Les moulins de l’Ancien temps à Campagne-de-Marsan.

Selon les cartes de Cassini établies au cours de la deuxième partie du XVIIIe siècle, le village de Campagne-de-Marsan, peuplé de 830 âmes en 1793 réparties sur une superficie de 34 km2, comptait quatre moulins. Au tout début du XIXe siècle, un cinquième moulin s’y est ajouté, dans le nord de la commune. Ces cinq moulins témoignent de l’importance locale de l’agriculture de subsistance. Les céréales et leurs farines représentaient alors environ 80 % de l’apport nutritionnel.
 
Ces moulins étaient tous actionnés par la force de l'eau de petits ruisseaux à faible débit et à hauteur de chute modeste :
  • Le moulin du Fray,
  • Le moulin du Blay,
  • Le moulin Le Grand ou Grand moulin ou moulin Darbo,
  • Le moulin de Sourbes ou Sourbé,
  • Le moulin du Batanès. 
 
Dans les Landes, il y aurait eu plus de 600 moulins à la veille de la Révolution, car il semble que la féodalité y eût moins de prise qu’ailleurs et que les meuniers étaient moins soumis aux droits seigneuriaux. « Des sources de la Leyre et sur ses affluents jusqu’à la confluence (NDLR : à Moustey) 93 moulins meuniers ou autres ont été recensés ».
 

Carte de Cassini de Campagne réalisée entre 1756 et 1815 (Source : BnF / Gallica).

Cette carte indique les moulins du Fray, du Blay et le Moulin le Grand.
 

Le moulin du Fray.

 

Ruines du moulin du Fray (photos : B-A Gaüzère, avril 2024).

 

Le premier acte porté dans les registres paroissiaux, au moulin du Fray, remonte à 1730, lorsque Jean Banos (né vers 1700) y a épousé Magdeleine Marrocq. Ce moulin trouve donc ses origines au tout début du XVIIIe siècle.

 

Le recensement de 1819, y notait la présence de la famille Cabannes (3 personnes).

 

Le 1er août 1837, à la requête de Jean Fauthous, héritier de feu Jean Fauthous,son père, le Moulin du Fray est l’objet d’une adjudication définitive de biens indivis entre parties. La mise en vente est de 4 009 Fr., abaissée quelques mois plus tard à 2 672 Fr. La superficie est de 2 hectares 25 ares 50 centiares.

 

Le 7 août 1840, y décède François Clavé, meunier âgé de 30 ans, marié à Claire Cazaux. Le 13/01/1843, y décède à son tour Claire Cazaux, 29 ans, meunière, née à Saint-Perdon, (re)mariée à Joseph Darmaignac dont elle a eu un enfant. Joseph Darmaignac est meunier, domicilié à Campagne et a pris la suite de François Clavé au moulin et au lit.

 
En août 1843, à la suite du décès de Claire Cazaux et afin de partager le moulin entre ses deux enfants utérins de deux lits différents, le moulin fait l’objet d’une vente sur licitation entre les deux frères mineurs Clavé et Darmaignac. (AD40 Journal des Landes-10 août 1843-894-Per Pl° 1473/32, page 4).

Nous apprenons qu’il est composé de trois paires de meules, propres à la mouture de tous grains ; d’une maison pour l’habitation du meunier, construite moitié pierre et moitié bois et torchis, eyrial et bâtiments d’exploitation. Les dépendances dudit moulin sont :

1 - Un étang dont les eaux servent à alimenter l’usine contenant environ 51 ares 78 centiares, confrontant, du levant à Cisto et Fauthoux, du nord aux mêmes, du midi à Pierre Lassale et Jean Boué et du couchant au moulin.

2 - Un jardin de six ares environ confrontant au nord à prairie du moulin, du levant à l’étang, du couchant à maison du meunier, etc…

« Cet immeuble et dépendances ont un revenu imposable de 196,61 Fr. »

Le moulin et ses dépendances sont mis à prix à la somme de 3 500 Fr.

 
En 1886, le moulin fonctionnait encore, car Marcelain Clavé, meunier de son état, y déclara la naissance de son fils Charles.

 

En 1926, il était toujours la propriété de la famille Clavé qui y vivait. 

 

Encore debout et d’apparence en bon état dans les années 1960-1970, le moulin n’est plus, aujourd’hui qu’un triste amas de ruines.

 

Le moulin du Blay.

Il était situé au sud-est du village, sur le ruisseau du même nom. Le recensement de 1819, y note la présence de la famille Cazaubon : Pierre Cazaubon, 27 ans, Jeanne Daugreilh, 22 ans et Jeanne Cazaubon, 2 ans.

