Notre pauvre cochon.

En 2013, pour ses 90 ans, Élise, ma mère, reçut un cadeau très original de la part de ses petits-enfants : l’écriture de ses mémoires. Cent cinquante pages qui se terminent par ses recettes de cuisine. Aujourd’hui, elle a choisi de vous raconter la vie et la mort de ses pauvres cochons, de 1930 à 1940.

« Monsieur Lacaze, le malade de la chambre voisine et nouvel employeur de mon père, offrit une belle poupée à ma sœur avant qu’elle ne quitte la clinique… Puis un logement à notre famille (NDLR : en novembre 1930). Ce logement, nous l’appelions « loyer », ce qui est drôle, car il nous était proposé gratuitement par Monsieur Lacaze qui en était propriétaire. Notre petite maison faisait partie d’un ensemble de cinq loyers attenants, situés en bordure de la route départementale : elle existe toujours. 

 

Chacun disposait d’un grand jardin côté sud, avec une grange divisé en deux. Dans une partie, nous stockions pas mal de choses, dont la moto de papa, tandis que dans l’autre, se trouvait le cochon. Tous les locataires possédaient une bête qui était tuée en fin d’année. Au nord, de l’autre côté de la route, se trouvait une forêt de pins et de chênes dans laquelle chacun bénéficiait d’un grand espace pour le poulailler et les WC situés dans une petite baraque en bois.

 

Ma mère un peu plus libre, fut-elle aussi engagée à l’usine. Deux salaires chaque mois, pas de loyer à payer, le bois de chauffage en provenance de l’usine gracieusement mis à disposition des ouvriers, les légumes du jardin, les poules et leurs œufs, sans compter le cochon, je pense que nous vivions bien et que mes parents étaient heureux.

 

Nous l’aimions bien, ce cochon. Mon père le caressait derrière les oreilles lorsqu’il lui donnait à manger. À l’automne, les jeudis matin - nous n’avions pas classe - ma sœur et moi partions pour lui à la recherche de glands au bord de la route. Il en était très friand, mais je me suis toujours demandé comment il faisait pour manger l’intérieur du gland tout en laissant la coquille. Il mangeait aussi des pommes de terre que ma mère faisait cuire dans un grand chaudron dans la cheminée, mélangées avec du son, résidu de blé que le meunier nous vendait lorsqu’il passait sa charrette et son cheval.

 

Pourtant, lorsque le moment était venu, il fallait bien procéder à la « tuaille ». J’appréhendais cette période, car je savais que ma sœur et moi serions mises à contribution pour laver les tripes de l’animal qui serviraient à faire les boudins et les saucisses. Le « boucher » était souvent un habitant du village. Il égorgeait le porc, puis le débitait. Il préparait les rôtis, dont un des plus gros serait, selon la coutume, offert à l’instituteur. Ma mère « faisait la graisse », comme elle disait de tous ces morceaux de viande, puis elle les mettait dans les récipients en grès, recouverts de cette graisse, ce qui nous permettait de les conserver longtemps. Les boudins et les saucisses étaient enfilés sur une barre de bois, assez grosse, fixée au plafond. Maman confectionnait aussi des graisserons et du pâté de foie. Tout cela grâce à notre pauvre cochon… ».


Une tradition aujourd’hui presque entièrement disparue.

Je vous parle d’un temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître. En ce temps-là, à la campagne chaque maison élevait son cochon, et ses volailles, cultivait un bout de jardin et un lopin de terre destiné à l’alimentation animale et fabriquait parfois son pain. C’était une auto-suffisance obligatoire pour survivre.

 

Pour les grands-parents, tuer le cochon, était avant tout une nécessité alimentaire. C’était la garantie de disposer de viande pendant une année, jusqu’à la tuaille suivante. L’affaire prenait une journée entière et faisait appel à une main-d’œuvre abondante : famille, amis, voisins.

 

Saigner la bête à la carotide, boire le tout premier jet de sang frais « pour y puiser des forces », peler le cochon à l’eau chaude, le vider, le mettre sur une échelle, recueillir le sang pour en faire des boudins, fendre la bête en deux, en extraire les mousserots, procéder à la découpe, chacun connaissait son rôle à la pefection…

 

À midi, heure solaire, tous se retrouvaient à table pour déguster les mousserots, petits morceaux de viande maigre que l’on faisait cuire avec la cervelle.

 

Rien ne se perdait, tout se transformait. Dans le cochon, tout est bon...

 

 

 

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