Les faits.
L’article du Journal des Landes commence par un mot du rédacteur.
« Nous avons reçu trop tard pour l’insérer samedi dernier la lettre que l’honorable maire de Campagne nous a adressée ; nous la publions aujourd’hui. Voici cette lettre »
A.C.
Monsieur le Rédacteur,
Soyez assez bon, je vous prie, pour insérer dans votre prochain numéro de votre journal quelques lignes en réponse à un entrefilet, que le Journal des Landes a reproduit dans son numéro du 24 mars dernier.
Une question de tarif de la plus haute importance, a été soumise au tribunal du chef-lieu du département et résolue par lui, sur les funérailles de première classe d’une famille de Campagne, que l’auteur a craint de nommer.
La famille n’a nullement refusé de payer ce qu’elle croyait de devoir légalement, mais elle a rejeté du compte fourni six sonneries qu’elle croyait ne pas devoir ; elle envoya l’argent au curé, moins 17 Fr., formant le rejet ci-dessus, mais ce dernier répondit par écrit : « Je veux tout, mon compte, ne pas être discuté, par conséquent, nous irons en justice de paix pour plaider nos droits ».
C’est donc pour avoir 17 Fr. de plus que Monsieur le Curé de Campagne a traduit cette famille en justice. Monsieur le Juge de paix s’est déclaré incompétent, il a eu tort, car il ne s’agissait que d’appliquer un tarif, et non de l’interpréter.
Le tribunal saisi de cette question l’a tranchée en faveur de la famille, par jugement du 1er mars 1872. En effet, l’un de ces considérants porte textuellement, que si par un pieux usage, la sonnerie est répétée aux heures de l’angélus, ce n’est pas une raison pour réclamer des droits au-dehors des prévisions du tarif, et exclus par son texte formel, qu’il y a donc lieu en allouant seulement 6 Fr. de faire subir à la demande une réduction de 9 Fr.
Le tribunal alloue ainsi 3 Fr. pour la sonnerie du décès et 3 Fr. pour la sonnerie de la sépulture. Monsieur le Curé réclamait cinq sonneries. Le tribunal n’en a alloué que deux.
Un autre de ses considérants porte : attendu que le même tarif accordé simplement 1.5 Fr., pour la sonnerie d’un service funèbre après sépulture, qui prévoit donc une seule sonnerie pour la cérémonie à laquelle il s’applique, qu’ainsi la somme de 6 Fr. réclamée doit être réduite de 4,50 Fr., le curé en réclamait 4 ; le tribunal n’en alloue qu’une seule.
Le mémoire a donc été réduit de 13,30 Fr. Le curé réclamait pour toutes les sonneries 21 Fr., le tribunal rejette 6 sonneries sur 9, soit 13,50 Fr.
Voilà le procès dans toute sa sincérité.
Et maintenant, si la famille a été condamnée aux dépens, c’est uniquement parce que ses offres n’étaient pas suffisantes ; en effet, le tribunal a alloué une sonnerie de plus qu’elle n’avait offert. Mais peut-on dire qu’elle n’a pas gagné son procès, cela ne se demande pas.
Ce procès que la famille aurait voulu éviter, M. le curé l’a provoqué, il a voulu lui faire payer ce que, par un abus de tarif, il fait payer aux autres familles, mais il obtiendra ce résultat que, non seulement pour l’avenir, on sera averti qu’on ne doit plus une sonnerie pour le décès, une sonnerie pour la sépulture ; et une sonnerie pour le service funèbre, alors que, par un étrange abus, on n’en faisait payer neuf, mais encore que les familles qui ont payé sur ces bases, auront le droit de demander la restitution trop perçue.
Je ne serai entré dans tous ces détails, ni n’aurais parlé de cette affaire regrettable à tous les points de vue, si je n’y avais pas été invité par l’article erroné qui a été publié par la Revue catholique.
Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de mes sentiments distingués.
Darroze, maire.
Un enterrement à la campagne au XIXe siècle (IA GoatChat – B-A Gaüzère). |
Monsieur le Curé n’en était pas à son coup d’essai !
Il s’agit d’Édouard Lartigau, né à Mont-de-Marsan, le 4 février 1825, ordonné prêtre le 5 juin 1852 et nommé curé de Campagne-de-Marsan en 1868.
En 1868, tout juste nommé curé de Campagne et secrétaire de la fabrique, il entra en conflit avec le Conseil municipal. Il ferma à clef l’accès à la sacristie et au faîtage, refusa l’accès au colombier de pigeons qui s’était établi spontanément dans le clocher et à son usufruit depuis trois ans (session du Conseil municipal de novembre 1871, donc l’affaire semble durer depuis 1868).
