La vraie légende du Légionnaire Jean Jeantet.

Entre une grand-tante religieuse plus que centenaire et un lointain cousin légionnaire qui sentait bon le sable chaud, entre le glaive et le goupillon. De quoi faire rêver l'enfant que j'étais !

Il faut le chercher de notre côté maternel. L’auteur de ce blog est un petit-fils d'un cousin de Jean Jeantet. En effet, Jean Jeantet (1 lien de parenté) et Jeanne Manciet (1 lien de parenté) sont en même temps des grands-parents de Jean Jeantet et mes ancêtres à la 4ème génération.


La légende

Dans la légende familiale, Élise ma mère nous avait souvent parlé d’un mystérieux cousin de son père, instituteur, devenu officier légionnaire, plus ou moins agent secret, qui avait épousé une actrice italienne laquelle s’était suicidée en se jetant sous un train. Lui-même aurait été liquidé par l’adversaire de l’ombre. Avec notre parente religieuse (Madeleine Dubroca, Sœur Marie-de-Monfort, à laquelle j’avais rendu visite en 2017 dans sa magnifique retraite de Vendée et qui vient de décéder paisiblement à l'âge canonique de 102 ans), le légionnaire m’avait beaucoup fait rêver d'aventures ! Le glaive et le goupillon, deux valeurs traditionnelles de notre civilisation, deux repères en cette époque qui semble en manquer.

 

La réalité

La réalité de la vie du légionnaire Jeantet est un peu différente, comme vous allez le constater, avec toutefois un fond de vérité, comme toutes les légendes et un véritable roman d’aventure pour un Landais du fin fond du pignada ! Il n’a guère été facile de la reconstituer, car c’est en Gironde et non pas dans les Landes qu’il fallait chercher.

Il est né à Mézos (Landes) le 27/09/1887 (AD Landes 4E 182/27, page 41). Sa mère fut accouchée par Marguerite Brousse, âgée de 55 ans, sage-femme habitant à Mézos. Et c’est grâce à une petite mention portée sur l’acte de naissance, disant que la jeune accouchée et son mari vivaient à Bordeaux, que j’ai pu remonter le fil.

Jean, son père, né à Onesse-Laharie (Landes), était le frère de Bertrand le père de notre grand-père maternel Jean (Élie). Son registre matricule nous apprend qu’il mesurait 155 cm, qu’il était sergent-major à la fin de son service militaire en "Caunésie" Illisible avec le 135ème Régiment Infanterie en 1881), et qu’il habitait à Bordeaux en 1887, où il était brigadier d’octroi. Catholique, il épousa Marie Duclaux, ménagère, née en 1868 et décédé en 1904.

 

Une brillante carrière militaire.

Son fils Jean, dont il est ici question - qui eut au moins un frère bien plus jeune nommé Dominique (né à Bordeaux le 28/03/1896) - fit une brillante carrière militaire, fut légionnaire et épousa à l’âge de 48 ans (premier mariage ?), à Saïda (Oran), Marguerite Marie Céline Luciani  qui était Corse et non pas Italienne. Il mourut à l'âge de 52 ans à l’hôpital militaire d’Oran d'un "ulcère calleux perforé de l'estomac" d'après les archives du Service de santé des Armées. 

Voici ce que j'ai trouvé dans son livret militaire qui comporte, non pas une, mais sept pages.

Employé de bureau, taille 163 cm, classé soutien de famille (son père était décédé en 1904) le 28/08/1909, selon l’article 22. Il fut incorporé le 10 octobre 1909, rapidement caporal le 16/02/1910, puis brûla les étapes car la même année, il était déjà élève officier de réserve, puis lieutenant de réserve en 1911. Il fut rappelé pour la Grande guerre et nommé lieutenant au 34ème Régiment d’infanterie. Il prit part aux batailles de Morange le 20/08/1914 et du Grand Couronné, à l’attaque de Bioncourt (Lorraine) le 13/12/1914 où il reçut une balle dans la cuisse gauche. Il participa aux combats de Lintrey en juin 1915 et en 1916.

Il fut muté au 168ème Régiment d’infanterie le 11/10/1915, et promu Capitaine le 13/02/1916. Il participa aux combats de Fleury (Verdun) du 1 au 11/07/1916 où il fut blessé le 10/07 par un éclat d’obus à la face dorsale du pied droit. Fait prisonnier le 11/07/1916, au lendemain de sa blessure à Fleury (Verdun), il ne fut rapatrié d’Allemagne que le 03/01/1919, soit plus de deux mois après l’armistice. Il est mentionné qu’il a tenté de s’évader.

