Un contrat de mariage rural, dans les Landes, en 1798.

Décidément, cette malle découverte au fond du grenier révèle bien des surprises ! Au milieu de tous ces papiers, un document rabougri, rédigé il y a plus de deux siècles, qui a eu la chance de défier le temps. Nous pouvons le caresser du bout des doigts, sentir l’odeur des vieux papiers au milieu desquels il demeure enserré. Un contrat de mariage passé entre nos ancêtres à la campagne, à Campagne-de-Marsan (Landes), rédigé en cette toute fin troublée du XVIIIe siècle. Voici ce que trésor insolite et si fragile nous livre sur eux.

Le contrat de mariage.

 

Première page du contrat de mariage entre Jean Gaüzère et Anne Farbos en 1798 (source : Marie-Paule Cols).

 

« Par-devant moi Joseph Bordenave notaire public du département des Landes résidant en la commune de Mont-de-Marsan pourvu de patenter, soussigné présent les témoins ci-après nommés.

 

Sont comparus Jean Gaüzère troisième, cultivateur de la commune de Campagne, fils légitime de défunts André et Gaüzère et Gracy Daudigeos.

 

Assisté et autorisé pour la validité des présents de Jean et Jean-Baptiste Gaüzère ses frères cultivateurs de la même commune, de Jean Lalanne, son beau-frère, cultivateur de la commune de Meilhan, quartier de Ronsac.

Et encore de Jean Peyre, cultivateur de ladite commune de Campagne, son frère utérin et autres ses parents et amis d’autre part.

 

Et Anne Farbos de la même commune de Campagne, fille légitime de pierre Farbos et de défunte Jeanne Cabé, dûment assistée et autorisée pour la validité des présents, de son dit père, de Marie Mibielle sa tante, de Jean Farbos, son oncle, et autres ses parents et amis d’autres part.

 

Lesquels, Jean Gaüzère et Anne Farbos, agissant de leur bon gré et volonté, ont promis respectivement de se prendre pour mari et femme et comparaître à cet effet par-devant l’officier public à la première réquisition que l’une des parties en ferait à l’autre, et ce, à peine de toute indemnité.

 

En faveur et contemplation duquel mariage, Pierre Farbos, père de la future, constitue à celle-ci tant pour droits paternels que maternelle, un lit composé de trois pièces et un traversin garni en plumes, les rideaux en Cadix vert avec la toile nécessaire pour… la paillasse, trois paires de draps de lit d'étoupe, trois serviettes d’étoupe, trois serviettes de lin, une capote de Valenciennes, une paire de brassières en draps d’Elbeuf, une jupe de cotonnade bleue, une armoire de bois de pin à deux portes, un tiroir au milieu et fermant à clef, une paire de bas de boutique et les autres nippes et effets servant à l’usage journalier de la future.

 

Lesquels meubles et effets ledit Pierre Farbos, promet et s'oblige de remettre aux futurs conjoints la veille de leurs noces, et a été ledit ameublement évalué par les parties la somme de 250 Fr. 

 

Plus ledit Farbos, en contemplation du même mariage, constitue au même titre à sa fille future épouse, la somme de 400 Fr, laquelle somme de 400 Fr. ledit Pierre Farbos promet et s’est obligé de payer aux futurs conjoints dans trois ans à compter du présent jour et… Au-delà dudit terme et à défaut de paiement, l’intérêt sera dû au dernier ( ? ) et sans retenue et acquitté que sera le montant de la constitution ci-dessus en argent et en meubles.

 

Le futur époux va quoique a fait Jean Gaüzère son frère aîné et chef du tinel de Jean Laouillé, reconnaîtront le tout sur leur bien, meubles et immeubles ou sur ledit tinel, pour être rendu et restitué le cas arrivant.

 

S’associent les futurs conjoints à moitié d’acquêts qu’ils feront en leur mariage pour en disposer à leur gré et volonté.

