Une épicerie de village dans les landes, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.

Le contrat de mariage de la cousine Suzanne Darrigade en 1947, l’inventaire de son épicerie dans un village qui comptait 826 habitants, et nous voici renseignés sur les restrictions du lendemain de la guerre et les habitudes de consommation (obligées) de l’époque. Gardons en mémoire qu’en milieu rural, la quasi-autarcie et le troc étaient la règle. Chaque maison élevait son cochon et ses volailles, cultivait un bout de jardin et un lopin de terre destiné à l’alimentation animale et fabriquait parfois son pain. C’étaient une auto-suffisance obligatoire et une économie informelle pour survivre.

Pour les grands-parents, tuer le cochon, était avant tout une nécessité alimentaire. C’était la garantie de disposer de viande pendant une année, jusqu’à la tuaille suivante.

 

Voici l’inventaire du fonds de commerce inclus dans le contrat de mariage de Suzanne, en 1947.


État des marchandises neuves garnissant le fonds de commerce faisant l’objet de la donation :

  • 30 kilos d’huile 3 120 Fr.
  • 3 kilos de poivre 1 725 Fr.
  • 150 détersifs 1 387,50 Fr.
  • 3 paires de galoches 1 027, 20 Fr.
  • 10 kilos de saindoux 750 Fr.
  • 10 encaustiques 504 Fr.
  • 10 poches de sel de 10 kg 470 Fr.
  • 40 Savonyl 400 Fr.
  • 5 boîtes de petits-pois 385 Fr.
  • 50 savonnettes 357,50 Fr.
  • 2 litres fleur d’oranger 260 Fr.
  • 6 boîtes sandwich 264 Fr.
  • 6 crèmes à raser 240 Fr.
  • 5 boîtes tripes à la mode de Caen 240 Fr.
  • 30 Japose 210 Fr.
  • 10 quarts de tomate 208 Fr.
  • 5 boîtes pâté de campagne 190 Fr.
  • 6 demies-tomates 177 Fr.
  • 6 extraits de vanille 171 Fr.
  • 2 douzaines de teinture 150 Fr.
  • 10 vinaigres 140 Fr.
  • 10 pochettes cespaphane 125 Fr.
  • 10 Argentil 114 Fr.
  • 2 douzaines de mèches soufrées 110 Fr.
  • 5 caobania 92,50 Fr.
  • 6 paquets d’ouate 72,90 Fr.
  • 6 cake 58,50 Fr.
  • 60 viandox 50 Fr.
  • 2 boîtes capres 46 Fr.
  • 50 aiguilles à coudre 37,50 Fr.

Ensemble : 13 172, 60 Fr.

 

 

Suzanne Darrigade devant son épicerie entre 1950 et 1954 (source : Marie-Paule Cols).

 

Note : À partir de 1950, les tirages photographiques se font sur papier crème en remplacement du papier blanc : le bord est large et déchiqueté, détail qui permet de dater approximativement cette photographie.

 

Suzanne a tenu cette épicerie de 1937 à 1954, l’année de naissance de sa troisième fille. Comme le montre l’Annuaire des Landes, c’était encore la seule épicerie du village en 1940. Le fonds de commerce appartenait aux parents de Suzanne qui lui en avait fait donation par le biais de son contrat de mariage. Le local appartenait à Madame Hourcade.

 

Quelle aurait été la valeur de cet inventaire en 2023 ?

 

Nous avons utilisé un convertisseur qui permet d'exprimer, au cours de la période 1901-2023, le pouvoir d'achat d'une somme en euros ou en francs d’une année donnée, en une somme équivalente en euros ou en francs d’une autre année, corrigée de l’inflation observée entre les deux années. Compte tenu de l'érosion monétaire due à l'inflation, le pouvoir d'achat de 13500 francs en 1947 est donc le même que celui de 872,78 euros en 2023.

 

À titre de comparaison, la 4CV commercialisée en 1946 et qui fut la première voiture française accessible au plus grand nombre, coûtait, comme l'indique le slogan publicitaire diffusé à l'époque : « 4 chevaux, 4 portes, 444 000 francs ! ». Compte tenu de l'érosion monétaire due à l'inflation, le pouvoir d'achat de 444 000 francs en 1947 est le même que celui d'environ 28 704 euros en 2023.

 

En 1948, la 2CV était commercialisée à un prix de 225 000 francs. Compte tenu de l'érosion monétaire due à l'inflation, le pouvoir d'achat de 225000 francs en 1947 est le même que celui de 14546,36 euros en 2023.

 

Le 11 février 1950, naissait l’ancêtre du SMIC. Après 12 années de gel des salaires, le SMIG était fixé à 64 francs de l’heure en province et à 78 francs à Paris, soit environ 13 500 francs mensuels à Paris. C'était le minimum qu’un salarié devait percevoir par mois. Compte tenu de l'érosion monétaire due à l'inflation, le pouvoir d'achat de 13500 francs en 1950 est le même que celui de 421,43 Euros en 2022, soit deux fois moins qu'en 1947, après la dévaluation de 80 % de 1948.

 

Quel était le contexte économique et social entre 1945 et 1950 ?

 

Selon Contexte France, Thierry Sabot, Èditions Thisa, 2023.

