Gracy D'Audijos (1738-1798) : sage-femme rurale, matrone de routine.

Quel charmant prénom ! L'auteur de ce blog est un descendant à la 7ème génération de Gracy D'Audijos (Sosa 145). Laboureuse et sage-femme, voici l'histoire de sa vie.

 

 

Gracy, que voilà un beau prénom !

Je suis resté longtemps bloqué sur Gracy, sachant de qui elle était la mère, mais ne sachant quel Gahuzere elle avait épousé. Et puis sur les conseils d’un collègue généalogiste, en m’inscrivant sur Geneanet Premium j’ai levé l’énigme en deux coups de souris, avec la fonctionnalité qui compare les arbres généalogiques à partir d’un nom. Un cri de victoire nocturne qui a réveillé la maisonnée !

Gracy est née à Saint-Sever (Landes) le 27 novembre 1738. Elle porte le même prénom rare que sa grand-mère : Gracie de Lafourcade qui fut également sa marraine.

 

Certificat de baptême de Gracy Audijos (1738).

 

Gracy était sage-femme

… comme en atteste une mention sur son acte de décès et sa présence mentionnée comme telle dans plusieurs actes de baptême de la commune. Cela veut certainement dire qu’en sus de ses travaux à la ferme, elle avait acquis - certainement sur le tas - une expertise reconnue dans le domaine des accouchements. À ce titre, elle est très présente dans les registres paroissiaux, et pas seulement au chevet des accouchées de la famille.

 

Elle épousa en première noce Jean Peyre à Aurice (paroisse limitrophe de Campagne-de-Marsan) , le 7 février 1757 dont elle eut deux enfants : Catherine née à Cazenave (Aurice) le 9 janvier 1758) et Jean, né à Couilline, le 21 septembre 1759. La maison Couilline qui se situait alors sur la paroisse d’Aurice, se trouve maintenant dans la commune de Campagne.

 

Gracy était veuve quand elle a épousé André Gahuzere en 1765, lui-même veuf d’Elizabeth Candau, originaire de Ronsacq  (paroisse limitrophe de Campagne-de-Marsan) épousée en 1752. Elle lui donna quatre enfants : Jean (1767-1822) qui est à l’origine de notre lignée, Jean-Baptiste (1769-1810), Marie (1772 - ?) et un autre Jean (1779 - ?). Elle eut donc six enfants de ses deux lits. Notons que son fils Jean Peyre, fils de son premier lit, l’avait suivie à Campagne où il épousa Jeanne Durou et où il mourut le 10/02/1831, au Bigné, propriété qui touche JeanLaouillé.

 

Certificat de décès de Gracy Audijos (1798).

 

Gracy est décédée à JeanLaouillé (Campagne), à l'âge de 60 ans, le 1er janvier 1798. Il doit s’agir d’un décès assez brutal, car un mois auparavant, le 27 novembre 1797, elle pratiquait un accouchement à Jouandillon (Campagne). Infatigable, jusqu’à la veille de son décès, elle a battu la campagne, jour et et nuit, pour pratiquer des accouchements, comme en attestent les actes de naissance de la commune de Campagne.

 

Une formation d’accoucheuse sur le tas.

Accouchement mutuel, entraide entre les femmes, douceur, dévouement nuit et jour, gratuité de l’acte, un accouchement réussi, un deuxième, une troisième, une expertise ainsi reconnue par la communauté que la dame transmettait ensuite à sa fille. Car il n’existait aucune formation aux accouchements, l’État ne s’y intéressant pas, et l’Église ne dispensant que des formations aux baptêmes.

 

Selon Jacques Gelis, dont l’article est cité en référence. « L’empirisme était donc la règle ; « l’Office des accouchées de l’Hôtel-Dieu de Paris » constituaient le seul lieu de formation des futures sages-femmes du royaume, au début du XVIIIe siècle. Créé en 1630, il recevait chaque trimestre trois ou quatre élèves qui acquéraient une pratique en accouchant les pauvres femmes et filles de la ville ».

« Les conditions d’accueil des élèves à l’Hôtel-Dieu écartaient les élèves pauvre d’origine rurale et, avant la réforme de 1735, la plupart de celle qui était formées s’installaient de préférence à Paris, en banlieue ou à l’étranger. La province était peu prisée, sauf quelques grandes villes ; les campagnes restaient dramatiquement abandonnées ».

« C’est seulement dans le premier tiers du XVIIIe siècle qu’apparaissent les premiers signes d’une prise de conscience : à l’indifférence devant la mort des mères et des nouveau-nés succède un mouvement d’inquiétude et de révolte contre ce qui n’est plus considéré comme l’inéluctable. L’église, l’État, les hommes de l’art commencent à s’élever contre le massacre dont ils rendent responsable les matrones de routine ».


Gracy nous décrit la vie à son époque.

D’après le contexte général de l’époque reconstitué par Marie-Odile Mergnac, dans Le livre de mes ancêtres, Archives & Culture.

« À ma naissance, mon espérance de vie était de 24 ans, mais si j’atteins cet âge, j'ai encore de belles années devant moi. Je ne sais ni lire, ni écrire, ni même signer mon nom, comme la plupart des femmes de ma génération. Dès mes 12 ans, je suis gagiste, c'est-à-dire placée à gages dans une ferme par mes parents. Ils gardent l'essentiel de mes revenus, mais j’épargne quand même petit à petit.