En août 1871, une réunion du Conseil municipal mentionne qu’il refuse de présenter les comptes de la fabrique, nie la nécessité de réparer la toiture du sanctuaire alors que l’architecte départemental souligne l’urgence de le faire, préfère réparer le presbytère (AD40 Campagne-1848 - 1879-E DEPOT 61/1D3 , p 197). Les nombreuses gouttières menacent les peintures récentes faites à grand frais. Le toit du clocher et les bas-côtés sont dégradés. Le Conseil municipal engage d’urgence la somme de 50 francs pour les travaux les plus urgents à faire avant l’hiver, somme que le curé refusa de rembourser à la commune, même après condamnation et sommation du préfet. D’où un procès.
En 1875, après l’affaire de la surfacturation des sonneries aux morts, l’abbé Lartigau fit détruire l’hôtel en marbre de l’église, sans en informer le Conseil municipal ni le Conseil de fabrique. Il envisageait d’autres transformations sans concertation. D’où la protestation du Conseil municipal.
Revenons sur les classes d’enterrement.
Laissons la parole à Guillaume Bailly.
« Avant la loi de 1905, l’église avait le monopole de ces pompes funèbres, attribuée dans le cadre du concordat signé par Napoléon (concordat qui courut de 1801 à 1905). La cérémonie était unique, dans le sens ou, à de très rares exceptions près, le défunt passait par la messe avant d’être inhumé au cimetière, et il fut décidé, pour des raisons de simplification et de contrôle administratif, de créer des classes d’enterrement. Celles-ci variant de trois à six, selon les régions, et étant validées par un arrêté préfectoral.
Les familles choisissaient la classe d’enterrement en fonction de leurs moyens financiers et de leur notoriété, de la première classe, la plus luxueuse, à la dernière, celle des pauvres et des indigents. Lesdites classes définissaient le décorum, de la présence de tentures jusqu’au sonner des cloches de l’église, en passant par le nombre et le poids des cierges déployés.
Il eut été inconcevable de donner à un défunt des obsèques d’une classe inférieure à son rang social, réel ou supposé. Ainsi, des commerçants n’hésitaient pas à se ruiner pour donner à leur défunt des obsèques de première classe, afin de faire croire à leurs concurrents que leurs affaires étaient plus florissantes qu’en réalité.
Les classes servaient ainsi, effet pervers, d’échelle de valeur sociale. Les banquiers consultaient les registres d’obsèques pour se faire une idée de la bonne santé financière de leurs clients.
Ainsi sont définies six classes d’enterrement. Un transport de corps, en première classe, coûte quinze francs s’il est réalisé à l’aide d’un corbillard, plus six francs à payer aux porteurs. En troisième classe, c’est dix francs et quatre francs, et, en sixième classe, deux francs et un franc.
À l’église, un enterrement de première classe aura droit à une double volée de quatre cloches. En seconde classe, on n’a plus droit qu’à une simple volée de quatre cloches, en troisième, une simple volée de trois cloches inférieures, et ainsi de suite jusqu’à la sixième classe, qui sonne droit à une simple volée de la quatrième cloche inférieure, le glas.
Cette coutume a perduré jusqu’à la fin des années 1970, voire les années 1980, dans certains endroits ».
« Charité bien ordonnée commence par soi-même* ».
S’agissant d’un enterrement de première classe, la somme réclamée par le curé pour les sonneries funèbres était importante (1 Franc 1880 = 3,8 euros, soit 21 X 3,8 = 80 euros). Suffisamment importante pour pousser au procès, intenté par le curé lui-même. Nous pouvons trouver curieux que le tribunal ait eu à se prononcer sur le nombre de sonneries légales, mais souvenons-nous qu’à cette époque, ce cérémonial était validé par arrêté préfectoral et que nous étions encore bien loin de 1905, année de la loi de séparation des Églises et de l'État, considérée comme le texte fondateur de la laïcité, principe qui établit la neutralité de l'État en matière religieuse en France.
Le curé n’a pas tout perdu, car la famille a été condamnée aux dépens – c’est-à-dire à payer les frais du procès - "uniquement parce que ses offres n’étaient pas suffisantes ; en effet, le tribunal a alloué une sonnerie de plus qu’elle n’avait offert".
Néanmoins, le curé s’est aliéné une famille puissante du village - vraisemblablement celle du maire Jean Darroze, riche propriétaire, officier de santé et parfaitement au courant de la loi - et s’est exposé à devoir rembourser les trop-perçus d’autres sonneries funèbres abusives auprès d’autres familles.
* Ces paroles du philanthrope saint-simonien et homme d'affaires lyonnais François Barthélemy Arlès-Dufour (1797-1872) révèlent à quel point la question de la charité apparaît, pour ceux qui pensent le « social » au XIXe siècle, comme une aporie : « Une triste mais instructive vérité ».
Sources
- Journal des Landes, mars 1872 (Courtoisie de Denis Fery - denisfery).
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