Bernard de Junca, seigneur de Campagne-de-Marsan (Landes).

Une trouvaille inopinée aux Archives départementales des Landes (Mont-de-Marsan) en avril 2024 : la mention d’un Bernard de Junca, seigneur de Campagne, dans le Bulletin de la société des sciences et des lettres et des arts de Pau, paru en 1953. Et voici que l’esprit s’échauffe ! Enfin, un pan de l’histoire d'un petit village qui en manque cruellement. Il y aurait donc eu des seigneurs à Campagne-de-Marsan. Qui étaient-ils ? Qu’est devenue cette lignée.

C’est grâce à la communication de Monsieur le médecin-colonel Ferron : « La première surprise de Hagetmau, 17 avril 1573 », parue dans le Bulletin de la société des sciences et des lettres et des arts de Pau, 1953, page 148, que l’écheveau de l’histoire de ce petit village landais peut se dévider.

 

Plantons le décor.

La France faisait alors face sur son sol aux Guerres de Religion entre catholiques et réformés, soit huit guerres civiles qui s’enchaînèrent de 1562 à 1598. L’action se situe pendant la troisième guerre de religion dans le sud du département actuel des Landes. La petite ville d’Hagetmau se situe à une trentaine de kilomètres au sud de Campagne-de-Marsan, au cœur de la Chalosse, sur la voie de Vézelay du chemin de Compostelle. Le nom est couramment compris comme étant formé des mots gascons haget (forêt de hêtres) et mau (mauvais) : « mauvaise hêtraie ». Mais d'autres hypothèses attribuent à mau une racine proto-basque ou (proto-)indo-européenne mal, ou mau ou mel (« montagne, proéminence »).

 

Voici l’exposé de Monsieur Ferron.

« La première surprise de Hagetmau clôture « Lou temps de la Reyne Yane » dont le souvenir est resté gravé dans la mémoire des gens de Gascogne ; c’est le massacre par surprise, le 17 avril 1573, à Hagetmau, par les gens du baron d’Arros, de ceux du comte de Grammont, chargé par le roi Henri de rétablir en Béarn la liberté du culte catholique. Les faits sont connus, fort mal, par de nombreux récits, dont les vibrantes pages d’Agrippa d’Aubigné ; peut-être quelques points peuvent-ils être maintenant éclaircis ».

 

« Bernard d’Arros*, lieutenant-général du roi de Navarre, malgré les ordres répétés du roi, refuse de faire enregistrer l’édit rétablissant la liberté du culte, feint d’ignorer Grammont et sa maison. Cependant, en raison des troubles qu’ils provoquent, il se décide, obéissant en cela, à chasser de Béarn les réfugiés protestants qui, trouvant asile, en usent comme un camp de repos entre deux actions militaires ou religieuses. Son fils, Jacques d’Arros, les a, avec quelques troupes, conduits à Arzacq, d’où ils se sont rendus, près de Saint-Sever, dans la baronnie de Sarraziet. Expulsés de ce lieu, empêchés de rentrer en Béarn par Jacques d’Arros, ils projettent un coup de main sur la Bigorre, évité grâce aux avis envoyés par les d’Arros aux autorités de Tarbes ».

 

« Grammont, vers le 19 mars, a quitté le roi de Navarre au camp de l’armée catholique assiégeant la Rochelle. À Bordeaux, puis à Mont-de-Marsan, il reçoit deux délégations des protestants béarnais, lui demandant de ne pas remplir sa mission, qui déclenchera la guerre en Béarn ; il a des ordres, il les exécutera. Ses troupes bordent de la frontière du Béarn à Arzacq, pillent les deux seigneuries béarnaises d’Arbleix et de Vignes, incluses en Tursan, et celle de Garros. Jacques d’Arros les refoule vers Hagetmau, où Grammont, arrivé avec sa nombreuse suite est reçu par sa jeune belle-fille, Diane d’Andoins, pas encore Corisande* ».