Le 5/02/1831, Jean Commet, meunier déclare au maire D'Estanque, un vol par effraction dans son moulin du Blay, de plusieurs conquets de céréales, contenus dans six sacs différents. Le 20/03/1840, le même Jean Comet déclare à nouveau un vol de céréales au moulin du sieur D’Estanque, l’une des trois plus grosses fortunes de la commune, avec M. Arnaud Vives (propriétaire) et Jean Darroze (maître de poste). Pouvons-nous en conclure que le moulin du Blay, appartenait également à l’époque au Sieur D’Estanque ? Ou bien Jean Commet avait-il changé de moulin ?

 

Le grand moulin, le moulin du Fray et le moulin du Blay en 1811 (source : AD Landes Campagne-286 W 61-Tableau d'assemblage de la commune de Campagne, par Lobgeois et Lagrolet, géomètres).

 

Il y a une erreur au centre de la carte. Le moulin du Fray indiqué est en fait le Grand moulin dont le réservoir se situe au confluent du ruisseau du Fray et du ruisseau du Blay. Le vrai moulin du Fray dont les ruines sont encore visibles ce jour, se situe bien en amont – au-dessous du lieu-dit Sestau ou Sisto de nos jours - sur le ruisseau du même nom.

 

Le moulin Le Grand ou grand moulin ou moulin Darbo.

Il était situé au nord du village, au confluent des ruisseaux du Blay et du Fray qui donnent le Batanès
 
Le recensement de 1819, y retrouvait la famille Darbo, composée de quatre personnes. Ce qui pourrait expliquer l’autre appellation de ce moulin : le moulin Darbo.  
 
Le 21/01/1839, y décède Pierre Tachoire, meunier âgé de 34 ans et célibataire.

Le 14/11/1846, vente à la famille Bartalot de Mont-de-Marsan (propriétaires et commerçants), du moulin et de ses dépendances, par Jean Tachoires puîné (meunier-propriétaire), pour la somme de 7 500 Fr. (AD40 Journal des Landes-20 novembre 1846-64-Per Pl° 1473/34, page 4).

 

Le 11/11/1853, le maire Jean Darroze établit un procès-verbal à la demande de Jean Lesperon, meunier et fermier du moulin de Darbo, au sujet d’un important vol de grains dans son moulin (AD 40 Campagne-1803 - 1857-E DEPOT 61/1D1, PAGE 154).

 

Le 8 décembre 1879, un procès-verbal du maire Jean Darroze nous raconte le triste sort du moulin, laissant une famille sans ressource (AD40 Campagne-1848 - 1879-E DEPOT 61/1D3, pages 244-245).

« L’an 1879 et le huit du mois de décembre, à 8h du matin, nous maire de la commune de Campagne, informé que les eaux avaient emporté une partie du moulin de Darbo, situé dans cette commune appartenant au sieur Clavé Jean, meunier, nous sommes transporté pour vérifier le fait et en connaître la cause ; après avoir examiné l’état des lieux, nous nous sommes aperçu qu’une source qui se trouve au-dessous du moulin avait ruiné les fondations et qu’une ouverture s’était pratiquée dans la terrasse ; le poids de l’eau dans la nuit du six au sept avait fait tomber la partie ouest du mur, et que tous les autres murs était lézardés et menaçaient de tomber.

 

Après avoir pris toutes les mesures pour éviter tout accident, avons ordonné la démolition totale dudit Moulin, seule ressource pour faire la famille Clavé, composée du père, veuf, de quatre enfants, dont deux filles mariées dehors et de deux fils qui demeurent avec le père, dont le premier est épileptique, maladie contractée dans les casemates de Prusse, lorsqu’il était en captivité pendant la guerre de 1870 en 1871. Le père, très âgé, ne pourra pas pourvoir à son existence et à celle de sa famille s’il ne fait pas reconstruire cette usine.


En foi de quoi nous avons dressé le présent procès-verbal à Campagne, les jours moi et an ci-dessus.

Signé : le maire Darroze ».

 

En 1882, le moulin devait être toujours en fonctionnement, car Jean Clavé, meunier de son état, y déclara la naissance d’un de ses enfants.

En 2024, un chemin sablonneux en pente douce franchit le pont où devait se trouver le moulin et sa chute d’eau, dont il ne reste aucune trace. Passé le pont, à main droite, une vaste zone de terrain en dépression semble désigner l’emplacement du bassin de retenue.


Le moulin de Sourbes ou Sourbé.

 

Le moulin de Sourbes en 1811 (source : AD Landes Campagne-286 W 61-Tableau d'assemblage de la commune de Campagne, par Lobgeois et Lagrolet, géomètres).

 

 
D'après le cadastre de 1811, il se situait à l’est du village sur la rive gauche du ruisseau du même nom qui s’appelle de nos jours, le Batanès. Il est très ancien, car il est mentionné en date du 5 septembre 1731, pour la première fois dans l’acte de décès de l’enfant Pierre Juzan âgé de 20 jours. Le 7/06/1844, y décède Catherine Lamarque, veuve de Jean Lesperon. 
 
