Visitez l’école de vos ancêtres en 1884.

Nous avons tous rêvé d’être une petite souris cachée dans la salle de classe d’une arrière-grand-mère, dans le pupitre d’un arrière-grand-père ou bien de jouer à la marelle sous le préau à la récréation avec notre arrière-grand-tante. Ce rêve est presque devenu réalité grâce à la mise en ligne par les Archives Nationales des questionnaires remplis en 1884 par les institutrices et instituteurs sur les écoles primaires publiques dans toute la France, hormis l’Alsace-Moselle qui était sous tutelle allemande depuis la débâcle de 1870. Je viens de faire ce voyage dans le petit village de mes ancêtres. À vous d'en faire de même...

 

Tout y est répertorié (nombre d’élèves et tranches d’âge, superficie, volume, aération éclairage, lieux d’aisance et état des bâtiments, date de construction et schéma des bâtiments, système de chauffage, nombre d’enseignants…) par département et par canton. Lancez-vous !

 

Allons-y et admirons ces braves institutrices et instituteurs, souvent seuls, à la tête d'une troupe de plus de 40 élèves. Comme il fallait être magicien(ne) pour occuper et initier les toutes-petits à la lecture, l'écriture et au calcul, et préparer les plus grands au certificat d'études primaires qui marquait la fin de la scolarité, le plus souvent dans la même salle de classe exiguë ! Cette instruction primaire élémentaire comprenait obligatoirement l’instruction morale et civique, le calcul, la lecture, l’écriture, le système des poids et mesures, un peu de sciences, un peu de géographie et des cours d’histoire sur « la ligne bleue des Vosges » qu’il fallait aller reprendre aux Allemands. Il s’agissait d’inculquer l’amour et le respect de la Patrie.

 

Le contexte en 1884

 

L’instruction et la vie scolaire.

Citons Thierry Sabot : « En 1882, la loi instaure l’obligation scolaire pour les enfants de 6 à 13 ans. Jules ferry, au nom de la neutralité religieuse, interdit aux ministres du culte l’accès aux locaux scolaires pour la dispense de l’instruction religieuse (laïcisation de l’école). Nombreuses publications de manuel de moral. Dans les années 1880, multiplication des écoles de commerce ». « À partir de 1885, début d’une période d’édification de nombreuses écoles en France. Dans les classes, les langues mortes perdent de l’importance au profit du français, des langues vivantes, des sciences et de l’histoire-géographie. En 1886, début de la laïcisation complète du personnel des écoles publiques ».

 

Dès 1833, toute commune peuplée de plus de 500 âmes avait obligation de financer une école de garçons. Puis les communes de plus de 800 âmes ont dû satisfaire la même obligation pour les filles en 1850 et celles de plus de 500 âmes en 1867.

 

Le mouvement des idées.

« En 1882, fondation de la ligue des patriotes pour entretenir l’esprit de revanche contre l’Allemagne ; Lissagaray lance le journal La bataille. En 1883, lancement du journal Le matin et du quotidien catholique la croix. À partir de 1882, la crise agricole se répercute à toute l’économie parenthèses développement du chômage parenthèses. En 1884, reconnaissance de la liberté syndicale et développement de l’esprit d’association ».

Dans ce document du ministère de l’instruction publique, intitulé situation sur la situation des écoles primaire publique en 1884, nous apprenons que Campagne-de-Marsan comptait 1 031 âmes dont 86 étaient scolarisées.

Les écoles de Campagne-de-Marsan (Landes) en 1884.

 

Les deux écoles de garçons et filles ne se trouvaient pas au même endroit.

 

 

L’école primaire spéciale aux garçons a été construite en 1844.

Elle ne compte qu’une seule salle de classe située à l’étage et qu’un seul maître qui est à la fois instituteur et directeur. Le nombre d’élèves inscrits en date du 5 avril 1884 est de 43, sans aucun étranger, et le nombre d’élèves présents à la même date est de 37. Par tranche d’âge, il y a deux élèves de cinq ans révolus à six ans révolus, 41 élèves de six ans révolus à 13 ans révolus et aucun élève âgé de plus de 13 ans. Il n’y a pas de cours destiné aux adultes ni de pensionnat annexé à l’école.

La salle de classe a une longueur de 6,53 m et de largeur de 7 mètres avec une hauteur de 3,25 m, soit une superficie de 45 m² et un volume de 148 m³. L’école est éclairée par trois croisées donnant au levant de 1,1 m sur 2,2 m. L’école jouxte la mairie dans le même bâtiment et il existe un plan pour construire le logement de l’instituteur.

