1874 - Deux sacristains se gourment sévèrement dans l’église de Campagne-de-Marsan (Landes).

Le 20 mars 1874, le journal Le Républicain Landais relate un évènement rarissime, cocassissime, mais éminemment sacrilègissime.

Saisissons-nous de cette occasion irrespectueuse pour jouer avec le riche vocabulaire des cloches et des églises. Connaissez-vous toutes les expressions écrites en italique dans ce billet ?

 

L’article intégral du journal

 

« Tant de fiel, entre-t-il dans l’âme d’un dévot ? »

 

« Cette parole si, connue, me revient en mémoire à l’occasion d’une très amusante histoire qui vient de se passer dans notre petite localité. La chose me paraît de nature à intéresser les lecteurs, voici l’histoire en deux mots : avant-hier, deux sacristains* se sont pris de querelle dans notre petite église, ils se sont injuriés, puis ils en sont venus aux mains, à coups de poings, à coups de pieds, ils se sont administré ce que les béni mouf-moufs parisiens appellent une bonne tripotée. Le sang a coulé, mais l’état des révérends n’inspire aucune inquiétude, ils se sont proprement accommodé les yeux au beurre noir, voilà tout ».

 

« Notre paisible commune est toute scandalisée de cette conduite inqualifiable, tenue par deux hommes qui, plus que personne, devaient avoir quelque respect pour un lieu de Prière. Aussi que diable, quand on veut se gourmer**, on ne doit pas pour cela choisir le temple du Seigneur ».

 

« D’après les Lois canoniques, il a fallu demander à Mr l’évêque d’Aire, la permission de célébrer le sacrifice dans notre église, profanée par nos deux pugilistes. Monseigneur s’est hâté d’accorder l’autorisation demandée ».

 

« Un détail curieux : nos deux vaillants champions ont chacun un curé parmi leurs enfants ». 

 

Le pugilat entre les deux sacristains (IA GoatChat - B-A Gaüzère).

 

Jouons au vocabulaire autour de la cloche et de l'église

 

Hélas, trois fois hélas, le journal nous laisse sur notre faim dans ce Clochemerle, en ne précisant pas l’objet de ce pugilat d’anthologie au beau milieu des paroissiens médusés. Était-ce pour les yeux noirs d’une belle paroissienne, grenouille de bénitier, à demi enfouie sous sa mantille ? Lequel de ces deux Campenois campanologistes avait-il le plus le bourdon ? Lequel avait-il raison, lequel avait-il tort ? Nous ne pouvons juger, car qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son. Mais indubitablement, il y a quelque chose qui clochait entre ces deux drôles de pèlerins.

 

Le journal ne mentionne que quelques coquards - ce qui indique clairement qu’ils n’avaient pas uniquement été frappés par la grâce - mais ne nous dit pas si les deux pugilistes en sont sortis à cloche-pied et s’ils ont été sauvés par la cloche avant d’avoir pu s’entretuer. Ce qui est certain c’est que ces deux cloches ont du se les faire sonner copieusement par Monsieur le curé et les paroissiens indignés. Ils ne s’en sont certainement pas tirés avec deux ave et trois pater et ont dû faire leur chemin de croix. Au point d’en perdre leur travail et de se retrouver à la cloche ? En bonnes ouailles elles- mêmes génitrices de curés, sont-ils allés jusqu'à battre leur coulpe ?

La responsabilité de Monsieur le curé (l'abbé Édouard Lartigau) dans cette triste bataille de chiffonniers est probable, car ne dit-on pas : À mauvais chapelain, mauvais sacristain et Comme le chante le chapelain, ainsi répond le sacristain ?

En étant obligé d'intervenir pour remettre l’église au milieu du village, Mr l’évêque d’Aire a dû penser très justement que La cloche du sot est vite sonnée. 

 

Fort heureusement, le village a retrouvé son calme, car Une ville sans cloche est comme un aveugle sans sa canne. Et puis Peu importe que la cloche ait quelque défaut, pourvu que le battant soit bon.

 

Les expressions et proverbes auxquels vous avez échappé

 

  • La cloche appelle l'église, mais elle-même n'y va pas.

  • Déménager à la cloche de bois.
  • À conseil de fou, cloche de bois.
  • La cloche elle-même n'a pas toujours le même son.
  • Se taper la cloche.
  • Mettre sous cloche.

  • Et en usage chez nos cousins du Québec : Un « crisse de tabarnak de saint-ciboire de saint-sacrament de câlice d'ostie de colon » marque un très fort niveau d'énervement par rapport à l'auteur d'une idiotie perçue ou avérée.

***

 

* Le sacristain prépare tous les objets liturgiques nécessaires pour la messe et entretient les églises et de toutes les salles annexes. Lors des services religieux, il place les fleurs, actionne les cloches et prépare les vêtements liturgiques. Il ouvre et referme les locaux et informe les enfants de chœur. Si cette personne est une femme, elle est sacristaine ou sacristine. S'il s’agit d’une personne chargée plus généralement de la tenue de l’église, le terme utilisé est bedeau. Leur saint patron est saint Constant.

 

** Gourmer : se battre à coups de poings.

 

Source 


AD40 - Le journal Le Républicain Landais (courtoisie de Denis Fery - denisfery).

 

 

6 commentaires:

  1. Excellent. Bravo pour votre humour !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le plaisir de jouer avec les mots et les évènements insolites et le regret de ne pas avoir assisté à cette scène épique en votre compagnie !

      Supprimer
  2. Ravi de vous voir partager cet humour qui m'est parfois reproché :-)

    RépondreSupprimer
  3. je suis Québécoise et je trouve que vous y allez un peu trop fort avec les "sacres"

    RépondreSupprimer
  4. Chère Madame, vous avez certainement raison, mais n'y voyez surtout pas une arrogance de plus de "ces maudits français", mais plutôt une énumération dans le ton léger et un peu caricatural de ce billet.

    RépondreSupprimer

Article épinglé

1910 - Le pauvre sacristain de Campagne-de-Marsan (Landes) passe à la trappe, au sens propre.

Le journal Le Républicain Landais relate un triste accident, le 18 novembre 1910 : une sorte de chute d’objet céleste a...

Articles les plus consultés