Un inconnu moribond et vérolé dans une pignada de Campagne-de-Marsan, en décembre 1813.

Au cœur de l’hiver 1813, Monsieur Dupuy, maire du petit village de Campagne-de-Marsan, est saisi d’une bien étrange affaire… Une affaire que nous allons l’aider à résoudre.


Acte de décès d’un inconnu (AD40 Campagne-Décès-1804 - 1817-4 E 61/7, page 123).


Traduction

 

« L’an 1813 et le 10 du mois de décembre cinq heures du soir, nous adjoint au maire de la commune de Campagne, d’après le rapport qui nous a été fait par Jean Clavé domicilié à Campagne, lequel m’a déclaré avoir trouvé un individu mourant au Pignada de Tauziat, sis et situé dans ladite commune, après j’ai me serait transporté au lieu indiqué avec le sieur Dupuy, officier de santé, j’aurais trouvé un homme de l’âge d’environ 30 ans, taille de un mètre sept cent trente millimètres, cheveux et barbe rousse, yeux gris qui était sans parole et n’ayant autre chose sur luy qu’un pantalon blanc de militaire et une chemise, je le fais transporter dans une maison, ayant fait visiter son corps par l’officier de santé qui m’a déclaré que cet individu n’avait aucune plaie ni contusion sur son corps et que l’état où il se trouvait était la suite de la petite vérole qu’il avait eue et dont il n’était pas encore remis puisque les boutons fluet encore, et est décédé vers 2h du matin, et après nous être assuré que cet individu n’est pas mort par la suite de quelques mauvais traitement, nous avons examiné s’il était porteur de quelques papiers qui nous indiquat son nom, recherche faite qui n’a produit aucun résultat, c’est pourquoi nous l’avons fait inhumer et avons inséré le présent procès-verbal dans le registre de l’État civil.

 

À Campagne, le 18 décembre 1813, côté et paraphé a été le présent registre, par nous, maire de la commune de Campagne.


Signé : Dupuy Maire ».

 

Qui pouvait être cet individu ?

 

D’après son pantalon militaire, il était probablement soldat dans l’armée de Napoléon, en déroute après avoir vainement tenté d’envahir l’Espagne et le Portugal, et désormais pourchassée vers le nord par les troupes anglaises de Wellington.  

 

Considérant son morphotype  très grand pour l’époque et la région (la taille moyenne des conscrits landais de l'époque ne dépassait pas 160 cm), ses cheveux roux, sa barbe rousse et ses yeux gris) très inhabituels dans la région, il était probablement originaire du nord de la France ou plus sûrement d’un autre pays européen.

 

Que faisait-il simplement vêtu d’un pantalon et d’une chemise, en plein hiver, dans cette forêt, sans papier et sans plaque d’identification ? Il s’agissait probablement d’un déserteur, comme tant d’autres, échappé à la sauvette car mal vêtu pour la saison, tentant de regagner ses lointains foyers, sans se faire prendre par ses camarades ou par la maréchaussée. 

 

Hélas, il avait été rattrapé par la maladie avant d’y parvenir.

 

La guerre d’Espagne

 

Citons le blog Landes en vrac

 

"Cette malheureuse guerre d'Espagne a été une véritable plaie, la cause des malheurs de la France".
(Napoléon Ier - Le Mémorial de Sainte-Hélène).

 

« Pendant l'hiver 1807-1808, 50 000 hommes des premières armées françaises quittent Bayonne, siège effectif du Quartier Général de la 11ème division territoriale, et franchissent la Bidassoa pour d'abord aller envahir le Portugal. Mais, profitant de la chute de la monarchie espagnole, Napoléon veut également conquérir toute la péninsule ibérique, en plaçant même son frère Joseph sur le trône vacant. Ainsi commence une guerre meurtrière qui va durer sept ans.


Lisbonne et Madrid tombent. Mais les villes espagnoles se soulèvent. Tout le pays insurrectionnel résiste si vaillamment que très vite la campagne s'enlise et rend nécessaire l'engagement de forces armées de plus en plus considérables. En septembre 1808, ce sont 150 000 hommes qui marchent vers Bayonne pour se joindre ensuite aux troupes repliées au Nord de l'Ebre.


À partir de 1809, avec l'offensive des troupes alliées anglaises de Wellington, les difficultés s'accumulent, malgré les succès français en Catalogne et en Aragon en 1811. Viennent enfin les premiers grands revers du printemps et de l'été 1813, l'effondrement de l'automne et la déroute qui suit jusqu'à la Nivelle et Orthez ».