 

« Sur ordre de son père, Jacques d’Arros, avec quelques cavaliers (le chiffre de 38 est donné), assaille Hagetmau le 17 avril, vers les huit ou neuf heures. Dans la cour du château, ils surprennent valets, muletiers, gardes, affairés à préparer le départ pour Pau le lendemain, et les massacrent. Les uns, en ville, assaillent des prêtres, en blessant deux très grièvement et emportent un coffre, ou, depuis la destruction de la collégiale, en 1569, par les bons les bandes de Montgommery, ont été rassemblés quelques archives et objets du culte. D’autres pénètrent dans le château, dans la chambre de Grammont, qui, encore au lit, s’entretient avec Etchart, président du conseil de Navarre. Ils égorgent celui-ci. Grammont est sauvé, d’après la légende, par sa belle-fille. Grammont et quelques gentilhommes prisonniers sont conduits à Pau et 200 chevaux de l’équipage du comte sont amenés en hâte en Béarn par des hommes ayant suivi à pied les cavaliers et ainsi remontés. Les dames de Grammont, laissées libres, gagnent Dax, où règne la terreur ».

 

« Grammont reste prisonnier à Oloron quatre mois, malgré les ordres répétés du roi ; il est relâché seulement après s’être engagé à ne rien entreprendre contre les réformés et les d’Arros et avoir laissé à ceux-ci, comme rançon, le butin d’Hagetmau. Tels sont les faits connus, dont les détails, suspects pour certains historiens, doivent être examinés ».

 

« En premier lieu, quels sont les personnages, soit acteurs, soit victimes. Salefranque donne les noms de quatre chefs catholiques : Lartigue, Chelles, Hus, Arrac.

 

Lartigue serait, d’après Communay, le capitaine Artigues dit Lartigue, Jean de Mons, gentilhomme d’Armagnac. Ne serait-ce pas plutôt un Lartigue de Tursan ou Marsan, Roger de Lartigue, seigneur de Cassautets et Tachoires ou un Lartigue de Bordenave ?

 

Arrac est, sans doute, Jean d’Arrac, de Marpaps, anobli par Henri III de Navarre, le 3 août 1579, et confirmé dans sa noblesse par le même roi, devenu Henri IV de France, le 28 décembre 1608, ancêtres des d’Arrac de Vignes, baron de Sault-de-Navailles. Ce peut-être, aussi bien, le capitaine Pierre d’Arrac de Gan, qui, en 1569, ayant refusé d’adhérer au protestantisme, eut ses biens confisqués par Jeanne d’Albret, et fidèle serviteur de Henri IV, fut anobli par lui, en octobre 1606, ancêtres des d’Arrac-Capitaine.

 

Chelles est Arnaud de Chelles, seigneurs de Lubret, en Comminges, que peu après l’affaire de Hagetmau, on voit combattre le capitaine Lizier, en Bigorre.

 

« Hus, nom d’aspect germanique, être certainement déformé. Au premier abord, on peut songer à Gabriel-Antoine de Sus, mais qui servant dans les rangs catholiques, fut fait prisonnier à Orthez, mais qui rentré en grâce auprès de la reine Jeanne, appartint alors au parti protestant. Il faut donc l’écarter. En réalité, il s’agit du capitaine Bahus, Augier de Talazac, seigneur de Bahus-Soubiran. Il avait été, avec Montamat et Lalande, l’un des trois mestres-de-camp du régiment d’infanterie de Grammont-protestant, 6 000 hommes, qui servit de mars 1562 à mars 1563, et participa aux sièges d’Orléans, Bourges, et affaire de Dreux. Après le siège de Navarrenx et l’affaire d’Orthez, ayant rejoint Monluc à Aire, il couvre son armée face à Morlaas. Ce fut le trisaïeul maternel de Bernard d’Audeyos* ».

 

Salefranque donne comme chef des 38 cavaliers, qui assaillirent Hagetmau, Jacques d’Arros, Lons, Sarrasier et Adde. Poeydavant estime « contrefaits » les noms des deux derniers.

 

Jacques d’Arros, fils aîné de Bernard d’Arros et frère de François, qui avait trouvé la mort en défendant Navarrenx, fut tué sur le champ de bataille, quelques mois après, laissant de son mariage avec Jeanne de Béarn-Bescat, une fille qui épousera Pierre de Gontaut Biron.

 

Jean de Lons vit sa seigneurie érigée en baronnie le 17 mai 1592, devint un des grands personnages de Béarn et Gascogne et mourut entre 1606 et 1613.

 

Sarrazier est le baron de Sarraziet, que l’on trouve, en 1574 faisant campagne, avec l’armée protestante, en Bigorre, sous le nom de Saraziet ou Sarrazinet. Il n’est pas possible de l’identifier, les noms des barons de Sarraziet n’étant pas connus de 1547 au début du XVIIe siècle.