La classe est planchéisée et l’aération se fait aisément. Le système de chauffage repose sur une cheminée alimentée par du bois de pin. La classe est jugée suffisamment éclairée et le nombre de bancs et de tables est jugé suffisant. Il existe un seul lieu d’aisance et un préau couvert d’une superficie de 88 mètres carrés pour les récréations sous la pluie. Ce préau n’est autre que la halle située en face. Il n’y a ni jardin, ni logement pour l’instituteur.

 

Plan de l’école de garçons de Campagne-de-Marsan par Jean Réelzard, instituteur (1884).

 

Voici les observations de l’instituteur Jean Réelzard : « Le plan et devis sont dressés pour la construction d’un logement pour l’instituteur. Celui-ci reçoit une indemnité de logement de 50 Fr ».

Campagne, le 5 avril 1884. Signé : Jean Réelzard.

 

Mon grand-père Jean (Alexis) Gaüzère (1879-1926) nous raconte son école (selon Marie-Odile Mergnac, Le livre de mes ancêtres, Archives & Culture).

 

« La bibliothèque (s’il y en avait eu une !) permet de découvrir les personnages héroïques (Du Guesclin, Bayard, Jeanne d’Arc, Napoléon Ier, Christophe Colomb, Hoche…), des titres utiles Conseil aux ouvriers, Cultures maraîchères, Le premier livre du citoyen, Histoire de la révolution française, La patrie, Les chemin de fer et des romans populaires comme Sans famille d’Hector Malo. À la maison pas de livre sauf quelques manuels scolaires dont Le Tour de la France par deux enfants : ce livre de lecture du cours moyen raconte le périple de deux petits alsaciens quittand la région après son annexion par les Allemands en 1871 et cherchant leur oncle à travers la France. Le soir, je fais mes devoirs à la lueur d’une lampe à essence ou pétrole. Le jour de mon 13^e anniversaire je quitte l’école pour travailler ».

 

L’école publique spéciale aux filles a été construite en 1858.

Elle est « en pans de bois en très mauvais état ». Le local appartient à la commune. Il n'y a qu'une seule salle de classe au rez-de-chaussée et qu'une seule institutrice qui fait classe à 43 élèves (présents ce jour 36), il n’y a pas d’élèves étrangers. Cinq élèves ont de cinq à six ans révolus ; 38 élèves ont de six ans à 13 ans révolus. Il n’y a pas de cours d’adultes.

Les dimensions de la classe sont : longueur 4,5 m largeur 4 m, hauteur 2,4 m, superficie 18 m2 pour un volume de 43,20 m³. À raison d’un mètre carré par élève - ce qui semble être la recommandation - seules 18 élèves et non pas 43 pourraient contenir dans cette salle. La salle est planchéisée. L’aération ne se fait pas aisément. Le système de chauffage repose sur un poêle. La classe n’est pas suffisamment éclairée. Il manque deux bancs et deux tables. Il y a deux lieux d’aisance. Il n’y a pas de préau couvert et la superficie de la cour est de 36 m². Le logement de l’institutrice se compose d’une seule pièce. Il n’y a pas de fontaine, pas de bibliothèque scolaire, pas de musée scolaire.

 

Campagne le 19 juin 1884. Signé Marie Dupouy, institutrice.

 

Plan de l’école de filles de Campagne-de-Marsan par Marie Dupouy, institutrice (1884).

Ma grand-tante Jeanne (Maria) Gaüzère (1883-1969) nous raconte son école (selon Marie-Odile Mergnac, Le livre de mes ancêtres, Archives & Culture).

 

« À la bibliothèque (s’il y en avait eu une !), je découvre Francinet, Histoire de trois enfants pauvres, Le coin du feu, Le petit bossu, Les secrets du foyer, Compte de la mère l’oie, L’oiseau du bon Dieu, Les mille et une nuits et les livres de la comtesse de Ségur. À la maison, mes seuls livres sont les manuels scolaires comme le Livre de morale et d’instruction civique des écoles primaires, avec lecture, historiettes, maximes, morale, résumés, récitations, utilisé jusque dans les années 1920, avec une structure récurrente : devoir envers sa famille, devoir envers soi-même, devoir envers sa patrie (on y évoque le traumatisme de 1870) ».

Les résultats de cette enquête à jour-donné appellent quelques remarques.

 

• Cette petite commune rurale tire le diable par la queue et ne semble pas en mesure de prioriser la scolarisation de ses enfants.

