 35 ans et Jeanne Sady, 33 ans, femme de Bernède.

Bernard Bernède, 10 ans ; Bernède Jean, 10 ans ;Bernède Marie, 5 ans ; Bernède Jeanne, 4 ans ; Bernède Françoise, 3 ans.

 

Trois domestiques : Labarthe Arnaud, 21 ans ; Durou Jean, 17 ans ; Labeyrie Françoise, 33 ans.

 

Recensement de 1841

Dix habitants, dont 1 domestique.

 

Jean Bernède, cultivateur et Jeanne Sady, son épouse.

Jeanne Bernède, demi-sœur.

Labarthe Arnaud, demi-frère (domestique en 1836) et Jeanne Lacoste son épouse.

Bernard Catuhe, neveu, et Jeanne Bernède, son épouse.

Bernard Bernède, fils de Jean ; Catherine Bernède, fille de Jean ; Françoise, fille de Jean.

 

Joseph Baillet, domestique.

 

Recensement de 1846

Neuf habitants, dont un domestique.

 

Jean Bernède, cultivateur et Jeanne Sady, son épouse.

Leurs enfants : Bernard Bernède, Catherine Bernède, Françoise.

Jean Bernède et son épouse Catherine Banos

 

Jean Catuhe, domestique.

 

Recensement de 1851

Onze colons apparentés et un domestique.

 

Jean Banos, 45 ans, colon, chef de ménage et Madeleine Baillet son épouse.

Jean Banos, 25 ans, leur fils.

Jean Baillet, 25 ans, beau-frère et Jeanne Dargelas, son épouse. Leurs deux enfants : Madeleine, 3 ans, et Marie, 1 an.

Jean Baillet, beau-frère du chef de ménage, 22 ans.

Jean Lesperon, colon, 22 ans, gendre du chef de ménage et son épouse Jeanne Banos, 20 ans.

Jeanne Sady, 65 ans, belle-mère du chef de ménage.

 

Jean Bernos, 15 ans, domestique.

 

Recensement de 1856

Quinze colons, dont deux domestiques.

Famille Banos.

Deux domestiques : Jean Banos, 12 ans, et Élisabeth Lacoste, 10 ans.

 

Recensement de 1861

Huit habitants, sans domestique.

Jean Saint-Girons, 52 ans, chef de ménage, colon, son épouse et leurs six enfants.

 

Recensement de 1866

Neuf personnes.

Familles de Jean Dupeyron et de Jean Clavé, le gendre.

 

Recensement de 1872

Onze personnes.

Familles de Jean Dupeyron et de Jean Clavé, le gendre.

 

Recensement de 1872

Quatorze personnes.

Familles Dehez, Ducournau et Marque.

Domestique : Jean Bibes ;

 

Recensement de 1886

Neuf personnes.

Famille de Jean Morlaes (originaire de Meilhan), 7 personnes.

Un domestique et un berger.

 

Recensements de 1891 et de 1896

Onze personnes.

Famille de Jean Morlaes et Famille Joie, le gendre.

Deux domestiques : François Dunogué, 24 ans, et Marie Lafargue, 16 ans.

 

Recensement de 1921

Famille Morlaes (4 personnes) avec Marie Morlaes, née en 1843.

Un domestique : Jean Bernède.

 

Recensement de 1926

Famille de Louis Lafargue, né à Souprosse en 1872, cultivateur-métayer, 6 personnes.

Famille de son gendre, Dubernet.

 

Recensements de 1931 et 1936

Famille de Jean Saint-Guirons, né en 1871, cultivateur-métayer, 5 personnes.

 

 

Une analyse sommaire des données des recensements et le contexte socio-économique mouvant du début du XXe siècle.

 

En 1915, une très forte tempête frappa la région. « Le sol détrempé par des pluies incessantes fit qu’une grande quantité de pins fut arrachée ou rompue ». « Ce fut un désastre régional. Les propriétaires perdirent certes beaucoup, mais la perte fut encore plus sensible pour les résiniers qui virent se réduire la source de leurs revenus » (source : Jean Curculosse).

