Analphabétisme et illettrisme dans les Landes à la fin du XXe siècle.


« Au point de vue de l’instruction primaire, le département des Landes, a été jusqu’à ce jour très arriéré. En 1892, le classement des départements au titre de la fréquentation scolaire, assignait aux Landes, le 87ème rang parmi les 87 départements français. La moyenne des conscrits illettrés était de 23 pour 1 000 en 1891 et 1892, alors que pour la France entière, cette moyenne était inférieure à 7 pour 1 000. Toutefois, un progrès très sensible s’est manifesté depuis cette époque ; les conscrits landais de la classe 1893 n’ont fourni que 17,4 illettrés pour 1000 et, parmi les conscrits de la classe 1894 la moyenne des illettrés s’est abaissée à 11 pour 1000 ».

C’est ce qu’écrivaient, en 1898, Ch. Chopinet et Em. Lévêque en 1898, au sujet des conscrits landais (1).

Mais tout d'abord quelques définitions.

L'illettrisme touche des personnes qui ont été scolarisées, mais qui rencontrent malgré tout d'importantes difficultés à lire et à écrire.

L’analphabétisme touche les personnes qui n'ont jamais été à l'école.

 

Le contexte de l’instruction et la vie scolaire de l’époque.

Citons Thierry Sabot (2) : « En 1882, la loi instaure l’obligation scolaire pour les enfants de 6 à 13 ans. Jules ferry, au nom de la neutralité religieuse, interdit aux ministres du culte l’accès aux locaux scolaires pour la dispense de l’instruction religieuse (laïcisation de l’école). Nombreuses publications de manuel de moral. Dans les années 1880, multiplication des écoles de commerce ». « À partir de 1885, début d’une période d’édification de nombreuses écoles en France. Dans les classes, les langues mortes perdent de l’importance au profit du français, des langues vivantes, des sciences et de l’histoire-géographie. En 1886, début de la laïcisation complète du personnel des écoles publiques ».

 

Dès 1833, toute commune peuplée de plus de 500 âmes avait obligation de financer une école de garçons. Puis les communes de plus de 800 âmes ont dû satisfaire la même obligation pour les filles en 1850 et celles de plus de 500 âmes en 1867.

 

Par la loi du 27 juillet 1872, le service militaire était devenu obligatoire pour tous les Français âgés de 19 ans.

Comme à cette époque, l'armée ne pouvait accueillir que 400 000 hommes, un tirage au sort décidait dans les faits de la durée du service actif : cinq ans ou un an. Tous les jeunes hommes sans exception étaient donc examinés devant les conseils de révision, ce qui constitue une source d’information considérable sur l’état de santé des jeunes gens.

L’étude rapportée à la Société de Borda, porte donc sur les classes 1872 à 1891. Pendant ces 20 années, le nombre total des inscrits sur les listes du tirage au sort des Landes a été de 55 220 jeunes hommes, parmi lesquels 14 198 ont été exemptés du service actif, soit pour infirmité entraînant l’exemption complète, soit pour une défectuosité légère ayant motivé l’affectation aux services auxiliaires de l’armée.

 

D’une étude sur les racines de la myopie des conscrits, à une étude sur les conscrits illettrés.

« Parmi les affections qui peuvent motiver exemption du service militaire, une des plus intéressantes au point de vue de l’anthropologie et de l’hygiène est la myopie ». Les militaires ont conclu que bien que la myopie soit en somme assez rare dans le département, il leur a paru utile de rechercher si elle était d’origine scolaire. Ils ont donc calculé pour la période de 1891 à 1894, la proportion des illettrés dans chaque canton. 

 


Et de conclure « qu’il est curieux de constater que les cantons de Mugron, Hagetmau, Hagetmau, Geaunes, qui ont le moins d’illettrés comptent aussi le plus grand nombre de myopes et que le canton de Gabarret ou l’instruction est le moins répandue est celui où la myopie est le plus rare ». Les auteurs pensent pouvoir attribuer la myopie, non pas aux écoles primaires, mais aux collèges et aux lycées, « où l’éclairage nature ou artificiel est presque toujours insuffisant ».

 

Comment était évalué le degré d’instruction des conscrits ?

Voici la signification des degrés d'instruction portés sur les fiches militaires :

  • 0. Ne sait ni lire ni écrire,
  • 1. Sait lire,
  • 2. Sait lire et écrire,
  • 3. Sait lire, écrire et compter,
  • 4. Brevet de l'enseignement primaire,
  • 5. Bacheliers, licenciés, etc.

 

Les conséquences de l’illettrisme sur les poilus landais de 14-18.