 

« Les malades et blessés sont évacués vers l'arrière puis vers la frontière et Bayonne qui dispose d'un hôpital militaire. Mais ses capacités ne suffisent pas à absorber le flux croissant des arrivées, si bien que les hommes sont dirigés vers toutes les villes de la région capables de les accueillir ».

 

« Beaucoup de ces jeunes gens, sans doute les blessés et les estropiés épuisés, décèdent dès le lendemain de leur admission, ou dans la semaine. Les autres, sans doute déjà en piteux état y meurent aussi vite de maladie. En effet, la promiscuité dans un hôpital surchargé, jointe à la saleté et l'absence d'hygiène font qu'apparaissent très vite des maladies épidémiques de toute nature : diarrhée, dysenterie, typhoïde, tétanos, septicémie, choléra, typhus, qui font de ces hommes des cadavres vivants qui succombent lentement et douloureusement. La gangrène tue sans rémission de nombreux blessés amputés. En ces temps de guerre, on meurt deux fois plus des suites de blessures et des complications de toutes sortes, que sur les champs de bataille ».

 

« La lecture des actes de l'état-civil montre que la grande majorité des morts sont des jeunes soldats de 18 à 25 ans issus des grandes levées successives, lesquels viennent de la totalité des départements français.
Nombreux autres sont issus des départements créés dans les régions annexées: Appenins, Arno, Gênes, Marengo, Montenotte,  Ombrone, Pô, Sesia, Stura , Taro (Italie) Dyle, Escaut, Jemmapes, Ourthe, Sambre-et-Meuse (Belgique), Deux-Nethes (Pays-Bas), Forêts (Luxembourg), Leman (Suisse), Mont-Tonnerre, Rhin et Moselle, Roer (Allemagne), Mont-Blanc (Savoie).


Les victimes les plus nombreuses sont des fusiliers, voltigeurs ou grenadiers issus des 118°, 119°, 120° et 121° régiments d'infanterie de ligne créés en 1808 pour l'Espagne avec de jeunes recrues des levées en masse n'ayant aucun entraînement particulier, ou à minima ».

 

La succession des guerres, la longueur du service militaire, le poids des impôts pour la guerre et la conscription napoléonienne frappait durement les Landais, ce qui avait fini par les rendre complètement hostiles à l’Empire. À tel point que certains historiens parlent d’un véritable sentiment de délivrance qui accueilli la victoire des Anglais, qui sous le commandement de Wellington (celui de Waterloo, un an plus tard), écrasèrent les troupes du Maréchal Soult (celui d’Austerlitz), à Aire-sur-Adour, le 2 mars 1814. 

 

Cette piteuse campagne s'acheva à Toulouse où une dernière bataille fut livrée le 10 avril 1814, alors qu’à Fontainebleau, Napoléon avait déjà abdiqué depuis quatre jours.

 

Alors, notre déserteur rouquin vérolé qui s’était peut-être débarrassé de sa tunique rouge parce trop voyante pour ne rester qu’en chemise malgré le froid, n’était-il pas Anglais, Irlandais ou Écossais ? 

  

 

La petite vérole

 

La variole ou petite vérole est une maladie infectieuse d'origine virale, très contagieuse et épidémique, due à un poxvirus. Le mot variole vient du latin variola, -ae (qui signifie « petite pustule », avec l'influence du mot varius, « varié, bigarré, tacheté, moucheté » ). En effet, la variole se caractérise en quelque sorte par un « mouchetage de pustules ». La variole a été responsable jusqu'au XVIIIe siècle de dizaines de milliers de morts par an, rien qu'en Europe. 

 

Symptômes cutanés de la variole sur les épaules et bras d'un patient.


Par Otis Historical Archives of “National Museum of Health & Medicine” (OTIS Archive 1) — https://www.flickr.com/photos/medicalmuseum/3507991187/in/photostream, CC BY 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=25451023

 

La variole a été déclarée éradiquée en 1980, grâce à une campagne de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) combinant des campagnes de vaccination massive, dès 1958, avec une « stratégie de surveillance et d'endiguement », mise en œuvre à partir de 1967. Au XXIe siècle, seuls des échantillons de ce virus sont conservés à des fins de recherche par des laboratoires habilités par l'OMS.

 

La variole est surnommée « petite vérole », et c'est en référence à cette maladie que la syphilis a été surnommée « grande vérole », mais les deux maladies n'ont rien en commun.

 

Source

AD40 Campagne-Décès-1804 - 1817-4 E 61/7, page 123


 

 


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