Jean (dit Alexis) Gaüzère (1879-1926) : grand-père, victime tardive de la Grande guerre.

" Ils ne mourraient pas tous (tout de suite), mais tous étaient frappés". 

 

Jean (dit Alexis) est le grand-père de l'auteur de ce blog qu'il n'a jamais connu. 

 

 

Jusqu’à la fin de l’année 2018, nous n’avions pu remonter au-delà de la naissance de mon grand-père paternel

 

… n’ayant pu identifier sa mère parce que nous recherchions une Marie et son fils Alexis, qui en fait se prénomme Jean pour l’état-civil et qui était né, non pas à Campagne (bien que sa mère en soit originaire), mais à Saint-Perdon, commune dans laquelle Jeanne avait fait la connaissance de son amant, le meunier de Saint-Orens.

C’est une mention d’apparence anodine qui m’a mis sur la bonne piste. Dans l’acte de naissance du grand-père Jean « Alexis », le maire avait eu l’idée géniale de mentionner le nom de la mère de Jeanne et surtout de la grand-mère de Jean « Alexis », qui était venu déclarer la naissance, à savoir Jeanne Candau habitant Campagne. C’est ainsi que l’écheveau a commencé à pouvoir être démêlé avec un bond de plus de deux siècles en quelques journées de recherche sur Internet.

 

Jeanne (dite Marie) a accouché au Petit Labourdasse, une propriété limitrophe de Campagne. Y était-elle placée comme domestique alors que ses parents étaient propriétaires de JeanLaouillé à Campagne ?

  

Jean (Alexis) nous raconte sa vie.

 

D’après le contexte général de l’époque reconstitué par Marie-Odile Mergnac, dans Le livre de mes ancêtres, Archives & Culture.

 

« L’année de ma naissance, 7 Français sur 10 vivaient à la campagne. Dix-sept pour cent des enfants nés la même année que moi sont morts avant 1 an, 31 % avant 10 ans. À ma naissance, mon espérance de vie est de 41 ans, mais, parvenu à 65 ans, j'ai encore près de 11 ans devant moi.

J’ai été scolarisé à l’école communale de Campagne et je savais parfaitement lire, écrire et compter, d’où l’idée de monter mon atelier dans le centre du village. J’ai beaucoup lu de manuels pour apprendre seul la mécanique ».

 

« L'école est obligatoire depuis les lois Jules Ferry de 1882. Aucune vaccination imposée, pas même celle contre la variole qui a pourtant durement frappé le pays en 1871 ».

 

« Je vais à pied avec une sacoche en bandoulière à l’école publique comme 3 garçons sur 4 (1 sur 4 va dans un établissement religieux). La bibliothèque permet de découvrir les personnages héroïques (Du Guesclin, Bayard, Jeanne d'Arc, Napoléon 1er, Christophe Colomb, Hoche...), des titres utiles (Conseils aux ouvriers, Culture maraîchère, Le premier livre du citoyen, Histoire de la Révolution française, La patrie, Les chemins de fer...) et des romans populaires comme Sans famille d'Hector Malo. À la maison pas de livres, sauf quelques manuels scolaires, dont Le Tour de la France par deux enfants : ce livre de lecture du cours moyen raconte le périple de deux petits Alsaciens quittant leur région après son annexion par les Allemands en 1871 et cherchant leur oncle à travers la France ; ce succès colossal (plus de 400 éditions et 7 millions d'exemplaires avant 1914) sera utilisé jusqu'aux années 1950 !

Le soir, je fais mes devoirs à la lueur d'une lampe à essence ou pétrole. Le jour de mon 13ème anniversaire, je quitte l'école pour travailler ».

« Les salariés sont alors perçus comme des domestiques et les ouvriers forment un monde à part, en croissance (30 % des actifs en 1900) avec une forte capacité de mobilisation ; ils obtiennent la réduction de la durée de travail salarié à 11 h par jour en 1900 puis à 8 h en 1919 ».

 

Ma mère et mes trois frères et sœurs ont quitté JeanLaouillé pour s’établir dans le village. « C'est l'industrie qui est en croissance, pas l'agriculture qui a connu de graves crises de ma naissance jusqu'en 1905, avec entre autres la destruction de la vigne par le phylloxéra et la concurrence des céréales étrangères. Notre niveau de vie a néanmoins été multiplié par plus de deux : meilleure alimentation, meilleur chauffage, davantage de textile, assurances mutuelles agricoles à partir de 1900...».

 

En 1900, comme tous les garçons de 20 ans, je suis appelé sous les drapeaux par tirage au sort pour un service militaire de 3 ans. Je fais ma première photo chez le photographe du régiment. Je découvre aussi l'univers des grisettes et des maisons closes où il semble normal que les garçons « fassent leur vie » avant le mariage. Il n'y a pas que des studios photos à côté des casernes... ».

Voici ce qui est écrit sur ma fiche militaire : taille 1,61 m, cheveux châtains, yeux marrons, front couvert, nez gros, bouche grande ou grosse, visage ovale, niveau d'instruction 3 (sait lire, écrire et compter).

 

Je suis « dirigé le 15 novembre 1900 sur le 11ème Régiment d’Infanterie. Soldat de 2ème classe, soldat de 1ère classe le 31 août 1901. Envoyé en disponibilité le 13 septembre 1902 (article 22 de la loi du 15 juillet 1889 sur les soutiens de famille). Certificat de bonne conduite accordé. »

 

En 1904, j'épouse à 25 ans Marguerite Miremont (la mère Marthe) une jeune fille de 24 ans, née dans le même canton que moi, à Saint-Yaguen.

