Mon ancêtre, ce délinquant cynégétique condamné à une forte amende qu’il ne peut payer !

Avec des variations selon les lieux et les époques, il existe une large gamme de raisons à la chasse légale ou au braconnage : plaisir, alimentation de survie, nécessité de défendre les cultures contre leurs multiples prédateurs, instrument d’une certaine justice sociale contre les riches propriétaires, vente commerciale, vertus thérapeutiques supposées de certaines parties des bêtes abattues…

 

Voici l’aventure qui est arrivée à mon ancêtre Jean Gaüzère, fils aîné, en 1852, à Campagne-de-Marsan, petite commune bien rurale des Landes.

 

Lors de la réunion ordinaire du Conseil municipal du 9 mai 1852, « Monsieur le Maire donne connaissance au Conseil d’une pétition qui lui a été envoyée par Monsieur le Préfet par laquelle le sieur Jean Gaüzère, fils aîné, laboureur en la présente commune, demande la remise entière de la portion de l’amende à laquelle il a été condamné pour délit de chasse et qui doit être attribuée à ladite commune, au terme des articles 19 de la loi du 3 mai 1840 et de l’ordonnance du mois de mai 1845. Il invite l’assemblée à délibérer sur cette demande après lecture de ladite pétition, il intervient à la délibération.

 

Extrait de la délibération du Conseil municipal du 9 mai 1852, de la commune de Campagne-de-Marsan relative à la demande d’exemption de la partie de l’amende revenant à la commune (AD40 Campagne-1848 - 1879-E DEPOT 61/1D3, pages 34-35).

 

Considérant que le nommé Jean Gaüzère, fils aîné, ne possède rien puisqu’il est sous la puissance de son père et mère, mais qu’il s’est toujours fait remarquer par sa bonne conduite et son attachement à l’ordre public ;


Considérant qu’il est père de deux enfants et n’a pour leur entretien que le produit de son travail ; que ce serait porter une grave atteinte à l’existence de sa famille que de l’obliger à payer l’intégralité de l’amende de 100 Fr. prononcée contre lui ;


Considérant que le père de Jean Gaüzère, ancien soldat de l’empire est petit propriétaire dans la commune où il jouit de l’estime générale, ne pourrait dans cette circonstance venir en aide à son fils sans compromettre son existence et celle des personnes au nombre de sept comprenant sa famille
;


Considérant dans cet état de choses que la demande du sieur Jean Gaüzère, fils aîné, doit inspirer et inspire réellement un vif intérêt ;


Par ces motifs, le conseil délibère qui il y a lieu de faire droit à la pétition présentée par le sieur Jean Gaüzère, fils aîné, et par suite de lui faire la remise de la portion de l’amende prononcée contre lui et qui, au terme de la loi doit être attribuée à la commune.


Fait à la mairie de Campagne les jours, mois et an que dessus
 ».

 

Qui était Jean Gaüzère, fils aîné ?

 

L’auteur de ce blog est un descendant à la 5ème génération de Jean Gaüzère père, le soldat de l’Empereur, dont nous avons déjà évoqué la vie.
Son fils, Jean Gaüzère, fils aîné, le braconnier, né le 20 janvier 1819 à la ferme Jeanlaouillé, de Campagne, est décédé le 16 décembre 1897 à Jeanlaouillé, à l'âge de 78 ans. Issu d’une fratrie de 7 enfants (dont son frère cadet également prénommé Jean), Jean Gaüzère, fils aîné, avait épousé, le 23 janvier 1842 à Campagne, Jeanne Gaüzère (1822-1899), sa cousine au 4ème degré. Ce couple avait effectivement deux enfants, Jean (1843-1927) et Dominique (1849-1927).

Bref, ça ne plaisantait pas avec les histoires de chasse ! Il était surtout interdit… de se faire prendre !

 

La délibération du Conseil municipal ne précise pas la nature du délit de chasse en question, commis – par définition - sur une terre qui n’appartenait pas à la famille, mais bien sur le territoire de la commune et chez un autre propriétaire : collet, bête abattue ? Il est probable que l’infortuné ancêtre ait été pincé par un garde particulier qui a dressé un procès-verbal, qui est remonté jusqu’au Préfet…

 

« À la croisée de toute cette histoire, figurait un personnage qui cristallisait toutes les rancœurs : le garde particulier. Incapable d’empêcher les dégâts, il s’avérait un redoutable obstacle au braconnage. N’ayant pas le même statut que les autres gardes, la loi de 1844 l’autorisait à prendre le permis de chasse. Tout à la fois protecteur du gibier de ses maîtres et chasseur ordinaire, il était jalousé, craint, soupçonné, en un mot détesté ». (Christian Estève).

 

Nous ne connaissons pas la part de l’amende qui devait revenir à la commune. Toutefois, cette commune rurale pauvre a fait preuve d’une solidarité certaine en renonçant à sa part, ce qui peut laisser deviner que le propriétaire du terrain sur lequel a été commis le délit, ne résidait pas dans la commune et n’était pas influent auprès du Conseil municipal, uniquement composé à l’époque, de propriétaires et dont le maire était nommé directement par le Préfet. Il est vrai que lors de la délibération, la présence de deux autres Gaüzère, membres du Conseil municipal, dont l'un d'eux - Jean (1799-1857) n'était autre que l'oncle du braconnier, a pu aider à la remise d’une partie de cette amende. Cette décision de clémence nous laisse à penser que le propriétaire de la lande sur laquelle avait été commis l'acte de braconnage, était étranger à la commune et que la solidarité communale a joué, vis à vis de ce "forain", terme utilisé à l'époque pour désigner quelque personne de l'extérieur (Du bas latin foranus : de l'extérieur et que nous retrouvons de nos jours dans l'anglais foreigner).