Le 26 avril 1868, le Journal Landais nous apprend que « Le sieur Duprat Jean, âgé de 52 ans, meunier, né à Carcarès-Saint-Croix, domicilié à Campagne, a été trouvé noyé dans l’étang de son moulin. Il résulte des renseignements recueillis, que le sieur Duprat s’est noyé avec intention. Depuis longtemps cet homme avait exprimé, en présence de sa famille, le désir de se détruire. Dans la matinée du 12 courant, il s’est levé de bonne heure, a bu son verre d’eau de vie, et est ensuite sorti de la maison pour aller se précipiter dans l’étang ». Il était l’époux de Jeanne Coupat.

En 1877, d'après un compte-rendu du Conseil municipal relatif à un vol qui y avait été commis par un vagabond, un bâtiment était encore habité par Pierre Biensang « locataire au moulin de Sorbet », mais rien ne dit que le moulin fonctionnait encore. En 2024, il n’en reste plus aucun vestige depuis belle lurette.

Le moulin du Batanès.

Le Batanès résulte de la confluence du Blay et du Fray dans le village au niveau du Grand moulin, puis il est grossi par le Larriou qui vient de l’est depuis la commune de Saint-Perdon et se jette dans la Midouze.

 

Un autre moulin, qui n’apparaît pas sur la carte de Cassini, mais qui est mentionné sur le cadastre de 1811, existe encore sur le ruisseau Le Batanès, tout au nord du village, avec un grand étang de retenue aujourd’hui asséché.

 

Le moulin appartenait à la famille d’Estanque au XIXe siècle, puis à la famille de Guitard au XXe siècle, dont la vaste demeure est située en vis-à-vis. Il a été réhabilité il y a quelques décennies, sans en respecter le cachet ancien, puis a de nouveau été laissé à l'abandon. 

 

En 1819, le recensement y notait la présence de la famille Bernède, soit quatre personnes. 
 
Le 19/08/1839, Jean Comet, âgé de 39 ans et meunier de son état au Batanès, apparaît dans les registres d’état-civil de la commune comme déclarant du décès de Bertrand Bernède, laboureur.  
 
Le 11/06/1842, y décède Jean Comet, meunier de son état, âgé de 40 ans.
 
Le 14/11/1846, M. D’Estanque met en vente tout son domaine de Campagne et Meilhan, y compris le moulin, soit plus de 340 hectares.
 

Le 21 août 1907, un entrefilet de la presse locale évoque la fraude des farines dans les communes de Meilhan, Campagne et St Martin-d’Oney, mettant en cause, puis blanchissant M. Bernède, meunier du moulin de Batanès.

 

« L’opinion publique s’était émue, il y a quelques mois, à la suite de maladies contractées par des personnes de Campagne, Meilhan et Saint-Martin-d’Oney, toutes clientes du moulin de Batanès qu’exploite M. Bernède. On parlait alors beaucoup de fraudes sur les farines. L’opinion attribua ces maladies à cette cause. Des plaintes contre M. Bernède furent adressées au Parquet de Mont-de-Marsan, et une enquête fut ouverte par M. le juge d’instruction Carrère qui se rendit sur les lieux et préleva des échantillons de farine et de pain. M. Bernède protestait de son innocence. De l’analyse chimique qui a été faite par M. Gayon de Bordeaux, doyen honoraire de la faculté des sciences, il résulte que les échantillons de pain de seigle étaient exempts de matières minérales ou de farines étrangères ajoutées frauduleusement. Par conséquent, les faits qui avaient si fortement ému l’opinion publique, ne doivent pas être attribués à la falsification du pain. Au surplus il a été établi que le sieur Bernède n’avait point reçu de talc ou d’autres substances minérales. Dans ces conditions une ordonnance de non-lieu a été rendue en faveur de M. Bernède ».


D’après le recensement de 1921, le moulin était encore en activité, car y vivait la famille Pourgaton qui comptait cinq personnes, dont Jeanti Pourgaton (né en 1874 à Souprosse, Landes) qualifié de meunier sur le registre du recensement. Le recensement de 1926 y signale la présence de la famille Linxe, sans mentionner le métier de meunier.

 

Le moulin du Batanès en 1811 (source : AD Landes Campagne-286 W 61-Tableau d'assemblage de la commune de Campagne, par Lobgeois et Lagrolet, géomètres).

 
Le moulin du Batanès de nos jours (photos : B-A Gaüzère, avril 2024).
 
 

 

Au XIXe siècle, la commune de Campagne-de-Marsan, comptait donc cinq moulins en activité, bien répartis géographiquement, soit un moulin pour 200 habitants.
 

*** 

 

Sources

  • AD40
  • Le Journal Landais (communiqué par Denis Fery).


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Article épinglé

1910 - Le pauvre sacristain de Campagne-de-Marsan (Landes) passe à la trappe, au sens propre.

Le Journal des Landes relate un triste accident, le 18 novembre 1910 : une sorte de chute d’objet céleste aux funestes co...

Articles les plus consultés