Fernand Flocel (1896-1918) fauché peu avant l’armistice de la Grande Guerre.

Pris, à l'âge de 22 ans, par la grande faucheuse, cinq semaines avant l'armistice du 11 novembre 1918. 

L’auteur de ce blog est mon petit-neveu.  

 

Je suis né à Campagne-de-Marsan le 25 mai 1896. Ma mère est Jeanne (Marie) Gaüzère (1879-1932), déjà mère de deux enfants non reconnus par leur géniteur et de ma jeune sœur prénommée Noëlie (1898-1974). Jean (Alexis) Gaüzère (1879-1926), mon demi-frère est un vrai grand-frère pour moi : il a 17 ans de plus que moi. Quant à ma demi-sœur Jeanne (dite Marie) (1883-1969), c’est une deuxième mère qui a 13 ans de plus que moi.

 

Mon père est Joseph Flocel (1842-1902) qui n’a jamais connu ses parents et qui avait été déposé nuitamment devant l'hospice de Mont-de-Marsan. Il avait été présenté à la mairie de Mont-de-Marsan au lendemain de sa naissance, par le secrétaire de l'hospice, Monsieur Jean-Julien Caillebeau, âgé de 57 ans. Ma mère est fille de propriétaires terriens et sait (un peu) écrire, enfin, elle sait signer son nom. Mon père qui exerce le métier de perruquier - c’est-à-dire qu’il coiffe et qu’il rase - est plus âgé que ma mère, de 17 ans. À d’autres moments, il travaille comme journalier agricole. Je ne sais pas comment mes parents se sont connus, mais ils se sont mariés en 1887. Je sais que mon père vivait déjà à Campagne en 1880, puisqu’il y avait été le témoin de la naissance de Jean Raymonjean, au lieu-dit Coche, le 19 juillet.

Mon père avait déjà 53 ans quand je suis né. Je n’ai que peu de souvenirs de lui, car il est mort alors que je n’avais que 6 ans.


Je ne garde aucun souvenir de mon grand-père maternel, Jean Gaüzère, propriétaire terrien né en 1822 à JeanLaouillé comme ma mère et décédé à la veille du Noël 1898 : j’avais deux ans. Par contre, je me souviens bien de ma grand-mère Jeanne Candau, née au Leuy en 1838 et décédée le mois suivant la déclaration de la guerre, le 13 septembre 1914 : j’avais 18 ans. Elle avait 16 ans de moins que mon grand-père, chez qui elle avait travaillé comme domestique. Ces deux-là avaient dû se marier dare-dare, grand-mère étant déjà passablement enceinte de ma mère.

Mon oncle maternel Michel Gaüzère (1862-1940) était garçon de chai de temps à autre, mais il préférait la liberté et vivre dans les bois. Il était plus connu sous le sobriquet de Hierman.

Nous habitons tous ensemble dans le bourg de Campagne et j’adore par-dessus tout bricoler dans l’atelier de réparation et de fabrication de cycles de mon grand-frère !

 

Voyez où nous habitons, juste à côté de l’atelier du grand-frère.

 

Atelier de Jean (dit Alexis) Gaüzère à Campagne (en 1912 d’après les Archives Départementales des Landes).

 

Pourquoi mon père a-t-il été nommé Flocel ?

 

Voici l’histoire du prénom Flocel (du latin : flos, fleur). « Passant à Autun, en Bourgogne, vers 260, Valérien prononce un discours virulent contre le christianisme qui s'étend rapidement dans la région, surtout depuis l'exécution de Symphorien, un adolescent martyrisé à la fin du 2ème siècle et vénéré partout en Gaule comme un héros national. Mais l'empereur est interrompu par les cris d'un enfant de douze ans, Flocel, aussitôt saisi et amené aux pieds de Valérien. Empli de l'Esprit-Saint, le garçon se met à réciter, sous le nez du césar ahuri par une telle audace, toutes les prières de louange dont il se souvient. Il est aussitôt fouetté par les gardes malgré les protestations de la foule des chrétiens, sommé d'apostasier et, sur son refus, livré aux bourreaux. Saint-Flocel est l'un des plus jeunes Français inscrits au martyrologe ». (Source : https://www.prenoms.com/prenom-fille/flocel-11888).


