Les malades mentaux de Campagne (Landes) au XIXe siècle.

Au cours du XIXe siècle, quelques Campenois et autres Landais sont décédés à Pau (Pyrénées-Atlantiques). La raison ? Leur perte de raison !

Notre lointain parent, Joseph Gaüzère, (l’auteur de ce blog est descendant à la 4ème génération d’un cousin au 4ème degré de Joseph) fut l’un d’entre eux, né à Campagne en 1830.  

 

Ordre de conduire le Sieur Gaüzère Joseph à l’hospice de Mont-de-Marsan.


Nous, maire de la commune de Campagne,

- Vu l’article 24 de la loi du 30 juin 1838,

- Vu l’état d’aliénation mentale du sieur Gaüzère Joseph, né le 17 février 1830 à Campagne, atteint d’une monomanie religieuse avec des accès de folie qui tend à troubler la tranquillité publique et à menacer la vie des citoyens,

- Vu l’article 18 et 19 de la loi ci-dessus, relatée,

Arrêtons :

Article 1 : Le Sieur Gaüzère Joseph, atteint d’aliénation mentale, sera envoyé et conduit sous la garde des Sieurs Tartas Jean et Theux Fabien, à l’hospice de Mont-de-Marsan, pour y être déposé et consigné jusqu’à l’envoi de notre procès-verbal qui constatera sa démence et qui sera transmis sans délai à l’autorité compétente.

Article 2 : Une expédition de cet arrêté sera remis à la supérieur de l’hospice de Mont-de-Marsan.

 

Fait à la mairie de Campagne le 7 juillet 1856.

Le maire.

 

Dangereux pour lui-même et pour les autres

 

Dans le procès-verbal porté en annexe, le maire reprend les déclarations des témoins et écrit : « Les actes de démence ou de folie les plus frappants sont que le 22 juin, il se précipita dans un puits d’où il ne sortit que dans la nuit du 29 du même mois, il voulut étrangler sa femme ainsi que sa mère et dans la nuit du 2 juillet, et malgré la garde des Sieurs Tartas jean et Theux Fabien, parents et voisins, il s’échappa frapper à la porte de la maison du maire et de deux ou trois autres particuliers de la commune et ne fut retrouvé que le lendemain à 8h dans les forêts. Dernier fait : enfin, il a menacé à plusieurs circonstance d’incendier les individus qui sont chargés de le surveiller ».

 


Mort à l'asile de Pau

 

En fouillant dans les registres de décès de Pau, Joseph est décédé à l'asile d'aliénés de Saint-Luc, à Pau, le 6 janvier 1872, bien loin des siens à Pau sur le site de l’actuel Centre Hospitalier des Pyrénées. Il y avait été transféré par l’hospice de Mont-de-Marsan.

 

 

Acte de décès de Joseph Gaüzère, le 6 janvier 1872, à Pau.

 

Joseph était atteint d’une pathologie mentale grave, incompatible avec son maintien dans sa ferme de Bergosse (qui signifie : mouton, brebis), à Campagne. Nous ne connaissons pas les circonstances de sa mort.

 
Il avait épousé Jeanne Saüquère (ca 1831-1869) le 5 février 1852. Le couple a eu deux enfants : Jeanne, née en 1855 à Campagne et Pierre né en 1864 à Saint-Perdon, ce qui laisse supposer que Joseph, après un placement d’office à l’hospice de Mont-de-Marsan (1858), ou bien à l’asile de Pau, avait pu en sortir et concevoir son fils Pierre, avant d’y retourner pour y mourir.  
 
Acte de naissance de Jeanne Gaüzère en 1854 (AD40 Campagne-Naissances-1853 - 1868-4 E 61/10, page 24).

Remarquons que sur les deux actes de naissance de ses enfants, il savait signer, ce qui était très inhabituel à cette époque.

 

D’où l’envie d’en savoir plus sur l'asile de Pau, grâce à une doctorante : Audrey Romeas qui a écrit « L’Hôpital Saint-Luc, ancien asile d’aliénés. Histoire. 2015. dumas-01291896 ». Tous les chapitres entre guillemets lui ont été « empruntés ».

 

« Asile » prend ici la définition que lui donnera l'aliéniste Jean-Etienne Dominique Esquirol, dans son œuvre : Des maladies mentales. Il désigne les nouveaux établissements destinés spécifiquement aux aliénés en application de la loi du 30 juin 1838. Cette loi impose à chaque département du Royaume la création d'un asile pour aliénés ».

 

Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, tous les aliénés étaient enfermés dans la prison du Château de Pau. 

 

« Ces emprisonnements, qui, à l'époque s'effectuent sous « ordre du Roi » relèvent en principe d'une première initiative familiale pour faire placer un ou des malades. Tout change à Pau le 9 mai 1771, date à laquelle la ville de Pau achète au Sieur Berdoulet un immeuble cours Bosquet, (emplacement actuel du musée des Beaux-Arts) pour accueillir les aliénés et d'autres catégories de malades que les hospices ne peuvent gérer (tels les vénériens, les syphilitiques, les fous-furieux...). En effet, les hospices soignent les maladies du corps, mais ne peuvent prendre en charge les pathologies mentales du fait de leur surcharge et de leurs compétences insuffisantes en la matière. Ainsi, fut créée la maison de force qui remplace la prison pourtant y ressemble fortement.