 

• L’éducation des filles est négligée : leur école a été ouverte 14 ans après celle des garçons dans un local en bois en très mauvais état. La promiscuité y est forte avec plus de deux fois trop d’élèves que la superficie de la salle le permet. Le danger est réel d’intoxication à l’oxyde de carbone, avec un chauffage au poêle et une mauvaise aération.

 

• L’absentéisme est important (15 %), tant chez les garçons que chez les filles, probablement retenus par les travaux à la ferme, d’autant que l’éducation n’était pas gratuite.

 

• Les enseignants n’étaient pas favorisés : 40 ans après l’ouverture de l’école de garçons, le directeur ne disposait toujours pas d’un logement de fonction et l’institutrice ne disposait que d’une seule pièce pour vivre.
  

 

Les Landes en 1892 : le dernier département pour la fréquentation scolaire.

 

Voici ce qu’écrivaient Ch. Chopinet et Em, Lévêque en 1898, au sujet des conscrits landais.
« Au point de vue de l’instruction primaire, le département des Landes, a été jusqu’à ce jour très arriéré. En 1892, le classement des départements au titre de la fréquentation scolaire, assignait aux Landes, le 87ème rang parmi les 87 départements français. La moyenne des conscrits illettrés était de 23 pour 1 000 en 1891 et 1892, alors que pour la France entière, cette moyenne était inférieure à 7 pour 1 000. Toutefois, un progrès très sensible s’est manifesté depuis cette époque ; les conscrits landais de la classe 1893 n’ont fourni que 17,4 illettrés pour 1000 et, parmi les conscrits de la classe 1894 la moyenne des illettrés s’est abaissée à 11 pour 1000 ».

 

 

Qui était Jean Réelzard, directeur d’école et secrétaire de mairie de la commune de Campagne-de-Marsan ?

 

Jean Réelzard est né le 26/05/1834 à Maslacq, une commune béarnaise de moins d’un millier d’habitants, proche d’Orthez (Basses-Pyrénées) à une soixantaine de kilomètres au sud de Campagne. Nul ne sait comment il avait atterri à Campagne, mais les patois de ces deux régions proches étant très proches, il n’eut certainement aucune difficulté à se faire admettre dans le village. 

 

Instituteur, directeur d’école et secrétaire de mairie - son nom apparaît au bas de tous les actes d’état-civil de la commune pendant des décennies - , il épousa à Campagne le 30 avril 1857, une jeune orpheline du cru, Jeanne Vives, née le 18/09/1834 à Campagne et dont le père avait été instituteur. Jeanne était épicière lors de son mariage et orpheline de père (depuis 1843) et de mère (depuis 1938). Jean était certainement très méritant, car son père Jean, décédé le 10/02/1857, était journalier et sa mère Marie Bannot était ménagère. Rien ne le prédisposait à échapper à sa condition paysanne, sauf son acharnement à apprendre !

 

Jean et Jeanne eurent au moins cinq enfants : Lucie, née en 1859 ; Marie-Josée (Marie-Joséphine) née en 1861 ; Marie-Jeanne née en 1862 ; Jean-Jacques, instituteur, né le 21/04/1864 et fit sa vie en Provence-Côte d’Azur ; Jean, né le 20/04/1868.

 

Le 6 mai 1900 vit l’annulation de son élection en qualité de conseiller municipal de Campagne par le Conseil de préfecture, confirmée par le recours par le Conseil d’État 5 et 7 janvier 1901. La raison en était que Jean était salarié de la commune en qualité de secrétaire de mairie, alors qu’il s’était proposé le matin même de l’élection d’assurer désormais gratuitement cette fonction afin de pouvoir être élu.

 

Jean est décédé le 12/03/1910 à Campagne, à l’âge de 75 ans. Il était déjà veuf de Jeanne Vives.

 

Signature de Jean Réelzard en 1884.

 

Sources

  

- Ministère de l'Instruction publique. Enquête sur la situation des écoles primaires en 1884 : statistiques fournies par les instituteurs et institutrices.

- Ministère de l'Instruction publique. Cantons de Mont-de-Marsan, Aire, Gabarret, Grenade, Roquefort, Villeneuve. Campagne pages 18 à 21.

- Thierry Sabot. Contexte France, la vie quotidienne de nos ancêtres de l’an mil à nos jours, 2023, Éditions Thisa.

- Marie-Odile Mergnac, Le livre de mes ancêtres, Archives & Culture.

- AD40 : 

    - Campagne-Mariages-1849 - 1862-4 E 61/13 Page 105/170

    - Campagne-Décès-1905 - 1927-4 E 61 /28, page 27.

- Gallica 

- Ch. Chopinet, Em, Lévêque. Du recrutement dans le département des landes. Communication à la Société de Borda en 1898.