Le tocsin de l’église qui est à deux pas de la maison a sonné le premier août 1914, pour la mobilisation générale.  

 

Quatre jours plus tard les premiers Campenois, dont mon frère aîné, se sont retrouvés à la caserne de Mont-de-Marsan. Ils ont ensuite pris le train pour l'Est. Ils sont partis avec « la peur au ventre, avec la tristesse de la séparation avec leur famille, mais aussi avec en tête qu'ils partent alors que la moisson n'a pas encore commencé ». Nous voyons tous que les Landes deviennent rapidement l'un des dix départements français qui a le plus de morts au front. Ce sont les villages comme Campagne qui ont le plus de tués, parce que ceux des villes qui sont plus éduqués, sont moins souvent envoyés en première ligne que nous.

 

Voici ce que dit de moi ma fiche militaire.

 

Je mesure 162 cm et mon degré d'instruction est de niveau 3, c'est-à-dire que je sais lire, écrire et compter. J’y apparais comme domestique. En 1915, j’ai été ajourné pour « faiblesse », mais j’ai été déclaré apte au service en juillet 1916. J’ai pu encore retarder mon incorporation sous les drapeaux grâce à un sursis agricole du 8 au 28 août 1916. Ce sursis, obtenu avec la bienveillance du maire, m’a permis de participer aux récoltes, de me faire un peu d’argent, mais surtout de retarder le moment fatidique du départ à la guerre.

 

Déjà, dans le village, il y avait eu dix jeunes tués au front en 1914, c’est-à-dire pendant les six premiers mois du conflit (Clavé Fabien, Borrits Pascal, Vitoux Jean, Dehez Jean-Baptiste, Gaüzère Jean, Bernède Pierre, Ducos Pierre, Briole Félix, Labidalle Etienne François, Dauba Jean) ; trois en 1915 (Darrieutort François, Cazenave Dominique, Larrat Jean) et quatre en 1916 (Dagos Jean, Espagnet Joseph, Bios Joannès, Laurède Eugène).

 

Je suis arrivé au corps le 29 août. Après l’instruction militaire, je suis parti au front le 14 mai 1917, avec le 9ème bataillon, puis j’ai été transféré, toujours comme soldat de 2ème classe au 19ème Régiment d'Infanterie avec le matricule 16 9610. Il y avait beaucoup de Bretons au régiment.

 

 

 

 

Ma fiche militaire.

 

Voici l’historique de mon régiment, le 19ème R.I pendant la guerre 1914-1918, après mon arrivée au front.

 

1917

« Après un mois de repos dans la région de Montdidier (14 mai-20 juin 1917) le 19e occupe le secteur de Fayet est de Saint-Quentin où le troisième bataillon se distingue le 11 août et mérite une citation à l’ordre de la troisième armée. Dans le courant du mois de septembre la 22ème division vient occuper le secteur de la Malmaison et participe aux travaux de préparation de l’attaque du chemin des Dames. Pendant 21 jours les hommes sont soumis au tir violent de contre préparation multipliant les coup de main et recueillant de précieux renseignements sur l’ennemi ».

 

1918

« L’hiver se passe dans les secteurs relativement calme de Pinon, des bois Mortier et de Quincy. La  22ème division au repos depuis le 19 mars dans la région de Lagny est alertée dans la nuit du 22 au 23, enlevée en camion et débarquée après 24 heures de route au sud de Nesle. Il s’agit d’arrêter à tout prix l’avancée victorieuse des Allemands. Le 19ème est immédiatement jeté dans la bataille prend la place des Anglais et engage une lutte opiniâtre avec les Allemands « combattant sans trêve ni repos deux jours et deux nuits ».