 

« À 19 ans j'épouse un garçon du village de même condition que moi. Même si, dans les campagnes, les jeunes gens ont des occasions de se rencontrer, l'endogamie, c'est-à-dire le mariage entre gens de même niveau social, reste la règle : le journalier se marie avec la fille d'un journalier, le gros laboureur avec la fille d'un autre laboureur, etc. Les parents font le choix eux-mêmes dans l'intérêt des familles et des terres. On se marie donc souvent entre familles « alliées », parfois depuis plusieurs générations. Comme ces unions se déroulent dans le même lieu, le même milieu, voire les mêmes lignées, les dispenses pour consanguinité sont à demander avant la noce dès que les fiancés ont un arrière-arrière-grand-parent en commun, représentent 2 à 10 % des cas selon les régions (elles sont plus nombreuses dans les régions de montagne où les circulations sont difficiles et sont largement acceptées par l'Église). Les anciens du village, qui ont la mémoire des généalogies des familles locales et des liens de parenté, ont assuré qu'il n'y avait pas de cousinage entre nous - ou alors qu'il se situait au-delà de la 6ème génération. Le curé a vérifié dans ses registres et nous n'avons pas eu besoin de dispense ».

 

« Les lampes à huile apparaissent à notre époque et se substituent efficacement aux bougies. Dans les deux cas, cependant s'éclairer coûte cher : nous n'y avons recours qu'en cas d'absolue nécessité (maladie, décès, accouchement...) et nous préférons caler notre rythme de travail, donc de lever et de coucher, sur celui du soleil. Nous nous levons donc tôt en été, tard en hiver, et nous nous couchons à la nuit tombée. Lever par exemple à 5 h30 en été. S'il y a des bêtes à traire (vaches, chèvres, brebis), elles le sont vers 6 h. Puis départ de mon mari et de nos grands fils vers 9 h pour les travaux des champs pendant que je m'occupe des enfants, des volailles, des repas et des fromages à faire avec la traite du matin (aucun moyen de conserver le lait autrement). Retour des hommes à midi pour le déjeuner, suivi parfois d'une sieste. Puis à nouveau les champs tandis que je m'occupe de laver, de coudre, de filer et des soins aux enfants. S'il fait trop mauvais ou que les gros travaux sont finis, mon mari reste à la maison, bricole, répare ses outils ou pratique comme moi un petit artisanat d'appoint (les tisserands ou les sabotiers sont souvent des petits paysans, le filage, la dentelle, la vannerie m'occupent les doigts et rapportent quelques sous). En fin d'après-midi, il faut à nouveau s'occuper des bêtes, les traire, leur donner à boire et à manger, rentrer pour la nuit celles que l'on avait mises au vert... Je m'en occupe avec l'aide des enfants les plus jeunes, et je prépare le diner qui est en général pris en commun, mais séparément dans certaines régions (Limousin, Corse...) où les hommes sont servis d'abord et où les femmes et les enfants prennent leur repas ensuite. Les plats sont un peu toujours les mêmes. Il n'y a que les saisons qui les font varier et les fêtes qui y apportent un peu d'agrément en brisant leur monotonie. La fameuse poule au pot du roi Henri IV est une belle idée, mais qui n 'est pas encore sur notre table tous les dimanches.

Si nous avons des domestiques agricoles (fréquents autrefois dans les fermes, même modestes), ils mangent avec nous, mais dorment dans les granges ou les fenils ».

 

Gracy était-elle une descendante de Bernard d'Audijos, inventeur de la guérilla ?

 

Bernard d'Audijos (né à Coudures, Landes vers 1634, mort en 1677) était le fils de Jean d’Audijos, Écuyer, capitaine au régiment de Gramont, sieur de Renung, décédé le 22 novembre 1648 et de Diane de Talasac-Bahus, née vers 1610, décédée le 20 août 1678. Il est donc issu d’une famille de petite noblesse. En 1664, revenu dans son pays après une carrière de dix ans comme soldat du roi, il se révolte contre la gabelle imposée par Colbert et son intendant Pellot. Avec ses « Invisibles » – de simples paysans locaux exaspérés par l’impôt sur le sel, il assaille les convois royaux avant de se replier dans les forêts des environs de Hagetmau, offrant ainsi le premier exemple de « guérilla » telle qu’on la connaît aujourd’hui. Elle durera jusqu’en 1670, malgré les renforts envoyés par Louis XIV pour y mettre un terme. Traqué, il se réfugie en Espagne, où il échappe encore aux assauts de Pellot. Après un retour en Chalosse, il abandonne la lutte, faute de moyens, et reste en Espagne pendant huit années au cours desquelles il essaie d’obtenir en vain la grâce auprès du Roi-soleil. Ce dernier accepte enfin de négocier avec Audijos par le biais de Sève, son nouvel intendant. Audijos fait amende honorable et accepte de servir à nouveau le roi. Conscient de ses qualités de chef militaire, le souverain lui confie le commandement d’un régiment de cavalerie : l’Audijos-Dragons. Audijos rejoint l’armée du maréchal de Vivonne pour défendre la ville de Messine contre l’armée espagnole en qualité de colonel de quatre compagnies de dragons. Après une victoire contre le prince Gincinelli, il trouva la mort, atteint de paludisme en 1677.

Il est vraisemblablement mort sans descendance directe, vu la brièveté de son mariage avant son départ en campagne contre les Espagnols et son décès en Sicile.

 

Il y a quelques raisons de penser que Gracy descend de cette famille-là, très implantée du côté de Saint-Sever…

 

Sources

 

  • Archives départementales des Landes.
  • Jacques Gelis. La formation des accoucheurs et des sages- femmes aux XVIIe et XVIIIe siècles. Évolution d'un matériel et d'une pédagogie. Annales de Démographie Historique Année 1977, pp. 153-180
  • Marie-Odile Mergnac, Mathilde Morin. Le livre de mes ancêtres - Ma généalogie sur 11 générations – Éditions Archives & Culture, ISBN 978-2-35077-436-7, 522 pages

 


 


 

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