 

Adde est un Camon-Dade, seigneur de Dade et de Bombardé, fort probablement Jean de Camon qui, par son mariage, devint seigneur de Blachon, origine des Camon-Blachon. Peut-être, mais il devait être trop jeune, est-ce son neveu Jean-Josué de Camon-Dade, qui épouse en 1613, Marie d’Aubigné et fut ainsi l’oncle de Mme de Maintenon ?

 

C’est ici que rentre en scène, Bernard de Junca, seigneur de Campagne…

« Pour les victimes, le chanoine Syrueih, de Bordeaux, qui écrivait au moment même, en dénombre 60 et donne cinq noms : Lons, Peyre, Laas-Lataulade, Fleur-de-Lys et Junca, de Mont-de-Marsan. Lons figurant parmi les agresseurs, il ne peut être massacreur et massacré ».

 

Ferron l’auteur de l’article, écarte, preuves à l’appui, les quatre premiers cités qui n’auraient pas été occis à Hagetmau, pour n’en retenir qu’un seul…

« Le seul, pour lequel un doute puisse exister est Bernard de Junca, seigneur de Campagne, chevalier de Saint-Jacques de l’Épée Rouge, commandeur de Bessaut, que lui contestaient les Navailles-Labatut-Figuères, devenus protestants. C’était un farouche catholique, chez qui avait logé Monluc*, lors de la prise de Mont-de-Marsan ; il était, pour ces raisons, particulièrement exposé ».

 

Ainsi, Bernard de Junca, aurait probablement été occis, par les protestants, lors de la surprise d’Hagetmau, le 17 avril 1573. 

 

La lignée de Bernard de Junca, seigneur de Campagne…

D’après l’arbre généalogique de Bertrand de Saint-Exupéry (Généanet) à qui nous empruntons ce qui suit.

 

  • Bernadot de Junca, écuyer, marié avec Catherine d’Arblade en 1466.
  • Jean de Junca, écuyer, marié avec Plaisance de Lescun, en 1492.
  • Jean de Junca, écuyer, marié avec Jeanne de Gourgues, en 1523.
  • Bernard de Junca. Né avant 1520, décédé entre 1572 et 1575. Seigneur de Campagne, chevalier de Saint-Jacques de l’Épée Rouge, commandeur de Bessaut. Marié avec Françoise de Mesmes en 1544.
  • Joseph de Junca. Seigneur de Campagne et de Pellecougot. Né vers 1550, Écuyer, Seigneur de Campagne et de Banos. Marié en 1589 avec Jeanne de Loupiat de Montlezun de Labescau. Décédé après le 7 août 1609.
  • Joseph de Junca. Écuyer, seigneur de Campagne. Marié avec Louise de Coudroy de Hourton. Décédé entre 1652 et 1666.
  • Joseph de Junca. Écuyer, né le 16 septembre 1652 à Saint-Sever, baptisé le 1er novembre 1666 à Saint-Sever, décédé après 1720. Seigneur de Campagne, secrétaire du roi, maison de la couronne de France
  • Jean-Antoine de Junca (1690-1747). Écuyer, seigneur de Campagne. Marié en 1725 avec Marguerite de Girard d’Ones. Décédé avant 1781.

 

Domaine Junca sur la carte de Cassini (source : BNF/Gallica).

 

  • Philibert de Junca, seigneur de Campagne, né en 1738 à Mont-de-Marsan .  marié le 3 octobre 1781, à la chapelle du Château de Pujo-le-Plan (Landes) avec Anne Marguerite de Pomiès. Capitaine au régiment d'Auvergne. Décédé à Campagne le 17 novembre 1810.

 


 

 

AD40 Pujo-le-Plan-Baptêmes-Mariages-Sépultures-1773 - 1792-E dépôt 238 / ES 1552 4, page 40

 

L’acte mentionne les publications faites à la paroisse de Campagne, ce qui signe le lieu de résidence du marié. Dans l’acte, Philibert de Junca est mentionné comme étant seigneur de Campagne. Il est orphelin de père et de mère. L’un des témoins est Messire Jean Benoît de Junca, docteur en théologie, curé de Hontanx.

