L’automobile, c’est ma passion et cela fait 57 ans que je suis mécanicien.

D’après la transcription d'une émission de Radio France Landes en 1987 sur les souvenirs d'Alphonse (Pierre) Gaüzère (1917-1997), mécanicien à Campagne-de-Marsan.

Rendons la parole à notre père et illustrons ses propos avec quelques notes et quelques photos de belles voitures…

 

« L’automobile, c’est ma passion et cela fait 57 ans que je suis mécanicien, depuis l’âge de 13 ans ». Après le certificat d’études, comme j’étais orphelin de père des suites de la Grande Guerre (Père : Jean (Alexis) Gaüzère, 1879-1926), ma mère m’a dit : « Tu dois apprendre un métier : soit curé, soit mécanicien ». 

 

Alphonse à la fin des années 30.

 

Mécanicien ou curé, ce n'est pas la même chose, mais j’étais enfant de chœur et cela m’aurait bien plu d’être curé ! Il faut dire que les dames qui allaient à la messe dans le village insistaient pour que je devienne curé. Par contre les clients du bistrot que tenait ma mère insistaient pour que je devienne mécanicien. Et je me souviendrais toujours qu’en 1930, un mardi matin, un voisin (NDLR : probablement Monsieur Fauthoux) m’a conduit dans sa voiture, une Trèfle, pour être apprenti-mécanicien dans le garage Lafosse à Mont-de-Marsan. Une Trèfle comme celle que je suis en train de retaper en ce moment et que je vais peindre à la couleur Bordeaux.

 

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d6/Citroen_tr%C3%A8fle_1925_5HP.JPG
HP Trèfle 1925 de Citroën caisse en bois. Accélérateur au milieu, frein à droite. Démarreur électrique au pied. Une portière à droite. Dite "Trèfle" pour ses trois sièges disposés en trèfle (selon le propriétaire). Travail personnel de Guymartin, 2008, Wikipédia.

 

Dans le village de Campagne (NDRL. 885 habitants en 1931), il n’y avait que quelques voitures : celle du médecin, celle des maquignons, celles de quelques propriétaires fonciers et bien sûr celles des hommes de l'art : les mécaniciens. Il y avait beaucoup plus de bicyclettes que de voitures. Les pannes des voitures étaient fréquentes : bougies, magnétos… mais la mécanique était moins compliquée que maintenant.

 

Les gens marchaient beaucoup. Par exemple, mon grand-père (NDLR. Notre père n’a jamais connu ses grands-pères qui n’avaient jamais reconnu leur descendance, il fait probablement au mari de sa grand-mère, Sylvestre Duprat – 1852-1936, son grand-père d’adoption) se rendait au marché à Tartas à pied, soit 15 km aller et 15 km retour. En route, les bouviers qui conduisaient les bros (NDLR. charrette typique de toute la Gascogne et du Béarn) tirés par les mules « ramassaient » quelques personnes chargées de lourds paniers, sur le chemin du marché. L’expédition prenait toute la journée.

 

"Du côté des transports en commun, les autobus des établissements Laulong assuraient la liaison entre Mont-de-Marsan et Dax avec un arrêt à Campagne. Cette ligne existe encore, assurée par les établissements Massein".

 

À Mont-de-Marsan, il y avait quelques très belles voitures à l’époque : des voitures exceptionnelles ! Par exemple, la voiture du sculpteur Charles Despiau (NDLR. 1874 à Mont-de-Marsan – 1946 à Paris) était une voiture de marque Delahaye, 15 CV avec six cylindres en ligne. Elle avait de magnifiques carters en aluminium sur les côtés, où étaient posées la magnéto et la dynamo. Elle était silencieuse, elle avait des pare-chocs en acier chromé à l'avant comme à l'arrière à trois lames, de grandes roues à rayons, des amortisseurs, et une traction arrière (NDLR. La traction avant n'existait  pas encore). L’intérieur était tout en cuir.

 

Photo de Delahaye 135 M

Delahaye coach type 135 M par le carrossier Guilloré, 1939. Lars-Göran Lindgren SwedenTravail personnel. Wikipédia.

 

Chaque année, également, descendait un très beau taxi de Paris jusqu’à Mont-de-Marsan, pour y déposer Monsieur Lavielle, propriétaire de l'hôtel de Bayonne à Mont-de-Marsan, et ses enfants. Il existait une séparation entre le chauffeur et les passagers, avec un système d’acoustique entre les deux compartiments. Il n’y avait pas de chauffage, hormis une bouillotte alimentée par de l’alcool à brûler déposée aux pieds des passagers. C'était vraiment beau de voir arriver ces voitures !

 

L’évolution technique des voitures a été impressionnante. Le freinage, à l’époque, était très douteux car il reposait sur des câbles qui se distendaient rapidement et lors du freinage, le véhicule tirait à gauche ou à droite. Je me souviens de la première voiture à freinage hydraulique : la Mathis. Et du slogan publicitaire « La Mathis, la voiture qui a étonné l’Amérique ».

 

Mathis Emy 4
Mathis EMY4S 1933 lors des journées du patrimoine 2012 à Blaye (Xabi Rome-Hérault, Wikipédia)

 

NDLR. Mathis était une marque automobile fondée par Émile Mathis à Strasbourg dans l'Empire allemand jusqu'en 1918 et devenu française ensuite. Il a produit des automobiles de 1905 à 1940, mais également des véhicules utilitaires de 1919 à 1934, quelques tracteurs agricoles et un moteur d'avion.

 

Les premiers embrayages étaient formés d’un cône métallique mâle et d’un cône femelle recouverts de cuir, comme celui des ceintures, et rivetés. Le changement de vitesse imposait que le cône mâle sorte puis rentre dans le cône femelle. Mais à cause des rivets et des saletés qui passaient ou des vapeurs d'huile, la voiture « broutait » énormément et vibrait lors des changements de vitesse.C'était très désagréable pour les passagers !

 

À l’époque, on réparait beaucoup de ruptures d’arbres de transmission, de lames de ressort, de roulements à billes, en raison des importantes vibrations du bloc moteur qui étaient directement transmises au châssis, lequel finissait par casser. Les amortisseurs étaient à friction. Maintenant les systèmes de « silent bloc » amortissent les transmissions et protègent le châssis (NDLR. Les silent blocs ou blocs silence autrement appelés supports ou butées, diabolos ou amortisseurs, sont utilisés pour filtrer les vibrations mécaniques).

 

À l’époque, les pneus étaient des pneus à talons, très durs, très étroits, gonflés à bloc et peu confortables. Les camions étaient munis de pneus pleins en bandage qui faisaient vibrer la route et les maisons : ça jouait des castagnettes. Puis sont arrivés les vrais pneumatiques avec les chambres à air.

 

« Je vais vous raconter une anecdote bizarre. J’avais révisé une boîte à vitesses de B2 ou de B 14, je ne me souviens plus. J'avais démonté les roulements et les pignons. Dans cette boîte, il y avait un pignon à taille droite symétrique qui déterminait la marche avant ou la marche arrière. Je remonte la boîte à vitesses, je lance le moteur. Je passe la marche avant et la voiture part en arrière ! Je passe la marche arrière et je vais en avant. La voiture avait donc trois marches arrières et une seule marche avant ! Le pignon avait été mal placé, car il pouvait s’intervertir !".

 

Écoutez l'émission de Radio France Landes 

 

Remerciements

Tous nos remerciements à notre cousine Véronique Hengy pour avoir retrouvé cette émission, enregistrée à partir du poste radio par son père Gilbert.

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