Le tout don et donation des futurs conjoints en cas de prédécès sans enfant soutenant et du consentement exprès de leurs parents respectifs, à savoir le futur en faveur de la future de la somme de 100 Fr et la future en faveur du futur de celle de 50 Fr.

 

Déclare Jean Gaüzère futur époux jouir d’un revenu net de la somme de 15 Fr qui constitue tout en avoir.

Ainsi stipulé par les parties qui ont promis exécuter le tout sous les peines de droit.

 

Fait et récité dans la commune de Mont-de-Marsan dans mon étude avant midi le cinquième jour complémentaire de l’an six.

Présent Jean-Baptiste Cazaux… Louis Labarthe, perruquier et Jean-Baptiste Dayres, receveur, domiciliés de la même commune. Témoin à ceux appeler qui vient signer avec moi et non la future conjointe ni ses autres parents et assistants pour ne savoir comme ils ont déclaré de se faire requir par moi.

 

Premier vendémiaire an 7. Reçu 3,10 Fr.

Signé Morin Durant premier expert…

Sollicité pour tout droit 13,50 Fr.

 

Signé : Joseph Bordenave notaire public »

 

Deuxième page du contrat de mariage entre Jean Gaüzère et Anne Farbos en 1798 (source : Marie-Paule Cols).

 

Dernière page du contrat de mariage entre Jean Gaüzère et Anne Farbos en 1798 (source : Marie-Paule Cols).

 


Le contexte en 1798, année du contrat de mariage.

 

La société rurale landaise.

En cette toute fin du XVIIIe siècle, et jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale, l’organisation sociale de la production agricole dans les Landes reposait sur une division de la société rurale en cinq grandes catégories sociales : les propriétaires non-exploitants, les petits propriétaires exploitants, les métayers et fermiers et au bas de l’échelle, les journaliers. Dans la plupart des cas, les petits propriétaires exploitants et les métayers se rejoignaient par la modestie de leur niveau de vie.

 

Citons le site Histoire sociale des Landes : « Malgré une organisation sociale et des conditions naturelles, globalement similaires, le budget des familles paysannes landaises peut varier du simple au double, non pas du point de vue des revenus et donc du niveau de vie, mais en valeur absolue : pour une famille de journaliers composée des deux parents et de trois enfants participant aux travaux agricoles, on estime les dépenses à 370 F par an pour 350 F de revenus dans le canton de Roquefort, contre 740 F environ de dépenses et 750 F de revenus dans le canton de Labrit. Cet exemple illustre, sur un terrain très concret, le morcellement du territoire et ne constitue qu'un aperçu des écarts qui peuvent intervenir entre les Landais dans la perception de leur travail, de leur vie ou de leur environnement ». 


 

L’abolition du droit d’aînesse.
Sous l'Ancien Régime, le principe de masculinité favorisait les garçons qui héritaient des biens de leurs parents (en principe, l'aîné héritait du titre et de la charge si le père en possédait une.), les filles étaient exclues de cet héritage. Ce principe de masculinité fut aboli en l'absence de testament en même temps que le droit d'aînesse, par la loi des 15 et . L'héritage devint alors partagé équitablement entre tous les enfants, sans distinction d'âge ou de sexe, sauf si les parents avaient désigné leur ou leurs héritiers dans leur contrat de mariage ou par une donation ou un testament.
 
Le coût de la vie de 1790 à 1799.

Dans le système de l'Ancien Régime, la livre valait 20 sous, soit 240 deniers. Le 7 avril 1795, la République française a instauré le franc, sur la base d'une livre et 3 deniers. En raccourci : un franc équivalait donc à une livre.

 

  • Une livre de pain : 1 sou et 6 deniers à 4 sous.
  • Un poulet : 7 à 11 sous.
  • Une douzaine d’œufs : 5 à 13 sous.
  • La journée d’un manœuvre ouvrier agricole non nourri : de 13 sous, 4 deniers à 1 livre 10 sous.
  • Les gages d’un domestique de ferme laboureur : 30 à 150 livres par an.
  • Les gages d’une servante : 30 à 90 livres par an.