 

Dès 1945, les prix sont bloqués, pour lutter contre le marché noir qui est florissant. De nouveaux billets de 5 000 Fr. sont mis en circulation.

 

1946 : la population est de 40 300 000 Français. Une famille compte en moyenne 2,16 enfants. Pour la première fois, la population rurale qui reste nombreuse, devient minoritaire (46,8 %). Hausse des salaires de 18 % et augmentation de 25 % du traitement des fonctionnaires.

Alors que malgré les réformes du fermage et l’abolition du métayage, on constate une nette reprise de l’exode rural qui concerne notamment la classe vive des 20 à 34 ans.

Pour la première fois, les femmes obtiennent le droit de vote. Création de l’allocation prénatale et de l’allocation de maternité pour aider les familles nombreuses. Par contre les personnes âgées restent mal protégées par le système de retraite. Lancement de la 4CV de Renault.

 

1947 : le pouvoir d’achat est inférieur de 33 % à celui de 1938, création du salaire minimum vital. Les prix de gros augmentent de 80 %. Baisse autoritaire de tous les prix. En outre, les salaires augmentent de 11 %, mais en septembre, hausse de 5 % de nombreux produits industriels.

À l’été 1947, multiplication des grèves puis à l’automne, début d’une très grave crise sociale lié à la baisse de la ration quotidienne de pain, à la montée rapide des prix et à la stagnation des salaires. Les grèves et les manifestations tournent parfois à l’émeute.

 

1948 : hausse des salaires et des prix. Dévaluation de 80 % et blocage des billets de 5 000 Fr. Lancement de la 2CV de Citroën.

 

1950 : la durée hebdomadaire moyenne du travail est de 45,30 heures.

 

Quelles étaient les autres activités à Campagne en 1940 ?

 

Pourquoi s’être arrêté à l’année 1940 ? Car les annuaires en ligne des Archives du Département des Landes s’arrêtent en 1940.

 

AD40 Per In 12/1-10/4-Annuaire officiel du département des Landes-1940.

 

 

Campagne à 11 km de Mont-de-Marsan, 834 habitants, 3367 ha. Sol sablonneux. PTT.

 

  • Secrétaire de mairie : Darlon.
  • Aubergistes : veuve Coupy, Baillet, Cazenave, Labidalle, Serres, Dubois.
  • Boulanger : Larrieu.
  • Charron : Linxe.
  • Charron-forgeron : Cazenave.
  • Docteur : Bats.
  • Épicier : Darrigade, union coopérative du Sud-Ouest.
  • Garage : Cazade.
  • Hôteliers : Coupy, Cazenave, Serres, Baillet.
  • Maçons : Serres, Gonzalez.
  • Maraîchers : Marquebielle, Pradet.
  • Menuisier : Carrère, Labarthe.
  • Maréchal-ferrant : Lamothe.
  • Paillons : Tastet.
  • Tailleur : Ducos.
  • Tonnelier : Duprat.
  • Vins en gros : Biremont.

 

En 1940, le village était animé, avec de nombreux artisans et corps de métiers aujourd’hui disparus.

M. Darlon, le secrétaire de mairie, était l’ancien instituteur de mon père. Le Docteur René Bats avait été diplômé de la faculté de Médecine de Bordeaux en 1913. Décédé dans les années 50 (enfant, il fut mon médecin), sa grande maison qui tombe en ruine dans le village, près des écoles, n’a jamais plus été habitée.

 

Avant l’épicerie de Suzanne, l’épicerie Réélzard pendant plus de 80 ans.

 

D’après les tables de successions et des absences de Campagne-de-Marsan, Marie Joséphine Réelzard, épicière et célibataire, a tenu une épicerie jusqu’à la fin de sa vie en novembre 1935, soit jusqu’à l’âge de 74 ans, dans la continuité d’une activité familiale, car sa mère Jeanne Vives, était déjà portée comme épicière sur son acte de mariage en 1857.

 

Les cartes postales du début du siècle à Campagne, portent souvent au bas, l’estampille « Épicerie Réelzard », signifiant simplement qu’elles étaient commandées et vendues par cette épicerie. 

 

 

Remerciements à Marie-Paule Cols, ma cousine récemment découverte, pour le document et son aide à la rédaction.

 

***

 

Lexique

 

  • Argentil : nettoyant liquide pour l'argent, le chrome, l'inox, l'étain brillant, le nickel, l'aluminium et l'acier.
  • Caobania : chocolat en poudre fabriqué, au 17 de la rue HenryIV, à Bordeaux.
  • Galoches : chaussure de cuir grossière à semelle de bois.
  • Paillons : Emballage de paille ou de jonc, de forme conique, servant au conditionnement de certaines bouteilles de vin fin ou de liqueur.
  • Mèches soufrées : soufre œnologique déposé sur une toile de coton utilisé pour stériliser les tonneaux et lutter contre la teigne des ruches.
  • Savonyl : savon.

 

 

Sources

 

Documents familiaux (Marie-Paule Cols).

 

Convertisseur INSEE

 

Contexte France, Thierry Sabot, Èditions Thisa, 2023.

 

AD40 Per In 12/1-10/4-Annuaire officiel du département des Landes-1940

 

 




 


 


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