 

  • Pierre Paul de Junca, né en 1785 à Mont-de-Marsan, décédé le 14 septembre 1863 à Mont-de-Marsan, marié à Mont-de-Marsan, avec Marguerite de Pomiès (1785-1826).  Le couple eut trois enfants.
    • Pierre Paul de Junca, né le 1er novembre 1811 à Campagne et décédé le 2 novembre 1811 à Campagne, à l'âge d'un jour.
    • Catherine Anne Marguerite de Junca, née le 24 juillet 1813 à Campagne.
    • Catherine Adèle Olympe de Junca, née le 12 mai 1816 à Campagne, décédée en 1896 à Mont-de-Marsan, à l'âge de 80 ans. Elle a épousé, à Campagne, Charles Adoue, baron de Sailhas, d'où sa postérité (AD 40 4 E 661:12 Campagne Mariages 1832-1848, vue 49/204, acte n° 9).

 

La fin de la lignée de Junca, à Campagne.

Le seul héritier mâle étant décédé à l’âge d'un jour, Pierre Paul de Junca a été le dernier « seigneur de Campagne ». Sa fille, Catherine Adèle Olympe de Junca, a été la dernière représentante de la lignée de Junca à Campagne. 
 
Catherine Adèle Olympe de Junca (source : arbre généalogique de la base collaborative Pierfit).
 

Puis, il y a eu transmission de la propriété par le mariage de Catherine Adèle Olympe (1858), à la famille de Castillon (d’où l’appellation courante à Campagne du domaine dit Castillon), puis une nouvelle transmission par mariage en 1878, à la famille de Saint-Exupéry qui devint la famille Saint-Exupéry de Castillon. Puis, une demoiselle de Saint-Exupéry épousa en 1910, un M. de Renty.  

 

 

En 2024

Il existe toujours l’allée de Junca qui relie Campagne et Saint-Perdon en passant devant la grande gentilhommière aux murs de pierres grises, très bien conservée, dont les bâtiments sont en forme de U, que nous appelons toujours Castillon.

 

Les biographies de quelques protagonistes cités dans cette histoire.

 

Bernard d'Arros est un seigneur béarnais qui combattit dans les troupes protestantes de Jeanne d'Albret, reine de Navarre, pendant les Guerres de Religion.

La famille d'Arros, originaire du petit village d'Arros-de-Nay, à 3 km de Nay (Pyrénées-Atlantiques), détenait l'une des douze grandes baronnies du Béarn. Du Moyen-Âge au XVIIIe siècle, la famille a fourni à chaque génération des serviteurs au Royaume de France.

Baron protestant du Béarn, il fut Lieutenant-général du Royaume de Navarre et Souveraineté de Béarn. Jeanne d'Albret le chargea de s'opposer aux projets militaires du roi de France Henri II, puis de son fils Charles IX, contre ses États.

En 1569, il résista aux armées locales du roi Charles IX en conduisant la défense de la place-forte de Navarrenx. Lors du siège, l'un de ses deux fils mourut au combat. Bernard d'Arros donna ainsi le temps au chef de guerre protestant Gabriel de Montgomery de venir le secourir. Les forces royales levèrent le siège à l'arrivée des troupes de Montgomery et partirent vers Orthez, où Montgomery vint les assiéger à leur tour.

Bernard d'Arros est mort vers 1579.

 

Monluc

En , Monluc (1500-1577) marche sur Mont-de-Marsan, place protestante devant laquelle les catholiques avaient échoué à plusieurs reprises. Ayant réussi à s'emparer de la ville, il ordonne le massacre de la garnison pour venger la mort de nombreux catholiques qui avaient été exécutés lors de la prise de Navarrenx par les protestants. Il fut nommé Maréchal de France.

 

Bernard d'Audeyos ou d’Audijos (1638-1677). En 1664, cet ancien soldat du roi se révolte contre la gabelle imposée par Jean-Baptiste Colbert et par son intendant Pellot. Avec ses "Invisibles" - des paysans locaux exaspérés par l'impôt sur le sel -, il assaille les convois royaux avant de se replier dans les forêts des environs de Hagetmau, offrant ainsi le premier exemple de "guérilla" telle qu'on la connaît aujourd'hui.

 

Diane d'Andoins (ou d'Andouins), dite « la belle Corisande », comtesse de Guiche, née en 1554 à Hagetmau où elle est morte en , est surtout connue pour avoir été, entre 1582 et 1591, la maîtresse du roi de Navarre Henri III, devenu le roi de France Henri IV en 1589. 

 

*** 


Sources

 

Ferron. La première surprise de Hagetmau, 17 avril 1573, Bulletin de la société des sciences et des lettres et des arts de Pau, 1953, pages 148-150.

 

Arbre généalogique de Bertrand de Saint-Exupéry (Généanet).

 

Archives départementales des Landes.


 


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