« Durant tout le conflit, 78 000 Landais vont être mobilisés. Il faut rapporter ce chiffre à la population du département à l'époque. Selon les archives de la Préfecture, la population des Landes, au 20 juin 1914, est de 288 902 habitants. C'est donc un Landais sur quatre qui est envoyé au front. Et plus de 12 000 d'entre eux ne reviendront jamais de la guerre. Un chiffre qui ne prend pas en compte les disparus. Huit pour cent des hommes du département sont morts durant le conflit. Le département des Landes est l'un des dix départements français qui a eu le plus de mort au front. Une des explications serait que le département est très rural, que plus de 60 % des Landais envoyés au front sont des agriculteurs. Or les urbains, plus éduqués, étaient moins en première ligne que les agriculteurs qui formaient le plus souvent l'infanterie (3) ».  

 

Tentons d’expliquer pourquoi Les Landes en 1892 étaient le dernier département de France métropolitaine pour la fréquentation scolaire.

  • L’instruction primaire élémentaire comprenait obligatoirement l’instruction morale et civique, le calcul, la lecture, l’écriture, le système des poids et mesures, un peu de sciences, un peu de géographie et des cours d’histoire sur « la ligne bleue des Vosges » qu’il fallait aller reprendre aux Allemands. Il s’agissait d’inculquer l’amour et le respect de la Patrie. Mais cet idéal républicain se heurtait aux durs principes de survie de la population rurale.

 

  • Les résultats de l’enquète nationale à jour-donné de 1884 sur les écoles ont souligné, à l’image de celle conduite à Campagne-de-Marsan, que les petites communes rurales tiraient le diable par la queue et ne semblaient pas en mesure de prioriser la scolarisation de leurs enfants.
  • L’absentéisme était important (15 %), tant chez les garçons que chez les filles, probablement retenus par les travaux à la ferme, d’autant que l’éducation n’était pas gratuite.
  • L’éducation des filles était négligée. C’est ainsi que l’école des filles n’avait été ouverte que 14 ans après celle des garçons, dans un local en bois en très mauvais état. La promiscuité y était forte avec plus de deux fois trop d’élèves que la superficie de la salle le permettait. Le danger était réel de l’intoxication à l’oxyde de carbone, avec un chauffage au poêle et une mauvaise aération.
  • Les instituteurs n’étaient pas favorisés : 40 ans après l’ouverture de l’école de garçons, le directeur de l’école de garçons de Campagne-de-Marsan, ne disposait toujours pas d’un logement de fonction et l’institutrice ne disposait que d’une seule pièce pour vivre.
  • Enfin, la population était très clairsemée avec une densité de 32 habitants par kilomètre carré, vs. 70 pour le reste de la France, obligeant les enfants à accomplir de longs trajets à pied.

 

L’illettrisme, un problème toujours d’actualité en Nouvelle-Aquitaine et en France.

En 2017, plus de 2 millions de personnes étaient confrontées à l'illettrisme en France, dont 300 000 en Nouvelle-Aquitaine. L'illettrisme touche plus les hommes (60,5 %) que les femmes (39,5 %).

En France, le taux d'illettrisme dans la population carcérale est estimé à 40 %.

Concernant la répartition géographique, il n'y a pas de différence notable entre les zones rurales et urbaines, même si dans les quartiers prioritaires, le taux d'illettrisme est deux fois plus important (14 %) que dans la population générale (7 %).

 

Une autre statistique issue des enquêtes réalisées lors des Journées défense et citoyenneté montre que « En 2018, 11,5 % des jeunes participants à la journée défense et citoyenneté (JDC) rencontrent des difficultés dans le domaine de la lecture. La moitié d’entre eux peut être considérée en situation d’illettrisme. Par ailleurs, près d’un jeune sur dix a une maîtrise fragile de la lecture ».

 

C'est plutôt dans les départements de la moitié nord de la France que l'on rencontre les plus de jeunes qui rencontrent des difficultés dans le domaine de la lecture : Aisne (17,2 %), Somme (15,4 %), Nièvre (15,3 %), Charente (15,2 %), alors que c'est à Paris que le taux est le plus bas (6 %). 

 

 ***

 

 Sources

 

(1)   Ch. Chopinet, Em. Lévêque. Du recrutement dans le département des landes.  Communication à la Société de Borda en 1898.

 

(2)   Thierry Sabot. Contexte France, la vie quotidienne de nos ancêtres de l’an mil à nos jours, 2023, Éditions Thisa.

 

(3)   (3) France Bleue Gascogne.

 

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