Examinons les faits.
Procès-verbal : AD40 Campagne-1803 – 1857-E DEPOT 61/1D1, page 45. |
Département des Landes.
Police du roulage
Voiture à jantes étroite, tractée de deux mulets.
Procès-verbal de contravention contre le sieur Barthélémy Lasserre, laboureur de la commune de Campagne.
L’an 1844 et le 8 août à 10 heures 30 du matin, nous soussigné, Pierre Chalet, conducteur des Ponts et Chaussées à la résidence de Tartas, en tournée sur la route royale numéro 10 avons rencontré sur le 62ème kilomètre, commune de Carcarès, une charrette à quatre roues à jantes étroites, chargée de grain et attelée de deux mulets, se dirigeant sur Tartas.
Avons de suite arrêté la voiture qui était sans conducteur, l’avons trouvé, dormant et couché sur les sacs de grain. Après l’avoir réveillé, lui avons déclaré qu’il était en contravention :
· Premièrement : pour avoir été trouvé par nous dormant sur sa voiture.
· Deuxièmement : pour circuler sur la route royale avec une charrette à quatre roues ferrées dont la largeur vérifiée par nous en sa présence a été reconnue n’avoir que 7 cm de largeur de bande et attelée de deux mulets.
Lui avons demandé son nom. Nous a déclaré se nommer Barthélémy Lasserre, métayer de Monsieur Bibes de Campagne, et nous a dit qu’il transportait du grain par ordre de son maître.
Avons ensuite visité la plaque clouée à la voiture, avons trouvé qu’elle porte le nom de Barthélémy Lasserre de Campagne.
Avant en conséquence déclaré procès-verbal au Sieur Barthélémy Lasserre pour y être statué par qui de droit :
Premièrement pour avoir été trouvé endormi sur sa charrette
Deuxièmement pour avoir fait circuler sur la route royale, une charrette à quatre roues ferrées avec bande de moins de 11 cm de large, chargée de grain et attelée de deux colliers.
Fait et dressé à Tartas, les mêmes jours, moi, et an que dessus,
Signé Chalet.
Conformément à l’article 112 du décret du 16 décembre 1811 a comparu devant nous, juge de paix du premier arrondissement du canton de Tartas Est, le sieur Chalet, conducteur des Ponts et Chaussées, lequel, après lecture à lui, faîte du présent procès-verbal, a affirmé sous la foi du serment sincère et véritable et a signé avec nous.
À Souprosse, 9 avril 9 août 1844.
Signé Chalet.
Signé Chauton, juge, pour copie conforme, l’aspirant ingénieur.
Explication de texte
Une vaine tentative d’entourlouper la maréchaussée !
Le sieur Lasserre a bien tenté de faire porter le chapeau à une tierce personne, mais il a été trahi par la plaque d’immatriculation de la charrette à son nom. Cette vaine tentative d’entourloupe a dû sérieusement indisposer le conducteur des Ponts et Chaussées !
L’endormissement au « volant », ce fléau ancien…
Avons de suite arrêté la voiture qui était sans conducteur, l’avons trouvé, dormant et couché sur les sacs de grain. Après l’avoir réveillé, lui avons déclaré qu’il était en contravention :
· Premièrement : pour avoir été trouvé par nous dormant sur sa voiture.
Le procès-verbal ne nous dit pas si la charrette était en mouvement ou si elle était à l’arrêt à la suite de la « sieste » de son Ben-Hur. Les braves mulets devaient connaître la route par cœur et poursuivaient leur bonhomme de chemin sans se formaliser de l’absence de directive, en hardis précurseurs des voitures sans pilote de notre XXIe siècle…
La cause de l’endormissement n’est pas précisée, l’alcootest étant une invention assez récente. Le Sieur Lasserre a probablement été bercé par le rythme lent et monotone des mulets.
Pourquoi une telle sévérité sur la route royale ?
La police du roulage : un frein à l’économie du pays ?
« La police du roulage a eu deux objectifs essentiels : - assurer la conservation des chaussées des voies publiques ou du moins en limiter l'usure ; - réduire les accidents de circulation afin d'assurer la sécurité des usagers et, en particulier des voyageurs empruntant les véhicules de transports publics. Les mesures réglementaires imposées, entre 1624 et 1921, aux véhicules routiers de transports de voyageurs et de marchandises, afin d'assurer la conservation des chaussées ont par leur rigueur, constitué un frein important à l'économie du pays. Celles destinées à réglementer la circulation et le stationnement, qui forment les bases de notre actuel code de la route, ne sont dues, a l'origine, ni à l'importance du trafic ni à la vitesse des voitures mais aux conflits qui existaient à la fin de l'Ancien régime et sous la Révolution entre les rouliers et les conducteurs des voitures de poste et de messageries ».
Chronologie de l’histoire du réseau routier en France
- Le décret impérial du 16 décembre 1811 contenant règlement sur la construction, la réparation et l'entretien des routes a défini 229 routes impériales françaises. Ce décret signe l’institution de la grande voirie. Les routes de l’Empire sont divisées en routes impériales et en routes départementales.
- Après la chute de l'Empire en 1815, la France a été rétablie dans ses frontières de 1792. Les routes impériales deviennent alors routes royales. La circulaire du 10 juillet 1824 renumérote les routes royales, qui deviendront ultérieurement routes nationales. Cette nouvelle numérotation restera quasiment inchangée jusqu'aux déclassements des années 1970.
- Loi du 28 juillet 1824 sur la responsabilité des chemins vicinaux. Elle établit que « les chemins reconnus, par un arrêté du préfet sur une délibération du Conseil municipal, pour être nécessaires à la communication des communes, sont à la charge de celles sur le terrain desquelles ils sont établis ». Les communes instaurent alors des corvées municipales obligatoires d’une durée de trois jours en moyenne pour l’entretien des chemins vicinaux.
- Loi du 27 juin 1833 : création des routes stratégiques.
- Loi du 21 mai 1836 dite Thiers-Montalivet : création de la voirie vicinale. Cette loi marque la naissance de l'organisation vicinale. Une distinction apparaît entre les chemins vicinaux de grande communication, reliant plusieurs communes, et les chemins vicinaux de moindre importance qui vont prendre : les chemins vicinaux ordinaires. Le texte évoque le cas particulier de chemins qui, sans être aussi importants que ceux classés en grande communication, servent cependant à plusieurs communes. Ceux-ci sont dénommés chemins d'intérêt collectif, puis, à partir de 1847, chemins d'intérêt commun. Les réparations et l'entretien des chemins vicinaux sont à la charge des communes.
- Un arrêté préfectoral du 20 mars 1837 organise le personnel du service des chemins vicinaux. Les chemins vicinaux de grande communication sont placés sous la responsabilité de l’ingénieur en chef du département.
Sources
- AD40 Campagne-1803 – 1857-E DEPOT 61/1D1, page 45.
- Roger Lévêque. La police du roulage avant l'automobile. Thèse de doctorat, 1994, Paris, EPHE.
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