 

  • Une paire de sabots et galoches : 7 à 9 sous.
  • Une paire de souliers de campagne : 6 à 7 livres.
  • Une douzaine de serviettes : 27 à 54 livres.
  • Une couverture de coton : 14 à 70 livres.

 

  • Une chaise capucin en bois dur : 21 livres.
  • Une chaise en bois blanc : 12 sous.
  • Un bois de lit à l’auge complet : 9 livres 15 sous.
  • Une assiette plate ordinaire en faïence : 3 livres.
  • Une assiette de terre brune : 12 à 18.
  • Un verre ordinaire : 1 sou.
  • Une douzaine de couteaux en bois : cinq à 7 livres.

 

Ce que nous apprend ce contrat de mariage.

 

Sur la valeur du trousseau de la mariée.

Estimée à 250 Fr, elle correspond à deux à trois ans de gages d’un domestique de ferme laboureur ou d’une servante. La literie, les linges, les nippes, les rideaux, coûtent beaucoup plus cher que les meubles. Le père de la mariée fait preuve d’une certaine aisance financière : soit petit propriétaire exploitant, soit métayer aisé, certes pas un journalier. Endogamie sociale et professionnelle oblige !

 

Les frais de notaire qui s’élèvent à 13,5 francs plus 3,10 Fr, ne sont pas à la portée de toutes les bourses.

 

Sur la composition de la famille.

« Jean troisième » qui désigne le marié, signifie probablement que son frère Jean, né en 1775, était déjà décédé en 1798, sinon le notaire l’aurait désigné comme « Jean quatrième ».

 

Jean (né en 1766), le frère aîné de l’époux, qui est désigné comme chef de la maison JeanLaouillé, n’était que le cinquième enfant d’André Gaüzère, qui avait déjà eu trois filles et un seul fils décédé (1757-1765), d’un premier lit. Sous le système du droit d’aînesse, il avait donc hérité du domaine JeanLaouillé, bien qu’issu du deuxième lit.

 

Jean Peyre, qualifié de frère utérin, est le fils du premier lit de Gracy Daudijos, et donc le demi-frère du marié. Il habite au Bigné, propriété qui jouxte JeanLaouillé, et vivait donc très près de sa mère.

 

Sur la notion de dot.

Une fille sans dot, ne trouvait pas de mari.

Affectée au futur ménage, la dot traditionnelle européenne désigne l'apport du père de la mariée au moment du mariage. Elle s’est généralisée en Occident à partir du XIIe siècle. Une révolution venue du droit romain qui allait s'accompagner, pour longtemps, d'une dégradation de la condition féminine. Ayant pour vocation de constituer une « mise de départ » pour le patrimoine du couple, elle se limitait généralement au trousseau de mariage pour les plus modestes. Elle était en contradiction, avec les compensations matrimoniales versées par le mari dans d'autres cultures. « Elle a souvent été considérée par les juristes comme un instrument de stratégie successorale qui jouait en défaveur des femmes. Mais la dot était aussi un instrument de stratégie matrimoniale au profit des deux familles impliquées dans un mariage donné ».

Cette dot européenne est une possession sous contrôle marital, c'est-à-dire celui du mari. Même si la femme en est propriétaire de son vivant, le mari dispose sur elle un droit de gestion et un droit d'approbation en cas d'aliénation. Après le décès du mari, la dot doit servir à la faire vivre, elle et ses enfants. La dot a progressivement été abandonnée en Europe occidentale au cours des XIXe et XXe siècles.

De nos jours, certains héritages de la dot européenne sont encore perceptibles de façon diluée. Il incombe traditionnellement à la famille de la mariée de payer la cérémonie et le repas de mariage. La liste de mariage est aussi une tradition qui peut être considérée comme découlant de la dot et ouvert en dehors du cercle familial.

 

Que sont les époux devenus ?

 

Anne était âgée de 17 ans lors de son mariage et Jean de 19 ans. Ces âges de mariage étaient très habituels à cette époque. Anne avait au moins un frère utérin, Bernard, de deux ans son aîné, qui s’était marié en 1797. Jean était le quatrième de la fratrie et les quatre frères étaient appelés Jean, dont l’un était désigné par le notaire, comme étant le chef de JeanLaouillé.