 

Les décès de milliers de métayers envoyés en première ligne dans les tranchées, a profondément modifié le paysage social landais, laissant des milliers de veuves dans l’impossibilité de s’occuper des métairies. C’est ainsi qu’un métayer répondit à son propriétaire qui voulait le mettre à la porte « Et hat dec moussu, qué lou bos dret, mais qu’y a mey de souts que de porcs ». Ce qui se traduit par : « Et faites-le monsieur, c’est votre droit, mais il y a davantage de soues que de cochons » (source : Jean Curculosse).

 

La région de Barthe-Jouane ne s’est entièrement couverte de forêts de pins que très tardivement, après que les veuves des Poilus de 1914-18 aient vendu leurs terres qu’elles ne pouvaient plus travailler seules, à un riche propriétaire de l’endroit, M. Lacaze (source : J-Marie Miramon). Le quartier de Saint-Orens s’est alors rapidement dépeuplé, avec un transfert des activités vers le bourg de Saint-Perdon.

 

Neuf familles et familles associées (les gendres) se sont succédé à Barthe-Jouane en 130 ans. La famille Morlaes y a vécu pendant au moins 35 ans ; les familles Bernède et Dupeyron y ont vécu pendant plus de 10 ans ; toutes les autres familles entre 5 ans et 10 ans ou moins de 10 ans. Les domestiques étaient parfois bien jeunes.

 

À partir de 1921, le nombre moyen de personnes vivant à Barthe-Jouane a été divisé par deux et les domestiques ne vivaient plus sur place ou bien, il n’y avait plus de domestique. Il existe plusieurs explications à cette réduction de population : en premier lieu, le carnage de la Première Guerre mondiale, puis l’exode rural et l’exode du quartier de Saint-Orens vers le bourg de Saint-Perdon, et enfin, la mécanisation naissante de l’agriculture.

 

Selon le site Histoire sociale des Landes…

« La Première Guerre mondiale favorise un rapprochement entre le monde ouvrier et le monde rural : les jeunes paysans sont aux côtés d'ouvriers dans l'épreuve du feu. Après le conflit, les mouvements paysan et ouvrier s'entremêlent : les paysans bénéficient de l'organisation des ouvriers ».

 

« Un premier violent conflit éclate durant l'hiver 1919, à Saubrigues. Quatorze syndicats s'accordent pour envoyer de nouvelles conditions de métayage aux propriétaires. Les manifestations, l'agitation, les réunions nombreuses et très suivies inquiètent les propriétaires et les pouvoirs publics, d'autant plus que plusieurs listes de métayers sont élues lors des élections municipales de novembre 1919 (Tilh, Ossages, Sainte-Marie-de-Gosse…) ».

 

« Le conflit de 1920 est l'œuvre de paysans misérables totalement dépendants de leurs propriétaires, ils souhaitent obtenir à la fois un meilleur partage de la récolte (un tiers pour le propriétaire au lieu de la moitié), et la suppression des redevances en nature et des corvées. La modification des statuts du fermage (nouveaux partages des récoltes, fin des corvées et des redevances exigées par les propriétaires…) est donc au cœur des revendications qui visent les bailleurs. La répression commence dès le 15 août : les meneurs reçoivent une lettre de congé et au total 300 métayers sont mis en demeure de quitter le domaine où ils travaillent ».

 

Il a fallu attendre le lendemain de la Deuxième Guerre mondiale pour voir peu à peu disparaître la condition de métayer.

 

Épilogue

Aujourd’hui à Barthe-Jouane, l’exploitation agricole a fait place à un havre de paix et de verdure coup-de-cœur, enrichi d’une pièce d’eau, et célébré dans deux ouvrages d’Élise Miramon, l’épouse de Jean-Marie, mon cousin généalogique… À une portée d’aile de cormoran du Moulin du Braut.

 

 

 

 

 

Sources

 

-       BDTopo®-IGN

-       Jean Curculosse. Une vie de paysan-métayer. Copytel, Mont-de-Marsan.

-       Archives départementales des Landes.

-       Élise Miramon. Mon airial au fil du temps, ICN, Orthez 2023.

-       Élise Miramon. Vivre à Barthe-Jouane, ICN, Orthez 2022.

-    Histoire sociale des Landes : https://www.histoiresocialedeslandes.fr/p3_syndicalisme_02.asp

 

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