 

Nous sommes en 1852 : l’allusion au père, ancien soldat de l’Empire est habile, qui permet, en ces temps de règne de Napoléon III, d’appeler à la clémence, même si le soldat en question n’avait pas, comme tant d’autres, hésité à déserter, avant de servir, contraint et forcé, Napoléon 1er ! En effet, le 2 décembre de l’année précédente, le prince-président Louis-Napoléon, avait pris le pouvoir par un coup d’état et il s’ensuivait une féroce répression des manifestations avec plus de 400 morts à Paris et des milliers de déportés (dont 65 députés) dans le tout nouveau bagne de Guyane et en Algérie.

 

Bien que difficilement extrapolable au fin fond des Landes de 1850 qui vivait dans le troc et l’autarcie, la somme de 100 Fr. correspondait à environ un à deux mois de salaire pour un homme. À titre d’exemple : le salaire journalier d’un terrassier était de 3 Fr, celui d’un manœuvre était de 2,50 Fr, celui d’un journalier de 1,50 fr. (d’après Émile Chevalier, Les salaires au XIXe siècle, Paris, Arthur Rousseau éditeur, 1887, rapporté par Thierry Sabot). Autre repère, en 1858, le traitement fixe de l’instituteur de la commune de Campagne-de-Marsan, voté par son Conseil municipal, n’était que de 600 Fr. par an ! (AD40 Campagne-1848 - 1879-E DEPOT 61/1D3, page 100).

 

La chasse : une affaire de famille !

 

Le 12 juillet 1893, Dominique Gaüzère (1875-1970), le petit-fils de notre homme, fut condamné par le tribunal de Mont-de-Marsan à 50 Fr. d’amende pour chasse en temps prohibé. Cette condamnation ne le découragea pas le moins du monde, car le 30 décembre 1908, il fut de nouveau condamné, par jugement du tribunal correctionnel de Mont-de-Marsan, à 16 Fr. d’amende avec confiscation de l’arme et aux dépens, pour chasse sans permis (Compte tenu de l'érosion monétaire due à l'inflation, le pouvoir d'achat de 16,00 Anciens francs en 1908 est le même que celui de 71,63 Euros en 2023).

Ces condamnations sont portées dans son livret militaire (AD40 Campagne, 1895-89 W 2, page 474). Notons qu’un demi-siècle plus tard et compte tenu du niveau de vie, le montant de ces amendes était nettement moins élevé : la République était heureusement passée par là et les grands propriétaires fonciers avaient perdu de leurs pouvoirs.

 

L’occasion est belle de se pencher sur le droit de chasse en France.

 

« Après avoir mis à bas un privilège seigneurial (NDLR : qui pouvait punir de mort le malheureux coupable du délit de braconnage), la Révolution accorde à chacun le droit de chasse, mais à condition qu’il soit possesseur ou qu’il ait obtenu le consentement du propriétaire des terres sur lesquelles il souhaite exercer son talent. En un mot, le droit de chasse devient un attribut du droit de propriété. Durable, presque immuable, ce principe ne fut remis en cause (mais partiellement sur un plan géographique) qu’en 1964 avec la loi Verdeille. Or, celle-ci fut habilement contestée par les élus « verts » au nom des principes, avant d’être supprimée en juin 2000 dans le cadre de la nouvelle loi sur la chasse ».

 

« Prolongement ou partie intégrante de la propriété, le droit de chasse pouvait donc être, dès 1790, non seulement transmis aux héritiers, mais aussi transféré, selon différentes modalités, à des fermiers, qui, aux termes d’un accord financier, créaient de toutes pièces ou étendaient leur territoire de chasse. Reste que ce type de transaction mal ou peu défini par la loi originelle donna lieu, tout au long du XIXe siècle, à de nombreux commentaires de la part des juristes et à de multiples évocations dans les débats politiques ou parlementaires ».

 

« Pas plus que sous la Constituante, la loi du 3 mai 1844 ne s’intéressa à la location du droit de chasse. D’abord motivée par la question de la sauvegarde du gibier, elle eut pour pierre angulaire la mise en place des 25 F d’un permis de chasse qui se substituait aux 15 F de celui du port d’armes apparu sous l’Empire ».

 

« Le petit propriétaire non chasseur était en quelque sorte privé de son droit de chasse. Il semblait même avoir oublié qu’en tant que riverain, il le possédait sur les cours d’eau non navigables, ni flottables. Quant aux chasseurs, ils revendiquaient haut et fort (mais à tort sur le plan du droit) et parfois violemment ce « droit » que leur avait donné la Révolution, comme l’attestent bien des incidents qui se produisirent lors de la Deuxième République. En Lozère, la chasse se pratiquait ainsi avec beaucoup de « licence », peu se préoccupaient des différentes interdictions, chacun profitait de la tolérance du voisin. Mais, dans les Landes, autour des palombières, le feu et l’incendie de forêt étaient l’arme du « faible opprimé »

 

« Autrement dit, depuis la Révolution, le droit de chasse n’avait pas varié de statut. À l’aube du XXe siècle, il relevait de la propriété, le fermier en était exclu. Bien que très discutée, la question n’avait, à la différence des autres pays, débouché sur aucune législation nouvelle ».

 

***

 

Sources

  • AD40 Campagne-1848 - 1879-E DEPOT 61/1D3, pages 34-35.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Article épinglé

Analphabétisme et illettrisme dans les Landes à la fin du XXe siècle.

« Au point de vue de l’instruction primaire, le département des Landes, a été jusqu’à ce jour très arriéré. En 1892, le c...

Articles les plus consultés