Le marié est orphelin de père et de mère. La mariée est orpheline de mère.

 

Citons Thierry Sabot : À partir de 1804, il y a eu un renforcement de toutes les formes d’autorité. « La femme est la propriété de son mari comme l’arbre à fruits et celle du jardinier », déclara Bonaparte à propos de la femme (cf. Code civil de 1804).

« Au plan familial, renforcement de l’autorité paternelle : les enfants majeurs qui désirent se marier doivent prendre conseil auprès de leur père au moyen « d’un acte respectueux ». Deux publications de bans à huit jours d’intervalle sont nécessaires afin que les parents puissent user de leurs droits d’opposition. L’épouse passe de la tutelle de son père à celle de son mari. L’époux peut obtenir le divorce et faire condamner sa femme à la prison, sur simple preuve d’adultère. Pour divorcer, l’épouse doit prouver la cohabitation de son mari avec une concubine… Le fautif est passible d’une simple amende. Le père peut également demander l’enfermement de ses enfants au titre de « la correction paternelle ». Par contre, le droit de tester est supprimé, ce qui grignote les prérogatives du père et encourage la division en parts égales des patrimoine parenthèses peut-être une des causes de la baisse de la natalité à cette époque parenthèse. Enfin, les bâtards perdent tous leurs droits à l’héritage ».

 

De cette union, sont nés quatre enfants dont trois sont morts en bas-âge : Anne (1803-1804), Pierre (1806-1811), Jean (1814-1824). Seule Jeanne, la petite dernière (1818-1891) a fait souche en épousant Arnaud Bats en 1837.

Les quatre enfants sont nés à JeanLaouillé ce qui montre bien qu’après son mariage le couple s’était installé dans la propriété de la famille de l’époux.

 

Petit lexique de la fin du  XVIIIe siècle

 

Paillasse : Grand sac bourré de paille, de feuilles sèches…, servant de matelas, même parfois de lit rudimentaire.

 

Étoupe : le plus grossier, le rebut de la filasse du chanvre ou du lin.

 

Draps d’Elbeuf : Elbeuf est alors réputé pour la fabrication de ses draps de laine cardée depuis que Colbert, ministre de Louis XIV, y a établi une manufacture royale en 1667.

 

Capote ou capute : coiffure, chapeau.

 

Prédécès : nom commun. (Droit) : mort de quelqu'un antérieure à celle d'un autre.
 
Tinel : Terme hors d'usage. Mot tiré de l'italien, qui signifie une salle basse où les domestiques mangent dans une grande maison. Ou : ensemble des servants et officiers secondaires qui suivent le duc et sont en charge de son hôtellerie.
 

 

Remerciements à ma cousine tout récemment découverte, Marie-Paule Cols, pour le document et son aide à la rédaction.

 

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Sources

 

Histoire sociale des Landes

 

Estimations d’après Georges d’Avenel. Histoire économique de la propriété, des salaires, des denrées et de tous les prix en général, depuis l’an 1200 jusqu’à l’an 1800. Paris, imprimerie nationale, 1894. Cité par Thierry Sabot, Contexte France, Éditions Thisa, 2020.

 

Thierry Sabot, Contexte France, Éditions Thisa, 2020

 

La Revue française de Généalogie, n° 290 février / mars 2024.

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 -        Ensemble des servants et officiers secondaires qui suivent le duc et sont en charge de son hôtellerie.

-        Le terme de tinel désigne la salle de réception ou salle à manger.

-        Terme hors d'usage. Mot tiré de l'italien, qui signifie une salle basse où les domestiques mangent dans une grande maison.

 

Prédécès

Nom commun. (Droit) : mort de quelqu'un antérieure à celle d'un autre.

 

 

Remerciements à Marie-Pierre Cols, pour le document et son aide à la rédaction.

 


 
 



 

 


 

 


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