 

Le 25 août 1777, une adjudication de trois loges supplémentaires pour les fous-furieux sont installées dans les bâtiments de derrière, avec cours et jardins donnant sur la rue Porte Neuve (de nos jours rue Henri Faisans). Opération ayant pour but de libérer de la place dans les anciens bâtiments, pour recevoir des mendiants et vagabonds. On parle ici de maison de Santé plutôt que maison de force qui sous-entend une connotation péjorative et jugée, désormais impropre ».

 

« En 1830, l'arrivée du docteur Cazenave chamboule l'ordre médical. Médecin de la ville, nommé à la commission de surveillance de la maison de santé, il va allier le médical et l'administration. C'est une nouvelle ère qui commence avec lui puisqu'il souhaite établir une distinction des types de folies, redéfinir le but de la maison de santé, adapter les locaux aux fous-furieux, guérir les patients « guérissables »... Toutefois, il devient célèbre assurément en 1834 quand il abandonne l'utilisation des chaînes, de la camisole, du carcan, des menottes, sur les aliénés. Il apparait alors comme un libérateur et est même nommé le Pinel palois. Dès lors, l'idée de concevoir un asile public, pour aliénés uniquement, arrive dans son esprit ».


La loi du 30 juin 1838 impose à chaque département l'ouverture d'un asile pour aliénés. 

 

La ville de Pau se dote d'un asile édifié sur les vieilles constructions de la maison de force qui accueille les aliénés de plusieurs départements : Landes, Hautes-Pyrénées et Basses-Pyrénées. L’idée est de rassembler les aliénés de ces trois départements, pour réduire au maximum les frais, ce qui explique l’internement de Joseph à Pau. Les bâtiments se résument à des préaux restreints. 
 

L’Asile public de Pau, Place Bosquet (source : Audrey Romeas).

 

En 1849, le travail est officiellement institué à l’asile et on s’efforce de renouveler les pratiques avec une véritable méthode thérapeutique. L'intérêt pour le travail est reconnu pour certains malades. Ils s'adonnent à divers travaux d'extérieur ou d'intérieur (jardinage, lavage...). Chaque patient travaille 10 heures par jour et 8 heures en hiver. Tous sont gratifiés pour leurs travaux ».

 

De l’asile à la colonie agricole.

 

« Les aliénistes prônent surtout le travail en plein air, car selon eux, le travail de la terre relève de la première nécessité. Or, la lacune première reste le manque de place pour constituer une véritable exploitation agricole. Le besoin de créer une colonie rurale se fait de plus en plus insistant. C'est pour cela, que l'asile décide de louer, tout d'abord une ferme distante de 2,5 km du centre, sur la route de Tarbes. L’acquisition des terres environnantes permettra de constituer un domaine de 45 hectares, entre 1834 et 1854. En novembre 1860, l'asile commande l'achat des annexes agricoles constituées et de l'installation à Pau, de sa colonie produisant des céréales, certains légumes et pratiquant l’élevage. C'est le point de départ d’une implantation qui est définitive sur le site »

« C'est en juillet 1865 que la première pierre de l’asile est posée sur le site avec la vaste dépendance agricole. Le déménagement de l’ancien site a lieu le 15 juin 1868. L'asile est donc créé, portant le nom d'Asile Saint-Luc (patron des médecins) ». La colonie agricole comprend 23 hectares en 1868, puis 37 hectares en 1870. Les patients « prennent le statut de « colons », car ils vivent constamment sur place. Chacun cultive des céréales, des légumes, ils font aussi de l'élevage (vaches, chevaux, porcs...), certains animaux et productions sont même vendus. La culture maraichère prend un accroissement considérable : les terres cultivées sont faites de manière à entretenir un grand nombre de bétail d'où l'usage important des engrais et du purin, permettant ainsi que l'écoulement aisé  des eaux s'opère ».

 

Un retour à la terre pour Joseph Gaüzère, très loin de chez lui.

 

« Le but est vraiment d'occuper l'esprit de l'aliéné, en lui évitant les mauvaises pensées, les comportements violents, parfois, il s'agit également de lui faire ré-exercer son ancien métier. Dès lors, grâce à ces productions l'asile vit en totale autarcie avec ses autres services tels que la boulangerie, la laverie, le château d'eau... leur faisant faire de réelles économies ». 
 

Les bâtiments de l’Asile Saint-Luc (source : Audrey Romeas) où vécut Joseph Gaüzère.

 



Références

 

Audrey Romeas. L’Hôpital Saint-Luc, ancien asile d’aliénés. Histoire. 2015. dumas-01291896

 

Site de l'histoire de la psychiatrie : www.psychiatrie.histoire.free.fr 

 

Mémoire d'Alain Lefèvre, La folie et son traitement à Pau au XIXe siècle (L'asile Saint-Luc de Pau), Pau, 1981. 

 

AD40 Campagne-1803 - 1857-E DEPOT 61/1D1, page 176.
 
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