Il les attaque le 25 et leur enlève Nesle et le château d’Herly, les arrêtes le 26 à Roye et le 27 à Dancourt-Popincourt, à la ferme de Forestil, où il résiste jusqu’à la dernière cartouche.

Relevé dans la nuit, il reste en soutien jusqu’au 4 avril. Le régiment fait mouvement par voie de terre, il vient occuper le 20 avril le secteur du chemin des Dames compris entre l’éperon de Courtecon et celui de Vaumaires. Le secteur est calme et rien jusqu’au 25 mai ne fait prévoir une attaque allemande de ce côté.

Cependant le 27 mai à 3h30 après une préparation d’artillerie de trois heures d’une violence jusqu’à alors inconnue, l’infanterie allemande attaque et submerge littéralement les régiment de la division.

Le régiment, reconstitué dans la région de Marcilly est dirigé sur l’Alsace où il occupe pendant trois jours le secteur de Hartmannswillerkopf (NDLR : rebaptisé Vieil Armand après la Première Guerre mondiale, c’est un éperon rocheux pyramidal, dans le massif des Vosges, surplombant de ses 957 mètres la plaine d'Alsace du Haut-Rhin).

Après trois semaines de préparation et d’entraînement autour de Vitry-le-François le 19ème se porte sur Souain, en Champagne.

Le 26 septembre, au point du jour, après une préparation d’artillerie courte mais très violente, la 22ème division entamera une série d’action offensive particulièrement brillantes qui se termine le 11 novembre sur la Marne sur la Meuse ».

 

« Pendant les deux premières périodes de rudes combats du 26 au 9 septembre et du 4 au 7 octobre, le 19ème enlève avec un entrain remarquable sur une profondeur de 14 km l’ensemble des organisations établies et renforcées pendant quatre années par les Allemands, et s’empare de la crête de Navarin, des villages de Somme-Py, de Saint-Pierre et de Saint-Clément-à-Arnes (NDLR : l’endroit où j’ai été tué) ».

 

« Le 19ème Régiment d’infanterie a été commandé par le lieutenant-colonel Desthieux (décembre 1916 à avril 1917), par le colonel Taylor d’avril 1917 à mai 1918 et par le lieutenant-colonel vassal de mai 1918 à mars 1919 ».

 

« Composé presque exclusivement d’éléments bretons au début de la campagne le régiment reçut après la bataille de Verdun d’avril 1916 des renforts provenant de toutes les régions de la France ; il garda cependant toujours au moins un tiers de soldats bretons ».

 

Notre régiment a été le dernier régiment à prendre connaissance de l'armistice, mais je n’étais déjà plus de ce monde ce jour-là.  

 

J’ai été tué à l'ennemi à Saint-Clément-à-Arnes, le 6 octobre 1918, soit cinq semaines avant l'armistice.  

Il y a une erreur de date sur ma fiche militaire qui mentionne le 16 octobre. Maigre consolation, j’ai été déclaré Mort pour la France et mon nom figure sur le monument aux morts de Campagne, en compagnie d’une trentaine de mes amis.

 

Ma fiche de décès établie par le corps.


 

 

Ma tombe à la nécropole nationale de Sommepy-Tahure (Marne), au numéro 1411. Si jamais vous passez dans le coin…

 

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La transcription de mon jugement déclaratif de décès.

 

Le premier février de l’année suivant ma mort, ma sœur aînée donnait le jour à une fille prénommée Jeanne, mais qui fut toujours appelée Fernande, en mon souvenir.

 

Mon frère aîné, Jean (Alexis) Gaüzère, devait décéder en 1826, des suites de ses blessures de guerre, à Campagne. Il avait été gazé pendant les combats. Notre mère venait de perdre ses deux fils.

 

Sources

  •  Archives départementales des landes.



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