Il a été maintes fois cité à l’ordre du régiment, en voici un exemple : « Officier énergique et courageux. A, pendant les journées du 11 au 13/02/1916, fait preuve du plus grand sang-froid et n’a pas hésité à rester sous un violent bombardement pour contrôler l’observation des signaux faits par les premières lignes ». Chevalier de la Légion d’Honneur le 16 juin 1920, Croix de Guerre avec deux étoiles de bronze, il ne quitta pas l’armée et y fit carrière.

Nous le retrouvons le 21/01/1920 au 166ème Régiment d’Infanterie, puis au 150ème Régiment d’Infanterie le 7/06/1920. Il est alors membre (mais je ne sais pas exactement son rôle, d’où lui vient peut-être cette réputation de soldat de l’ombre) de la Haute Commission Interalliée des Territoires Rhénans, chargée de superviser la démilitarisation allemande, de 1918 à 1930 (cote A59/4068/4129). Après ce trou de huit ans dans son emploi du temps, il réapparaît dès le 10/10/1928 à la Légion Étrangère (2ème Régiment Étranger) au sein de laquelle il accomplira le reste de sa carrière, jusqu’à sa mort. Il participe à l’occupation du Bou Taouselt le 1/08/1929, de TaouriutZin et du Djébel Moghi le 19/10/1930 et à la bataille de Tizi-N-Ighil le 10/05/1932 (Maroc).

 

Marié en Algérie, quatre ans avant son décès.

Il a été en poste au Maroc du 15/05/1931 au 15/05/1933, dont à Ouarzazate le 19/05/1932, au 3ème Régiment Étranger le 28/01/1933, puis au 1er Régiment Étranger[1] le 16/05/1933, au sein duquel il fut nommé chef de bataillon[2]. Puis, il fut muté en Algérie du 1/09/1933 jusqu’à sa mort le 16/02/1939, à l’hôpital militaire d’Oran. 

Il s’était marié le 5 janvier 1835 avec la Marguerite Marie Céline Luciani, née le 1er janvier 1906 à Oran. La différence d’âge entre les époux était de 19 ans. Les parents de la mariée étaient instituteurs. Lucien, le père, était né à Santa-Maria-Figaniella, en Corse, le 3 février 1857. Il avait effectué son service militaire en 1877 et avait épousé Jeanne Berland le 8 mars 1900 à Oran. Le grand-père de Marguerite, Philibert Berland (1832-1895) était Brigadier de gendarmerie à cheval à la 3ème Compagnie de gendarmerie de la Légion d'Afrique. La mère de Marguerite était née à El-Arrouch, près de Constantine. 

Lucien et Jeanne ont eu 4 enfants : Georges Antoine Michel (1901-1902), Georges Antoine Michel (1903-1981), Marguerite Marie Céline (1906-1935) et Henriette Marcelle Renée (1908-1997).

 

Acte de naissance de Marguerite Luciani, en 1906 à Oran. Source :

http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/caomec2/osd.php?territoire=ALGERIE&registre=37829

 

Annonce du mariage de Jean Jeantet et de Marguerite Luciani dans l’Echo d’Oran, paru le 11 janvier 1935.

 

Le colonel Azan qui apparaît dans cet article a été le chef de corps du 1er Régiment étranger, de 1935 à 1939. 

Le registre des Déclarations et renseignements relatifs aux décès (Algérie, branche Oran, Hôpital militaire) nous apprend qu’il a été admis à l’hôpital le 8/2/1939 et qu’il y est décédé d’un « ulcère calleux de l’estomac perforé » à sept heures du matin, une semaine plus tard, le 16/02. N

Nous y apprenons également qu’il était veuf, Marguerite étant décédée le 15/05/1935, soit 4 mois après leur mariage. Le couple n’a donc pas eu le temps d’avoir des enfants. Le bonheur du mariage avec Marguerite Marie Céline Luciani avait été de très coute durée. S’est-elle vraiment jetée sous un train, comme le dit la légende familiale ?

 

Registre des Déclarations et renseignements relatifs aux décès (Algérie, branche Oran, Hôpital militaire).

 

Alors quid de la légende ? En 1939, notre mère Élise n’avait que 16 ans et son père Jean (Élie), n’avait certainement pas revu son cousin germain qui devait revenir en permission à Bordeaux et qui était certainement devenu très urbain, depuis bien des lunes… 

 

Avis de décès du commandant Jean Jeantet.

Tous nos remerciements à Arnaud Deloffre pour son aide à la recherche de la famille Luciani.




[1] Le 1er Régiment étranger (1er RE) a été créé en Algérie le 1er avril 1841 à partir des trois premiers bataillons de la Légion.

[2] Le terme « chef de bataillon » est l’une des appellations du grade de commandant, utilisée dans l'Armée de terre française. Le commandant est dit « chef de bataillon », du nom de son commandement dans les unités des armes dites « armes à pied » : infanterie, chasseurs à pied, génie, transmissions.

 

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