 

« Avant 1914, il y a un vélo par hameau ; on peut l'emprunter au voisin en cas de besoin, c'est plus rapide qu'un cheval attelé qui avance au pas, mais seules les routes nationales sont goudronnées, les autres sont en terre. Pas de téléphone. Nous utilisons les économiques cartes postales apparues en 1903 pour garder le lien avec des amis ou de la famille vivant un peu loin ».

 

Jean (Alexis) et Marguerite son épouse vers 1904
  

Atelier de Jean (dit Alexis) Gaüzère à Campagne (en 1912 d’après les AD40).

 

Rapidement, je me lance dans les affaires en tournant le dos au travail de la terre. Je créé l’Agence générale de cycles et motocycles. Mais je suis également tonnelier, fabricant de cycles de la marque ERTON (anagramme inversée de NOTRE), réparateur de motocyclettes, réparateur de machines à coudre… J’apparais comme tonnelier en 1908 (mariage d'Etienne Tauzia et Marie Cabannes aux Martinons) et comme mécanicien dans l’acte de décès de Jean Latour (époux de Clet), en 1920 au Bourg.

 

J’effectue une première période d’exercice au 34ème R.I. du 20 août au 16 septembre 1906, puis une 2ème période au 34ème R.I. du 21 septembre au 7 octobre 1907. Je suis versé dans l’armée territoriale en 1913 et pense en avoir terminé avec l’Armée ! Que nenni !

 

Au 1er août 1914, la guerre éclate. « Les hommes de 20 à 48 ans sont mobilisables, mais les plus âgés ne partent pas sur le front dès 1914 ». « Comme on suppose un conflit court (la guerre de 1870 n'a connu que 6 mois de combats), je pense échapper à l'incorporation (j'ai 35 ans). Au total, 20 % de la population du pays est mobilisée en 4 ans, soit 40,6 % des hommes, 62,7 % des actifs ».

 

 Facture de réparation de bicyclette par l’Agence générale de cycles et motocycles d’Alexis Gaüzère, datée du 31 décembre 1913.


 

La guerre éclate et je dois tout abandonner, famille, atelier. J’arrive au corps le 4 août 1918. Les combats font rage et je suis cité à l’ordre du régiment le 2 mai 1917 : « Au front depuis le début. À montré en toute circonstance le plus grand zèle et le plus grand dévouement pour assurer le service de la brigade jusque dans les circonstances les plus difficiles, particulièrement pendant les périodes du 26 juin au 15 juillet 1916 à Verdun, et du 21 avril au 2 mai 1917 en Champagne. Croix de guerre, étoile de bronze ».

« J'en reviens blessé (comme près de 1 combattant français sur 2) mais vivant. 1,3 million de soldats de mon pays n'ont pas eu cette chance ». Je récolte une fracture de la jambe droite en service commandé le 17 juillet 1917.

Je suis envoyé en congé illimité le 1er février 1919 à Campagne, j’y retrouve ma famille effondrée. Mon petit frère Fernand n’a pas eu ma chance : il a été tué au front au mois d’octobre 1918, trois semaines avant l’armistice et à l’âge de 22 ans.

 

Je reçois une pension de 20 % par la commission de réforme de Bayonne du 12 août 1922 pour limitation des mouvements du coup de pied droit entre 90 et 120 degrés. Je reprends ma vie d’avant avec mon épouse et mes deux enfants. Pierre (Alphonse), le petit dernier est né en 1917.

 

Jean (Alexis) Gaüzère pendant la Guerre de 1914-1918.

 

Livret militaire de Jean (Alexis) Gaüzère, mort pour la France en 1926 (Source : AD40).

 

De nombreux Belges se sont réfugiés à Campagne. L’un d’eux, originaire de Bruges, deviendra le parrain de Pierre (Alphonse) et entretiendra pendant plusieurs années, une correspondance avec ma famille.

 

Et dire que nous possédions l’une des premières automobiles du village et que nous partions sur la côte Atlantique le dimanche en famille !

 

Photo de la famille Gaüzère à Campagne, peu avant le décès de Jean (Alexis) donc vers 1926.

De gauche à droite : Camille, Jean (Alexis), Marthe, Pierre (Alphonse).

 

Jean (Alexis), revint de la guerre, blessé à la jambe droite et donc estropié et gazé.

 

… ce dont il mourut en 1926 à l’âge de 46 ans, alors que sa mère était encore en vie, ne décédant qu’en 1932. Sur huit millions de combattants français de la Grande Guerre, quatre millions ont été blessés, dont la moitié au moins à deux reprises, et 700 000 ont été réformés pour invalidité. Autant dire que toutes les familles ou presque sont concernées. Le recensement de 1926 la trouve au Bourg de Campagne, logeant contre le magasin de cycles de son fils Jean dit Alexis, dans la rue principale du village.

Le décès de Jean entraina rapidement la dégringolade sociale de la famille.

 

Son épouse n’ayant pu se défendre seule contre l’adversité. La mère Marthe a été très marquée par la vie, ce qui expliquait pourquoi je ne l’ai jamais vue sourire, entre deux prises de tabac à chiner dans le nez, éternellement vêtue de noir. Elle n’a jamais eu de père, eut quatre frères décédés et elle perdit son mari Alexis en 1926. Elle dut élever seules ses deux enfants (Pierre dit Alphonse – mon père – et Camille), puis connut la dégringolade sociale, spoliée par d’autres membres de la famille. Elle a fini par tout perdre et faire la lessive des autres pour survivre. À la fin de sa vie, elle habitait une petite maison attenante à celle qui m’a vu grandir et que notre père avait aménagé pour elle, appelé la Villa Marthe. Elle y est décédée en 1966. Cette maison a été entièrement réhabilitée en 2020-2021.

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